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Phillip Dixon entre génie et ermite

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Il est une anomalie exceptionnelle. Une contradiction. Un croisement entre un génie et un ermite, vivant une vie recluse dans une maison qui ressemble à un monastère, dans une partie fictionnelle du monde où les gens n’utilisent pas de machines.

Dixon réfléchit en profondeur aux sujets qui l’intéressent et développe toujours des idées originales. Il a vécu sa vie en solitaire, allant son propre chemin, et quand vous le confrontez dans le monde réel d’un seul coup, il n’y voit que folie et décadence. Il choisit simplement de ne pas en faire partie. Il a une manière de rejeter toutes les balivernes. Totalement politiquement incorrecte. Dixon est d’une franchise sans mélange, et s’exprime souvent à l’opposé de ce que les gens croient – ou sont conditionnés à croire.

Dixon remarque des choses que les gens ne voient pas. Il est hyper-observateur. Après des décennies dans le métier, il est devenu un vénérable sage. Il se prend au sérieux mais est capable de rire de lui-même. Il a beaucoup de talent mais se moque qu’on s’en aperçoive. Il fait rarement confiance à ce qu’il lit à ou à ce qu’il entend. Il est l’une des rares personnes que j’ai jamais rencontrée qui est capable d’être réellement honnête avec elle-même et de prendre des décisions basées sur ses observations. Il ne se rappelle pas des noms des gens alors il appelle tout le monde « Joe ». Cela lui simplifie grandement la vie. Il a un formidable sens de l’humour quand vous le connaissez. Ce qui est le cas d’assez peu de gens.

Il apprécie les belles choses dans la vie – mais pas celles qui coûtent de l’argent – et admire l’art indigène (« sans prétention, Joe ») et aime à faire des humains prétentieux et ostentatoires le sujet de ses moqueries acerbes. Cela ne lui a pas gagné beaucoup d’amis mais il ne cherche pas d’amis de toute façon.

Jeff Dunas : Revenons à Glendora, en Californie – à votre ancienne vie.

Phillip Dixon : Je suis Écossais du côté de mon père et un quart d’Indien d’Amérique du côté de ma mère. Mon père enseignait le combat à mains nues dans les Forces spéciales. Donc j’ai tout appris sur le combat à mains nues quand j’étais petit et je faisais aussi de la natation, à haut niveau, j’ai nagé six heures par jour pendant toute mon enfance. Mon problème par la suite a été que j’ai dû prendre des médicaments pour gérer mes relations avec les autres.

JD : Qu’est-ce qui vous a amené à la photographie en premier lieu ?

PD : Mon pote et moi, on vendait du LSD dans notre garage à Glendora. On mettait des colorants alimentaires dans les acides pour que les gens aient les couleurs qu’ils voulaient. Nous aurions dû aller à l’université et acquérir une formation solide, mais je n’aimais pas les contraintes scolaires. Alors je me suis dit : « je vais faire un trip à l’acide pour essayer de décider ce que je vais faire dans la vie ». Pendant mon trip, j’ai réalisé que c’était facile de faire compliquer et difficile de faire simple. J’en suis revenu à la forme la plus simple de ce à quoi j’étais bon, et j’ai réalisé que c’était d’arranger des choses. J’ai alors réfléchi à ce que je pourrais faire pour être payé à arranger des choses. Je me suis dit : « Je pourrais arranger des choses et en faire des photos ». Je trouvais donc un boulot de coursier pour un vieux photographe glamour d’Hollywood appelé Bud Fraker. Ça consistait à photographier des aspirants acteurs. Quand je ne faisais pas les courses de Fraker, je me rendais dans la chambre noire et je regardais son assistant développer les films et faire des impressions. Après le boulot, j’y retournais et je faisais mes propres expériences. Le type du labo est parti un jour et Bud s’est mis à chercher un remplaçant, et je lui ai dit : « Je peux le faire, Joe ». Il m’a dit : « Ok Phillip – faisons un test. Développe ce film et fais moi une impression ». Je le fis et obtins le boulot et je devins le nouvel assistant. Après un moment, il me fallut plus d’argent, donc je trouvais un autre boulot dans un laboratoire tenu par un Européen. On avait un client qui faisait des photos érotiques. Le propriétaire voulut retourner en Europe et ce photographe dit qu’il rachetait le labo. Il avait besoin d’assistant et je me proposais. J’ai donc commencé à travailler dans le porno – pour des types de la mafia. Après un moment, je réalisais que les gars qui travaillaient dans ce milieu faisait plus d’argent que moi mais ne faisaient pas de belles photos, alors j’ai dit à mon patron : « Je peux faire ça ». Je me suis retrouvé à faire des impressions le jour et des photos pornographiques la nuit. J’ai pris deux filles et un type, photographié le type et une fille, puis lui avec l’autre fille, les trois ensembles, et enfin les deux filles toutes seules. Je m’en suis servi pour calibrer l’éclairage.

JD : Ok – donc maintenant vous êtes à Hollywood, vous faîtes des clichés érotiques et c’est le début des années 70. Et ensuite ?

PD : Eh bien à cette époque j’avais une très jolie copine, alors j’ai fait des photos d’elle et je les ai montrées à Playboy. Le résultat fut étonnant : ils m’appelèrent et me dirent qu’ils voulaient les acheter et les publier sur dix pages ! Ils n’avaient jamais fait ça auparavant – acheter des photos qu’ils n’avaient pas commandées – j’ai donc commencé à travailler pour eux. C’était en 1972 ou 1973.

JD : Et puis vous êtes entré dans une période difficile.

PD : Oui. Quand j’ai claqué la porte de Playboy, j’ai connu sept ans sans obtenir un seul emploi. J’ai réalisé que le seul boulot qu’on pouvait trouver en ville était de photographier des robes.

JD : Qu’est-ce qui vous a permis de percer dans la mode ?

PD : Ce qui s’est passé, c’est que j’ai réalisé que j’étais à Los Angeles et que tous les boulots étaient à New York. Je ne voulais pas vivre à New York – moche et remplie de gens, donc je suis allé voir les grandes marques de sport à L.A. parce que le seul moyen de me gagner les gens de New York, ce serait qu’ils voient mon travail dans la publicité. Je leur ai donc dit : « Je ferais les photos et la mise en page ; je ferai tout pour un montant X, mais mon nom sera associé à la publicité. » A cette époque, aucun photographe n’était crédité pour ses publicités. J’ai donc eu du boulot et ils ont mis mes images dans des magazines. Qu’est-ce qui s’est passé ? Mes images avaient l’air meilleures que celles des photographes payés par les magazines, alors ils ont commencé à m’appeler. C’est ainsi que j’ai réussi à percer.

JD : Les grandes marques de sport étaient toutes à LA. Elles étaient tendance et commençaient à retenir l’attention du public.

PD : Exactement. Mais faire créditer mes publicités à mon nom me donna un rayonnement international. Après quinze ans, j’en ai eu marre et j’ai acheté du terrain au Mexique où j’ai planté des arbres pendant sept ans. Je ne pouvais plus évoluer parce qu’ils étaient en train de régresser dans leurs goûts, leur culture et tout le reste. Aujourd’hui les jeunes directeurs artistiques sont complètement débiles.

JD : Jean-Loup Sieff m’a dit une fois : « Les directeurs artistiques d’aujourd’hui pense que La Redoute fait dans l’avant-garde ».

PD : C’est vrai ! Avant il y avait de grands directeurs artistiques et maintenant vous avez des banquiers. J’étais en train de photographier un modèle, pointant mon appareil vers elle et le directeur artistique, qui supervisait sur le côté, me dit : « Mais je peux voir la cuisine ». C’est le niveau de leur bêtise, actuellement.

JD : Dans les années 90, vous avez vraiment commencé à travailler pour tout le monde.

PD : C’est vrai. Je suis allé voir Anthony Mazzola à Harper’s Bazaar et je lui ai dit : « Laissez-moi faire un shooting, et le contrôler. Si vous l’appréciez et qu’il fonctionne commercialement, alors je ferai ce que vous voudrez ». Je l’ai fait – et après qu’il ait été publié, ils ont eu tellement de retours que Mazzola m’a dit : « OK – mais vous ne pouvez pas garder tout le contrôle sur le processus. » Je lui ai dit que je voulais 1000 dollars par page. Je ferai un boulot pour lui et un pour moi. Ce qu’il voulait, et ce que je voulais. C’était bien pour Bazaar et bien pour moi. Je leur ai montré des choses auxquelles ils n’avaient jamais pensé. J’ai passé quelques bonnes années avec eux. J’avais confiance dans mes photos.

JD : Je me rappelle que pendant un moment, vous avez été beaucoup copié.

PD : Oui, mais c’est un compliment. Je peux toujours inventer de nouvelles choses. Beaucoup de ces copies n’avaient pas de profondeur. Elles n’émanaient pas d’eux ou d’une vision personnelle. C’était facile pour eux de copier mais ils ne reprenaient que les effets de surface qu’ils voyaient dans mon travail – ou une technique. D’abord vous avez besoin d’une idée originale, ensuite vient la composition et la texture, et les ombres. Dans l’ancien temps, vous aviez des photographes qui avaient leurs propres points de vue et leur travail était magnifique. Vous n’aviez pas besoin de regarder les crédits parce que vous saviez que c’était une photo d’Helmut Newton, de Guy Bourdin, ou de Sarah Moon ; de grands photographes qui faisaient leurs propres photos. Lawrence Sackman était fantastique.

JD : Vous avez toujours préféré travailler en extérieur qu’en studio..

PD : Citez-moi un photographe qui shoote dans la nature aujourd’hui ? Ils sont tous en studio. Des photos plates devant des murs ou des toiles de papier. Pas de profondeur. C’est facile. Ils n’ont pas besoin d’apprendre comment travailler avec la lumière du jour, qui est la plus fantastique. Moi, je photographiais des femmes dans des endroits qui demandaient une composition. Je devais pouvoir visualiser le décor aussi bien que les vêtements. La plupart des photographes de mode manque de coup d’œil pour la composition et leurs photos n’ont pas de poésie – pas de romantisme.

JD : Parlez-moi de votre départ au Mexique. Était-ce pour les beautés locales ?

PD : J’aime la nature, pas les gens. J’étais fatigué de toutes ces conneries, alors j’ai choisi un plan B. Mon idée était de construire une belle maison à L.A. que je pourrais vendre et de vivre ici avec ce que j’avais. Alors j’ai acheté 32 hectares de terrain, j’ai bâti une petite cabane, et j’ai vécu là, en plantant des arbres, au bord du Pacifique.

JD : Vous ne voulez plus travailler ?

PD : Ça ne m’a jamais intéressé à moins d’être payé. L’art c’est pour les gens riches. Je n’ai jamais été riche. Si quelqu’un a de l’argent, je ferai du mieux que je peux. En tant que photographe qui écoute seulement sa propre voix intérieure, vous devez être courageux.

JD : Vous vous voyez comme un photographe commercial.

PD : C’est ainsi que je conserve mon honnêteté. J’ai eu l’occasion de devenir une pute – un photographe générique comme bien d’autres – qui n’ont pas d’opinion mais font beaucoup d’argent. Je fais juste des images. Je suis un mercenaire. Je suis un artiste, pas un photographe d’art. J’aime la vie.

JD : Vous ne conduiriez pas une grosse voiture en portant des vêtements de luxe ? [rires]

PD : Non, non ! Pourquoi quiconque voudrait avoir à faire à ces connards sans goût ? Non !

JD : Un conseil pour les jeunes photographes ?

PD : Ne devenez pas photographe. La photographie, c’est finie. Vous devez trop vous battre pour faire du bon boulot. Ce n’est plus ce que c’était.

JD : Les photojournalistes utilisent des smart phones maintenant.

PD : La qualité n’a jamais compté pour les photojournalistes. Jamais. Nous vivons une époque horrible – c’est presque de la science-fiction. Les machines commencent à contrôler les humains et eux ne le savent pas. Vous voyez des gens au restaurant – ils ne se regardent pas et ne partagent rien. Ils regardent leurs téléphones. Les gens vont au boulot. Ils regardent un écran d’ordinateur à longueur de journée et ils rentrent chez eux et se remettent devant un écran. Quand on avait fini notre travail, par le passé, on avait envie de se relaxer ! On avait pas envie de regarder nos machines toute la nuit. Nous étions les créatures les plus avancées de la planète – mais bientôt les machines nous contrôleront complètement. On ne pourra plus rien faire sans elles. Lorsque j’invite des gens chez moi, je demande à tout le monde d’éteindre son téléphone et de le laisser à la porte.

Jeff Dunas

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