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Photo Chaumont-sur-Loire : les failles d’un monde

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Pour sa 4ème édition, le rendez-vous dédié à la photographie de paysages dans le magnifique édifice médiéval présente les œuvres de cinq photographes. De la tranquille ferme de Raymond Depardon à l’inquiétant fenil de Tania Mouraud, tour d’horizon d’une année très tournée vers les blessures de la Terre.

Venir ici en plein mois de novembre revient à se baigner dans la brume aux abords d’un château de conte de fées. La bâtisse surplombe la surface lisse de la Loire qui file à l’horizon, bordée d’immenses cèdres qui confèrent à l’atmosphère une aura très singulière près des feuilles jaunes qui jonchent l’herbe verte.

Se glisser alors dans les vastes salles conçues de lourdes pierres blanches et voir des photographies qui ont en commun d’avoir voulu capter le paysage, d’enregistrer un panorama que nous avons sous les yeux, de tenter de magnifier l’âme de la nature.

Cette année, particulièrement, le souci écologique était présent dans les œuvres présentées – indissociable aujourd’hui d’un travail sur le territoire – qu’il soit abordé frontalement ou interrogé en filigrane.

 

Marée noire

Ainsi Tania Mouraud expose cinq séries, dont au moins deux s’inscrivent de façon très visible dans cette problématique. Son travail intitulé Balafres s’intéresse à l’exploitation du charbon en Allemagne. On y voit des monstres qui vident la terre de ses denrées et qui dégagent d’épais nuages. Tania Mouraud témoigne de la couche de suie qu’il y avait sur sa voiture juste après les prises de vue, effarée de cette pollution encore si présente en Europe.

Autres tableaux saisissants dans la série suivante : la remise à ciel ouvert d’un agriculteur du Berry. Ce dernier ne voulait pas que la photographe garde une trace de ces énormes ballots de pailles qu’il laisse pourrir dans un coin de sa ferme afin de les revendre pour en faire du combustible, mais Tania Mouraud en a fait des images qui suggèrent d’étranges villes dévastées, comme un décor de guerre.

Cette forme d’aberration dans le traitement du vivant et des gestes d’une humanité prise dans la tourmente d’une consommation de masse se retrouve dans la posture du duo Clark et Pougnaud qui s’est exilé à la campagne après une vie urbaine, dans l’hommage fait au monde paysan – et à ses parents – de Raymond Depardon en 1984 dans son travail La ferme du Garet ou encore dans le travail d’Edward Burtynsky, photographe canadien.

Depuis le ciel la plupart du temps, ce dernier photographie des lieux emblématiques où une question écologique cruciale est en train de se poser, comme c’est le cas au Nigeria où la surpêche est une question incontournable ou encore quand il pointe les nappes de pétrole de la très grave marée noire du golfe du Mexique il y a dix ans.

 

Obscurantisme

Étrange et envoûtante beauté de la blessure infligée aux éléments naturels. Ou encore des œuvres antiques directement détruites par des mains humaines. C’est le cas du travail de Pascal Convert, exposé dans un autre coin du château, dédié aux bouddhas de

Bâmiyân. Statues du Vème siècle, elles ont été pulvérisées avec de la dynamite par les talibans en mars 2001, précédant le 11 septembre de la même année, comme un très triste symbole de l’obscurantisme d’aujourd’hui.

Pascal Convert a pu s’y rendre en 2016, en compagnie d’une équipe d’une dizaine de personnes, afin d’en faire des relevés archéologiques et d’en rapporter des images en forme d’icônes du désastre. Si les roches sont désormais vides des bouddhas, nous pouvons néanmoins contempler la beauté du site et voir que même après la destruction subsiste quelque chose de plus grand. C’est ce que fait remarquer le philosophe et historien de l’image Georges Didi-Huberman dans un texte écrit pour l’occasion : « Ainsi, les enfants continueront de jouer devant la falaise. Ils s’amuseront à regarder – ou à explorer – les trous qui la constellent. Ils savent que dans les antres sont les temps. Comme sur le front du grand-père sont les rides, les blessures ou l‘écriture de toute son histoire ».

Jean-Baptiste Gauvin

 

Chaumont-Photo-sur-Loire

20 nov. 2021 – 27 févr. 2022

Château de Chaumont-sur-Loire

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