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Montpellier : redécouvrir Jakob Tuggener et Fabrik

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Elle, c’est Berti, la coursière des ateliers de construction mécanique Oerlikon en 1934. Ce jour-là, elle est en retard et Jakob Tuggener photographie sa hâte dans la cour désertée de l’usine suisse. Ce grand délaissé de l’histoire de la photographie disparu en 1988 fait l’objet d’une exposition au Pavillon Populaire de Montpellier jusqu’au 18 octobre. Au programme : une vision personnelle, parce que pleine d’humanité, du monde industriel des années 30 à 50.

C’est notamment l’un des grands mérites du Pavillon Populaire de Montpellier dont la direction artistique est menée de main de maître par Gilles Mora que de nous inviter à redécouvrir régulièrement des maîtres de la photographie un peu oubliés. C’est le cas avec l’exposition consacrée à Jakob Tuggener dont le nom n’évoque pas spontanément des images. Pourtant, ce photographe suisse a influencé Robert Frank et a connu en son temps une belle renommée, notamment au milieu des années 50 lorsque Edward Steichen, alors directeur du département de la photographie du MoMA, exposa plusieurs de ses photographies à New York, puis à travers le monde dans le cadre de la fameuse exposition “The Family of Man”. Aujourd’hui gérée par la Fondation Suisse pour la photographie à Winterthur (fotostiftung.ch), son œuvre est réunie dans une fondation installée à Uster (Suisse).

Intitulée “Fabrik : une épopée industrielle 1933-1953“, l’exposition est consacrée à la période faste de ce photographe qui publia en 1943 Fabrik (Usine), un livre qui fait date. A une époque où les auteurs photographes n’existent pas encore et à laquelle on est soit reporter soit photographe publicitaire, Jakob Tuggener ne pas choisit pas la facilité en décidant d’être indépendant afin de préserver sa liberté et sa créativité. Trop précurseur pour son temps ? C’est peut-être dans son parcours que se trouve l’explication. Il a en effet découvert la photo alors qu’il suivait un apprentissage de dessin industriel dans une usine zurichoise dans les années 20 où le photographe professionnel de cette entreprise l’initie à la chambre noire. Et c’est en 1930, alors qu’il est déjà âgé de 26 ans et qu’il est licencié, qu’il décide de rejoindre Berlin pour étudier pendant huit mois à la très réputée école d’art et d’arts appliqués Reimann.

A travers une sélection de plus de 140 images, l’exposition montre la spécificité de ce regard qui ne se contentait pas d’enregistrer mécaniquement le réel pour le documenter “froidement”. Non, Jakob Tuggener avait sa propre vision de ce monde industriel qu’il connaissait bien. Il ne s’est pas seulement focalisé sur la relation de l’homme avec la machine comme François Kollar ou Lewis Hine à la même époque, il s’est intéressé à la vie de l’usine dans sa globalité, alternant les plans larges – les bâtiments, les ouvriers se pressant devant la grille, ou s’affairant à leur poste de travail, etc. – et les très gros plans pour saisir des détails à la fois banals et étonnants du quotidien comme le cadenas scellant la grille de l’usine, un bras tatoué où l’on aperçoit un couple qui s’embrasse, une main portant une bague avec une tête de mort, etc. Cette vision personnelle que Martin Gasser, le commissaire invité de l’exposition également conservateur de la Fotostiftung Schweiz (Winterthur), qualifie de poétique est particulièrement mise en valeur dans l’exposition tout comme les portraits qui représentent un autre aspect – plus classique – du travail de Jakob Tuggener. On leur préfère les plans jouant sur le rapport d’échelle dans des images montrant la domination par la taille – mais pas seulement bien sûr – de l’architecture et des machines sur les hommes. Dans ce concert d’images où l’homme règne en maître, Berti la coursière agit comme un fil conducteur. Ses apparitions ponctuelles tout au long du parcours de l’exposition agissent comme un repère. Cette présence féminine est une autre preuve que Jakob Tuggener était un photographe subtil. Réunissant aussi bien des originaux et des tirages modernes que des wallpapers très grands formats, un déroulé de la maquette de Fabrik montré sur une table-vitrine et des films, cette exposition, par sa scénographie très dynamique, permet de rentrer au cœur de la réflexion de ce photographe et d’en apprécier toute l’épaisseur.

EXPOSITION
Jakob Tuggener. Fabrik : une épopée industrielle 1933-1953
Jusqu’au 18 octobre 2015
Pavillon Populaire – Espace d’art photographique de la Ville de Montpellier
Esplanade Charles-De-Gaulle
34000 Montpellier
France

Tel. : 01 44 67 66 13 46
Catalogue
“Jakob Tuggener. Fabrik : une épopée industrielle 1933-1953”, éditions Hazan, 24,95 €.

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