Classic Photographs Los Angeles, c’est le salon de la photographie version cocooning : une atmosphère douillette et alléchante qui nous replonge, la douceur en plus, au début des années 80 avec ses expositions organisées dans des hôtels. L’Œil Invisible s’y est rendu, histoire de quitter New York un moment et de faire un tour, avec une séance de dédicaces au passage. Il s’est régalé. Les lieux, modestes et élégants, constituent un cadre tranquille pour ce week-end rassemblant la communauté des amateurs de photographie durant lequel deux douzaines de galeristes avertis ont pu échanger avec leurs clients, ainsi qu’entre eux la plupart du temps. La Marche des Femmes et la pluie torrentielle ont peut-être découragé certains visiteurs, mais ceux qui sont venus semblaient intéressés, et sont repartis les yeux repus.
Le salon affiche sa volonté d’exposer un mélange de photographies modernes, contemporaines et vintage. Il y avait beaucoup d’Aaron Siskind, de Minor White, de Walker Evans et d’artistes californiens (les Westons, etc.). Ray Metzker est à présent considéré – à juste titre – comme un maître moderne, en grande partie grâce au dévouement de Larry Miller envers cet artiste. Un certain nombre de ses œuvres étaient exposées là, avec ce rendu unique qui donne l’impression de voir, capturé sur le papier, un air de jazz traversé de fulgurances lumineuses.
La galerie 19/21 présentait une sensationnelle nature morte aux poires du Français François Kollar – un nom qu’on rencontre trop peu souvent. C’était une composition sublime aux proportions parfaites, avec un très beau grain. Une œuvre très marquante. Karen Haas, conservatrice du MFA de Boston, a utilisé le terme « platonique » pour la décrire ; L’Œil suppose qu’elle voulait dire “idéale”. Cette photographie était entourée d’un Kertész et d’un Sudek, ce qui constituait un très bon choix, et un exemple parfait de la façon dont des photographies de facture classique peuvent apporter un contrepoint sans prétention à une pièce forte.
La diversité historique était telle qu’on trouvait des daguerréotypes encadrés sélectionnés par Alex Novak, des images de presse classiques et de charmantes photographies anonymes du 19e siècle présentés par Gary Edwards. De nombreux marchands avaient choisi d’offrir un survol de l’histoire du médium photographique, mais d’autres laissaient paraître des sensibilités plus idiosyncrasiques. La plupart de ces personnes sont dans le métier depuis plus de trente ans et ont un goût très sûr. Il était aussi agréable de constater que Michael Lee a repris le flambeau à la Lee Gallery, succédant à son père Mack.
L’Œil Invisible a demandé aux vendeurs présents de sélectionner des pièces à montrer aux collectionneurs avertis, prêts à investir des sommes conséquentes (5000 $-7000 $) et à faire des choix qui nécessitent un certain culot et une bonne dose de conviction.
Terry Etherton m’a suggéré le travail de Danny Lyon, en particulier Hoe sharpener and the line (L’affûteur de houe et le rang) de 1967-1968, emblématique de son ouvrage Conversations with the Dead (Discussions avec les morts). Ce galeriste s’est d’ailleurs montré le plus fidèle défenseur de Lyon depuis trente ans. Howard Greenberg montrait un remarquable paysage urbain pétri de morosité, pris à Pittsburgh en 1950 par W. Eugene Smith dans un format vertical saisissant (merci à Alicia Colen pour le tutoriel !). Quant à l’étude du givre de Minor White exposée par Alan Klotz, c’était résolument sexy et mystérieux. La prédilection de Tom Gitterman pour l’esthétique du milieu vingtième était représentée par un nu de Ferenc Berko. On est frappé par le texte de ses cartels en grands caractères, toujours très éclairant. L’Œil est d’avis que si l’on dispose des fonds pour acquérir ces œuvres, il ne devrait pas être nécessaire de chausser ses lunettes de vue pour lire le prix et les informations fournies.
La pièce que L’Œil a préférée par-dessus tout était présentée par Scott Nichols : Abandoned Shoes, Alabama Hills (Chaussures abandonnées), 1937. Un classique.
La pièce phare contemporaine était un Christine Fesler exposé par Tarrah Von Lintel. Dramatique composition en trois dimensions, de grandeur murale, constituée d’un assemblage unique d’impressions, de découpages et de collages, arrangés dans un grand assortiment de petites boîtes dans un camaïeu de gris. Ce n’est pas très intimiste, mais le résultat est très impressionnant. Le marché actuel affectionne tout particulièrement ce genre de travail qui met l’accent sur les procédés créatifs, et dont un autre exemple est le jeu d’ombre et de lumière, évoquant des empreintes de nuages, créé par Alison Rossiter sur le stand de Stephen Bulger (qui présentait aussi un accrochage de polaroids de Kertesz).
La couleur était au rendez-vous chez Paul Kopeikin qui nous a présenté un joyeux Cig Harvey, Goldfinch (chardonneret), ainsi que chez Gretchen et Barry Singer qui ont choisi Toilet Paper, muted still-life study (Papier toilette, nature morte pastel) de Martha Alf. Rose Gallery promouvait évidemment Jo Ann Callis, ainsi que Graciela Iturbide, ce qui était plus surprenant, et une étude de Lionel Wendt représentant une silhouette sans tête étrangement émouvante. Cet artiste, qui a travaillé au Sri Lanka et à Ceylan s’est avéré être une véritable curiosité pour L’Œil.
Ce fut un plaisir de rencontrer des marchands comme Nailya Alexander, Deborah Bell, Joe Bellows, Chuck Isaacs, Charles Hartman, Susan Herzig et Paul Hertzmann, ainsi que la favorite de L’Œil, Patricia Conde, de Mexico. À peu près tout le monde a été mentionné à présent, si ce n’est Chris Pichler qui montrait ses dernières publications (Nazraeli Press).
Un grand bravo aux organisateurs de Classic Photographs Los Angeles, les propriétaires de galeries Michael Dawson, Richard Moore et Amanda Doenitz, qui ont rondement mené cette affaire. Ce show était satisfaisant comme un délicieux repas bien consistant !
W.M. Hunt
W.M. Hunt est un collectionneur de photographies, commissaire d’exposition et consultant qui vit et travaille à New York. Il enseigne à la School of Visual Arts et fait partie du conseil d’administration du fond W. Eugene Smith. Son ouvrage intitulé L’Œil Invisible (publié chez Actes Sud) est consacré à sa collection personnelle et constitue une compilation de photographies des plus intrigantes.
Classic Photographs Los Angeles
21-22 janvier 2017
7601 Sunset Blvd
Los Angeles, CA 90046
http://classicphotographsla.com/