Tu n’as jamais rêvé du voyage aux US.
Non que tu n’appréciais pas de voyager – loin s’en faut !
Te concernant, alors que cette destination semblait représenter le sommet des voyages pour nombre d’Occidentaux, l’idée de visiter ce pays-continent était loin de faire partie de tes priorités.
Les Etats-Unis d’Amérique !
Pourtant, il en avait aimé un beau morceau de son cinéma, une certaine musique, une partie de sa littérature… Les alternatifs, les indépendants… Peut-être était-ce le côté hégémonique de cette culture, son impérialisme et sa tentation d’uniformisation qui suscitaient en lui méfiance et mise à distance…
En gros, tu n’avais pas de passion particulière pour ce pays. Tu ne parvenais pas à mettre de côté le fait qu’elle s’était construite sur le vol, le génocide et l’esclavage.
Tu disais souvent que ce pays te faisait peur, que sa violence est ontologique, et qu’il ne parviendrait jamais à s’en défaire.
Et puis tu n’aimais pas sa politique étrangère…
Ce regard critique, je l’ai sans doute hérité de toi.
Mais j’ai finalement accepté de m’y rendre… Ce n’était qu’un passage – cinq semaines c’est court !
J’étais prêt à recevoir ce que ces villes, ces paysages, ces populations croisées, avaient à me raconter, en associant au plaisir de la découverte, la possible “métamorphose“ de mes images mentales.
Depuis Seattle, j’ai roulé sud-est, vers l’intérieur. Quelques parcs nationaux, un détour par les décors des westerns de John Ford et enfin, la Californie.
J’ai photographié, au fil des miles, comme pour essayer de te montrer ce que j’y ai vécu. Petit à petit, j’ai aimé me laisser traverser par des paysages à couper le souffle… J’ai séjourné dans des villes mythiques et d’autres plus anonymes… J’ai confronté les passages “obligés“ à mon imaginaire, et j’en ai cherché d’autres, moins fréquentés…
J’ai photographié, jusqu’à plus soif. Mais ce n’était jamais assez d’images ! Je les ai cherchées avec en tête, le souvenir des travaux d’Ansel Adams, de Walker Evans ou de Ralph Gibson et d’autres encore… Et le cinéma, et la musique, et la littérature… les œuvres que j’ai aimées.
Et enfin, le plus souvent, en me forçant à tout oublier et essayer de trouver la distance qui me va bien.
Cela aurait pu lui plaire, en fin de compte… Aujourd’hui je peux dire que j’aimerais y retourner, malgré tout, malgré cette mémoire qu’il m’a laissée… et explorer un peu plus de cette Amérique que j’ai commencé à entrevoir et à apprécier.
