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Les couleurs de Plossu par Christian Caujolle

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Au moment où les Rencontres d’Arles se préparent à célébrer le noir et blanc, non loin de là, au Pavillon Populaire de Montpellier qu’anime Gilles Mora, ancien Directeur artistique d’Arles, consacre son exposition d’été à un auteur qui aurait pu avoir sa place à Arles. Bernard Plossu est, en effet connu et reconnu pour sa pratique, argentique et en tous sens, d’un noir et blanc souple, impressionniste, riche de gris étagés, de souffles et d’espaces, de voyages et de rencontres. Mais, de façon surprenante, c’est sur la couleur de l’auteur de « Le voyage Mexicain » – Ed. Contrejour, 1979 – qui changea radicalement notre perception de ce qu’était ou pouvait être un livre photographique de voyage que se concentre l’exposition montpelliéraine. Seuls les esprits chagrins et mal intentionnés verront là une guéguerre entre les deux maisons : l’expo Plossu était prévue bien avant que l’on ne sût quelle serait la thématique des bords du Rhône. Et seuls les hasards ont parfois une forme de cocasserie méridionale qui peut prêter à sourire.

S’agissant de la couleur de Bernard Plossu, l’exposition est incontestablement une découverte. L’ensemble montre bien que, à quelques amusantes exceptions près, il ne s’agissait jamais pour celui qui partit dans les années hippy partager le monde davantage que l’explorer, de redoubler ou répéter en couleurs ce qu’il photographiait en noir et blanc. Sa couleur est un choix, une expérience et une expérimentation différente de celle du noir et blanc. Et cela dès les débuts, avec des images parisiennes de 1956 – 1957, jamais éclatantes, déjà empreintes d’une forme de nostalgie, d’un temps étale que vient souligner le choix du tirage Fresson sur lequel nous reviendrons. A l’évidence, ces images sont en couleurs parce qu’elles n’auraient rien signifié en noir et blanc et, contrairement à bien des photographes de l’époque, Plossu compose avec la couleur et ne se contente pas de prendre les mêmes images avec une pellicule différente. La série carrée – « Mer de Glace, Chamonix, 1976 » – qui conclut le parcours est, de ce point de vue parfaitement explicite. Ces cadrages amusés sur les imprimés des robes de l’époque, serrés, juste intéressés par la façon dont les teintes se nouent en formes est une jolie variation sur la palette, sur le goût d’une époque, sur l’ordinaire du monde.

C’est d’ailleurs ce banal, ces presque riens auxquels nous en prêterions pas garde si le photographe en les avait pas cadrés qui constituent l’ensemble d’accueil – et le plus convaincant – de l’exposition. Détails, objets, chaussures, angles de murs, plans qui articulent leurs teintes révélées par des lumières différentes, apparitions et énigmes, tout concourt à nous faire partager une étrangeté du monde. Comment le jus d’orange qui a débordé du verre laisse-t-il intact le pied transparent pris dans la mare de liquide jaune ? Comment les ampoules, toutes blanches et irréelles, peuvent-elles se refléter ainsi, en suspension, sur le laqué rouge – que l’on aurait envie, par jeu, de rapprocher de la célèbre image, elle horizontale, de William Eggleston – du mur ? On pourrait ainsi multiplier les exemples, jusqu’à la clé fichée dans la serrure, comme marquée de sang, qui sert d’image emblématique à l’exposition.

Après, à l’image peut-être des pratiques brouillonnes, libres, sans cesse en décollage de l’auteur, le propos se perd un peu. Certes, on apprécie des séquences de néons, exercice un peu forcé, certes on ne peut que prendre du plaisir à voir comment, se jouant de tous les appareils, du jetable au jouet, du Nikon au petit Kodak amateur – on finit par lire tous les cartels qui mentionnent les appareils et les optiques, un peu comme le faisaient certaines revues pour amateurs dans les années soixante – Plossu essaie, s’amuse, enregistre avec vraisemblablement une curiosité pour ce qu’il ne découvrira qu’après, plus tard. Pour l’instant, il vit la prise de vue comme il respire, il y a du bonheur, des perspectives, des personnages, une capacité d’émerveillement. Hélas, l’exposition est trop copieuse, inégale en fait en raison de certains manques de choix et des images convenues, à la limite de la carte-vue, desservent bien des pépites. Il n’en demeure pas moins que – et c’est bien normal pour ce familier de la Beat Generation – les images de routes, qu’elles soient rectangulaires ou panoramiques, souvent par temps gris ou sous la pluie, véhiculent une émotion mezzo voce comme on les aime.

Le bonheur de l’exposition, c’est cette sereine affirmation d’un point de vue singulier, de cette liberté à pratiquer un pictorialisme de bon aloi qui peut dialoguer aussi bien avec Hopper qu’avec l’Ecole de Pont Aven, se souvenir de la palette de Morandi pour une étrange vision de mur en Bretagne, faire penser – une fois – à Luigi Ghirri avec une vue de l’île Ventotene ou simplement traquer le vent que l’on ne capturera pas. Ce pictorialisme est accentué par la douceur, les pastels et le grain du Fresson, des petits formats – pourquoi trois images plus grandes, en haut ? – et l’on ne se soucie pas de savoir si l’on est en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis ou au Mexique. La géographie du bonheur est celle que l’on décide pour sa vie.

Raison de plus – même si l’on en comprend les enjeux locaux – d’éviter les panoramiques récents réalisés à Montpellier, tellement éloignés de l’inspiration et de l’élégance sans effort qui traversent l’ensemble et en font un beau moment d’été.

Christian Caujolle

Couleurs Plossu
Séquences photographiques 1956-2013

Jusqu’au 6 octobre 2013
Pavillon Populaire
Espace d’art photographique
Esplanade Charles-De-Gaulle
34000 Montpellier
France
Tél : 04.67.66.13.46.
Entrée libre.
Du mardi au dimanche.

Catalogue aux Editions Hazan, 24,95 Euros
Direction artistique : Gilles Mora
Commissariat : Marc Donnadieu

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