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Les Douches La Galerie : Vivian Maier : Self-Portraits

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Les Douches la Galerie présente une nouvelle sélection d’autoportraits de Vivian Maier. Réalisés entre 1953 et les années 1970, ils témoignent encore une fois de son œil pour les réflexions, de son grand sens de la composition et plus largement, de la richesse de son œuvre.

 

L’autoportrait : regard sur Vivian Maier

Par Elizabeth Avedon

Je me suis souvent demandé pourquoi on saisit sa propre image, ce que signifie le fait d’être représenté des deux côtés du cadre. Je ne me résous pas à n’y voir que pure vanité, pur narcissisme. On pourrait penser, non sans une certaine naïveté, qu’un autoportrait nous informe sur la personne photographiée. En observant le sujet représenté, ainsi que le regard porté sur lui, nous pensons pouvoir deviner des choses sur sa vie, son travail, sa journée. En cherchant l’expression, nous discernons des vêtements, des choix, un environnement – tentative, somme toute, de résoudre le mystère du « moi ».

Je ne suis pas certaine que l’on puisse lire ce « moi » dans les autoportraits de Vivian Maier, ni même suivre l’évolution de sa vie à travers ses images. Nous observons ses autoportraits en quête de révélations, mais elle ne nous livre que très peu de choses. Elle est seule dans ses pensées. Difficile d’imaginer son point de vue. Pas une trace d’émotion ni de réaction. Pas un seul portrait à deux. Elle n’est presque jamais accompagnée, ou parfois d’un enfant. La force du personnage de Maier réside dans la personnalité qui nous regarde à son tour. Un regard d’une grande intransigeance ; et il est paradoxal, pour une personne aussi secrète et indépendante, que ce soient ses autoportraits qui, à ce jour, se sont avérés ses œuvres les plus marquantes.

Elle semblait incarner une sagesse photographique qui la dépassait – toujours dans la composition, rarement dans l’émotion. Parfois, elle fait des choix géniaux : parfois, simplement un essai. Son œuvre regorge de surfaces réfléchissantes, de vitres – un monde mis en abyme à travers des cadres, des embrasures de portes, des châssis, son ombre se projetant sur la vie des autres, sur le trottoir, sur le dos d’inconnus. À travers son objectif, nous voyons son image se refléter sur une surface, image plane répétée suivant plusieurs angles.

Nulle grande émotion n’est exprimée dans ces autoportraits, peu d’action, de la curiosité plutôt que de l’introspection, de la composition plutôt que de l’émotion. Il pouvait arriver qu’elle sourît, bien que rarement – Vivian Maier semblait avoir une double vie : sa vie domestique, avec toutes ses contradictions, et sa vie personnelle, dédiée à la création. Elle jetait sur le monde un regard connaisseur, mais ne permit jamais à quiconque de devenir témoin ou spectateur de son travail. On imagine volontiers que cette femme profondément intuitive était une personne difficile : décalée, complexe, vivant dans son monde à elle. (…)

Je suppose que ce qui intéressait Vivian Maier, ce n’était pas, en soi, de réaliser des portraits d’elle, mais plutôt de proposer un aperçu, un regard sur les multiples facettes qui coexistent dans un corps. Je pense qu’il y a des indices cachés dans les autoportraits de son ombre. Dans certaines civilisations antiques, l’ombre évoque un doppelgänger. L’œuvre de Maier en est pleine. Des ombres sur les trottoirs, des ombres empiétant sur les vitrines, sur les étals de journaux, sur les feuilles mortes – où qu’elle veuille se trouver… Qui est le véritable dépositaire de ces images qu’elle n’a jamais montrées à personne ? (…)

Si je pouvais interroger Vivian Maier sur ses intentions dans sa photographie, j’imagine qu’elle me dirait : Ce qui m’a poussée à avoir cette vie secrète ? Voici ma réponse : « Ne cherchez pas à le savoir.

» En vérité, j’ai longtemps résisté. Ce n’est que récemment que je me suis mise à observer de près toute son œuvre publiée, m’y plongeant comme si j’avais trouvé une bouteille jetée à la mer il y a plus de cinquante ans. J’ai été soufflée par son talent. C’est une cadreuse hors-pair et le mystère qui entoure l’histoire de sa vie est captivant. Finalement, il est sans doute impossible de comprendre ou de connaître vraiment Vivian Maier, mais la force de ses photographies nous offre une ouverture sur son univers caché. Son œuvre respire la pureté photographique, l’amour de ce travail charnel du photographe. Point besoin de témoin ni de collaborateur, l’œuvre reste là, libre, dénuée de tout désir de reconnaissance, de notoriété ou de célébrité.

L’œuvre photographique contemporaine aspire souvent à quelque chose. Elle exige un public, ou nécessite des subventions. Elle a besoin qu’on l’aime, qu’on la partage, ou qu’on la commente. Aujourd’hui, les images ne se contentent pas d’exister en elles-mêmes, elles recherchent le jugement, l’approbation, traînant dans leur sillon une assourdissante et répétitive rhétorique. Les photographies de Vivian Maier ont l’extraordinaire singularité d’avoir seulement voulu être prises. Quelle magie. Un génie méconnu.

Elizabeth Avedon

Extraits de « Vivian Maier, Self-Portraits », powerHouse Books, Brooklyn, NY, 2013

 

Vivian Maier – Biographie

Vivian Maier photographia inlassablement les rues de Chicago et New York, mais son talent resta anonyme toute sa vie. Nourrice de profession, elle profita de chaque instant libre pour arpenter les rues, son Rolleiflex au cou, portant un regard aiguisé sur l’humain dans la ville et laissant des autoportraits saisissants. Elle ne montra ses photos à personne et sa récente découverte, véritable romance américaine, révèle une des photographes les plus brillantes de la street photography.

En 2007, John Maloof découvre dans une salle de vente de Chicago un lot contenant des milliers de négatifs, ainsi que des pellicules non développées et quelques tirages. Ses recherches lui permirent de découvrir que ce lot n’était qu’une partie d’un corpus qu’il rassembla en rachetant les nombreuses boîtes de négatifs, pellicules et documents. Ses recherches sur internet restent infructueuses jusqu’en 2009, lorsqu’un avis de décès est publié dans le Chicago Tribune, indiquant que Vivian Maier est décédée quelques jours plus tôt, à l’âge de 83 ans.

Vivian Maier est née en 1926 dans le Bronx d’un père austro-hongrois et d’une mère française. Elle passa son enfance avec sa mère, entre la France et les Etats-Unis. Il semble qu’une amie de sa mère, Jeanne Bertrand, photographe portraitiste, l’initiera à la photographie. Vivian Maier pris ses premiers clichés en France vers 1949 avec un Kodak Brownie, appareil simple destiné à l’amateur.

Elle retourne aux États-Unis en 1951. Elle devient nourrice et travaille pour une famille à Southampton, dans la banlieue de New York. Elle achète en 1952 un Rolleiflex, appareil moyen format couramment utilisé par les photographes de l’époque. La photographie prend alors une part de plus en plus importante de sa vie. Quittant New York pour Chicago en 1956, elle entre au service de la famille Gensburg. Elle y élève leurs trois enfants et utilise sa salle de bains pour y développer ses films. Débute alors la période la plus prolifique de l’œuvre de Maier.

En quittant les Gensburg dix-sept ans plus tard, Maier ne peut plus développer elle-même ses films. Travaillant de famille en famille, elle emporte avec elle de plus en plus de pellicules non développées et de photos non tirées. Elle photographia jusqu’à la fin des années 1990, s’essayant à la couleur. Ces pellicules resteront également non développés, tant ses soucis financiers deviennent importants. Elle stocke alors ses négatifs, pellicules et documents dans un storage. Au début des années 2000, les enfants Gensburg la prennent en charge et la logent dans un petit studio. Ses affaires sont oubliées jusqu’à ce qu’elles se retrouvent en 2007 dans une vente aux enchères pour impayés, sans qu’elle le sache. Vivian Maier décède en 2009 des suites d’une chute.

Une partie de son œuvre est cataloguée par John Maloof, reconstruisant minutieusement un vaste corpus de 143 000 négatifs auxquels s’ajoutent des films et des documents audio. Ses photographies sont exposées dans de nombreux pays. Le livre Vivian Maier : Street Photographer fut publié en 2011, suivi en 2013 par Vivian Maier : Self-portraits, puis par Vivian Maier: The Color Work en 2018. Le film « À la recherche de Vivian Maier », réalisé par John Maloof et Charlie Siskel, a été nominé pour l’oscar   du meilleur documentaire en 2015.

 

Vivian Maier : Self-Portraits

Jusqu’au 30 janvier 2021

Les Douches la Galerie

5, rue Legouvé 75010 Paris

www.lesdoucheslagalerie.com

Fermeture jusqu’à nouvel ordre

Horaires habituels : Du mercredi au samedi de 14h à 19h, ou sur rendez-vous

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