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Photo Levallois 2014

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La septième édition du festival Photo Levallois a ouvert ses portes le 10 octobre. Au programme cette année, ce sont cinq expositions présentées au public dans trois lieux de la ville. La pièce maîtresse de cette édition est Evidence, une exposition consacrée au duo d’artistes formé par Larry Sultan et Mike Mandel. Cette série photographique exposée dans les Salons d’honneur de l’Hôtel de Ville vient juste de se clôturer. Aujourd’hui nous avons donc décidé de vous présenter cette œuvre, considérée comme précurseur d’une nouvelle pratique de la photographie conceptuelle.

Depuis le milieu des années 1970, Larry Sultan (1946-2009) et Mike Mandel (né en 1950) ont contribué au dialogue entre la photographie et l’art conceptuel de façon magistrale. L’exposition présentait deux ensembles majeurs qui ont marqué l’histoire de la photographie et dont l’influence n’a cessé de grandir au fil des ans: Evidence et Billboards.

Nés tous deux à Los Angeles, Larry et Mike font connaissance au début des années 1970 au San Francisco Institute for the Arts, où ils étudient la photographie. Peu tournés vers le romantisme et l’esthétique bohème qui prévalent alors à San Francisco, ils sont également distants vis-à-vis de l’héritage de la photographie locale, incarnée par Ansel Adams, Edward Weston ou encore Imogen Cunningham. Leurs affinités vont plus à la culture populaire véhiculée par le cinéma et la dé-construction des mythes qui la sous-tendent. Dès lors, parmi leurs influences importantes, se dégage Robert Heinecken, fondateur du département de photographie de UCLA dans les années 1950 et infatigable explorateur des limites de la photographie, tant formelles qu’intellectuelles. On retrouve également Ed Ruscha, pilier de l’art conceptuel de Los Angeles, qui fit un usage abondant et radicalement novateur de la photographie, souvent au moyen de livres auto-édités, forme que reprendront Larry et Mike dès leurs débuts.

Toutefois, c’est bien Marcel Duchamp qui est la figure tutélaire de l’ensemble Evidence, publié en 1977 par le duo, après deux ans d’un travail de recherche iconographique et de séquençage. Bénéficiaire d’une bourse prestigieuse (National Endowment for the Arts), Larry et Mike ont les moyens d’entreprendre une vaste collecte d’images conservées dans les archives de la police, des pompiers, de différentes agences gouvernementales de régulation, mais aussi des entreprises qui fabriquent alors les armes, les engins spatiaux et les technologies du futur. Les portes de ces forteresses s’ouvrent à eux contre toute attente, probablement grâce à la caution publique du financement de leurs recherches. Et les voici confrontés à d’innombrables photographies de documentation de ce qui se passe en Californie à ce moment -à et qui préfigure le futur. Le langage pictural du pouvoir de l’époque en quelque sorte. Les images sont en noir et blanc, réalisées avec soin, selon les canons d’une photographie classique documentaire, dont la grammaire est déjà passée dans l’inconscient collectif. 

Le geste fondateur d’Evidence est l’appropriation de ces images (un terme qui n’avait jusqu’alors jamais été utilisé dans le domaine de l’art) par les deux artistes, qui leur donnent une seconde vie en les privant de leur contexte initial et donc de leur fonction de document. Mises au service d’une narration non-linéaire et équivoque, elles deviennent absurdes et souvent hilarantes. En revendiquant le statut d’auteur de ces photographies qui, sans eux, seraient parties dans les poubelles de l’histoire, Larry et Mike créent un scandale, et l’exposition au San Francisco Museum of Art qui suivra la publication du livre sera très controversée. On peut considérer Evidence comme un jalon de l’histoire de la photographie, car c’est le premier travail qui se donne pour but de démonter le mythe de la véracité de l’image photographique. De fait, les photographies collectées par Larry et Mike en tant que documents deviennent des pures connotations. Pourtant, elles parlent indéniablement de ce qui se passait en Californie à cette époque, marquée par l’expansion économique, technologique et la relative accalmie sociale après la fin de la guerre du Vietnam.

Egalement portés par cette volonté de dé-construction du langage pictural et empreints du même humour ravageur, les Billboards sont initiés en 1973. L’ambition des deux artistes et de susciter une prise de conscience par le grand public de la façon dont fonctionnent les affiches publicitaires, genre dominant de photographie à Los Angeles, où, comme disait Larry Sultan, « la plupart des images que nous voyions étaient des images que nous n’avions pas choisi de voir. Ce sont les publicitaires qui nous ont donné la notion de qui nous étions censés devenir ». Ces grandes affiches omniprésentes et autoritaires ont à ce point pénétré l’inconscient et forgé la perception de l’image photographique qu’il est très difficile d’échapper à la sidération qu’elles provoquent. En 1975, Larry et Mike installent une première affiche de leur fabrication (c’est d’ailleurs une sérigraphie d’après une peinture et non pas une photographie), représentant trois oranges en train de brûler, accompagnées du slogan « Burning Oranges ». C’est le début d’une série d’interventions qui durera jusqu’en 1989, avec quinze affiches différentes posées sur plus de 90 sites, essentiellement en Californie. Là encore, la stratégie du détournement est à l’œuvre, puisque les Billboards délivrent des messages absurdes et anonymes, contrairement aux affiches qu’ils singent. Ce ne sont pas non plus des affiches d’artistes, ce qui rend leur statut encore plus incertain. En évitant tout didactisme, le duo tente de mettre au jour le fonctionnement de la publicité, en laissant le spectateur se faire sa propre opinion.

L’emblématique billboard We Make You Us écorche le programme des publicitaires avec la précision d’un coup de couteau dans un paravent.

C’est un grand honneur pour Photo Levallois de présenter cette exposition à l’occasion de sa septième édition. Après des monographies consacrées à Jan Groover et John Divola en 2012 et 2013, le festival continue de présenter des figures fondatrices des courants les plus pertinents de la photographie contemporaine, dont la visibilité en France est injustement marginale.


FESTIVAL

Photo Levallois
Jusqu’au 15 novembre 2014
Retrouver la programmation complète du festival sur :
http://www.photo-levallois.org

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