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Michèle Chomette: Entre deux eaux

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L’exposition s’intitule « Hypothèse et dérives, avec ou sans photographie, 1850-2010 ». On reconnaît bien là le goût immodéré de Michèle Chomette pour la provocation et les thèmes obscurs.

Il n’empêche que cette dame représente depuis plus de 30 ans un courant à part dans la photographie française qu’elle continue à défendre inlassablement, dans sa galerie située en face du Centre Georges Pompidou. Parmi les photographes présentés, Pierre Jahan, Adolf De Meyer, Jose Maria Sert, Willy Zielke.

Entre deux eaux constitue la réponse de Pascal Amoyel et Nicolas Giraud à une nouvelle invitation de Michèle Chomette. En contrepoint – sinon à contre-pied – d’Intrusions, exposition conçue par les deux commissaires début 2010, leur présente proposition, confrontant collections historiques et artistes contemporains de la galerie et œuvres extérieures, migre au delà du territoire alors exploré.

À une construction rigoureuse, faite de renvois successifs et de convergences vers une essence du photographique, succède une forme plus souple, à la plasticité assumée. Les points de fuite qu’avaient incarné Inert Gas (1969) de Robert Barry ou le statement Perhaps when reproduced (1970) de Lawrence Weiner, ouvrent aujourd’hui la voie à une dynamique qui déborde le seul champ de l’image. Convoquant un état d’instabilité du processus photographique, cherchant à observer comment il se répand dans l’espace et le façonne, Entre deux eaux esquisse, entre les œuvres, un jeu de passages, de contaminations, d’échanges, mettant en lumière des processus ou des objets hybrides, aux bords du photographique, en regard d’autres pratiques.

Dans cette zone fluctuante, le photographique convoque ses états limites, creusant la surface et coulant par le fond, en perte d’équilibre mais suspendu à un incertain point de bascule. Image en latence, fruit d’expérimentations chimiques, l’œuvre se situe parfois sur le seuil de son existence, de sa visibilité sinon de sa lisibilité (François-Auguste Ravier, Christian Galzin, Bernar Venet). Ailleurs, c’est dans la matière même que la photographie s’arroge une dimension physique, celle du contact, de l’arrachement, ou de la coupure (Éric Rondepierre, Henri Foucault, Isabelle Giovacchini). De la matière au volume, le photographique circule d’un champ à un autre, comme chez François Méchain où seule la prise de vue permet de rassembler comme sculpture une œuvre in situ et la parachève. Inversement, sa présence dans l’image peut s’amenuiser, voire s’évider, pour laisser apparaître, en creux, le geste de l’auteur (Loïc Raguénès).

Pièce contre pièce, d’un support à l’autre, par contact ou à distance, s’engendre alors, progressivement, par la mise en vacillement du médium, un territoire incertain, une zone d’échange. Là, des passerelles permettent des hybridations nouvelles et dessinent pour le spectateur un paysage aux contours changeants, où l’abstrait prend pied dans le concret, où l’espace mental résonne dans l’espace physique (Jean Pascal Princiaux). C’est la traversée de ces étendues qui permet de découvrir des points à l’équilibre précaire.

Marine Hugonnier et Riwan Tromeur se rencontrent dans leurs parcours opposés des Grands Nords, un espace réel se creuse, tandis qu’un vide s’incarne en paysage. Les œuvres ouvrent sur plusieurs strates, parfois contradictoires, évoluant dans des lieux au statut irrésolu, telle la rue Mallet-Stevens, lieu d’habitation, décor de films et « site momentané d’expérimentations par le medium photographique » (Charlotte Moth).

L’accumulation des images, loin de la fonction rassurante des ‘séries’ photographiques, participent de ce vacillement, du recensement de ce territoire instable. Amorce d’un éventuel saut cinétique (Eadweard Muybridge), d’un changement de support, voire de statut, jusqu’à l’archive et à l’ouvrage imprimé, la démultiplication des images déplace leur portée, accroît leur perméabilité et dessine les contours de zones intermédiaires, telle la banlieue de Boise, photographiée par David Lynch, ou les alentours des maisons de jeu qui apparaissent en creux dans le livre-objet de Stephen Gill. Le livre, ici, n’est pas réceptacle, mais machine, augmentant la volatilité de l’image et modifiant, dans le même temps, l’expérience que nous en avons. Comme la photographie, il répète l’espace mais dans un langage différent et, ce faisant, affirme l’altérité de son identité, bien loin de son rôle entendu de trace ou de référence.

Objet, son, ou film, initiant une relation duelle au lieu, y frayent une dimension supplémentaire (Charlotte Charbonnel, Hanna Hartman, Paulette Phillips), et texte ou peinture (Mark Weiss, Andrew Grassie) viennent questionner un espace tout à la fois mental et physique, telle cette photographie d’Adolf de Meyer, prise de vue de la reproduction de l’image d’un salon de musique, habité par les scènes réalisées, d’après études photographiques, par le peintre muraliste José Maria Sert.

L’une après l’autre, Entre deux eaux, les œuvres réunies, travaillent ensemble, par le medium qu’elles adoptent, par ce qu’elles montrent ou cachent, par les principes, codes et théories qu’elles convoquent ou détraquent, adressant à chacun un appel à redessiner les cartes du photographique. »

Pascal Amoyel & Nicolas Giraud

Jusqu’au 12 mars
Galerie michèle chomette
24, rue Beaubourg
75003 Paris

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