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Le Questionnaire : Suzanne Stein par Carole Schmitz

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Suzanne Stein : Raconteuse d’Histoire

Suzanne Stein est une artiste qui se consacre essentiellement à la photographie de rue. Ses images sont poignantes et son travail est souvent très proche du documentaire.

Elle a étudié à l’Université de Pennsylvanie, à la «Pennsylvania Academy of Fine Arts» et à la «Art Students‘ League »de New York. Actuellement publiée en Californie du Sud, elle s’interesse particulièrement à Los Angeles et à Skid Row. Elle est toujours à la recherche de personnages et d’histoires qui la captivent, présentant des récits visuels et contextuels en utilisant sa double approche de photographe de rue et d’écrivain.

Ses images mettent en lumière le coté obscur de notre société et racontent ses rencontres avec ces vies singulières, principalement celles de personnes qu’elle croise au gré de ses voyages qui vivent en marge de notre société. L’un de ces derniers essai en date est celui de Ginette, une dame d’un certain âge qui occupe le même petit appartement insalubre de l’East Village depuis 46 ans. Le temps y semble suspendu. Elle y vit entourée de ses trésors: une collection de petits objets du quotidien

Son approche n’est jamais intrusive et son regard toujours bienveillant.

 

Votre premier déclic photographique?

Suzanne Stein : La première fois que j’ai senti qu’une photographie que j’avais faite avait été prise par un vrai photographe, c’était celle que j’ai faite au centre-ville de Los Angeles. C’était sur Skid Row. C’était une image en noir et blanc de Jerry, qui mendiait dans la rue. Jerry avait subi une défiguration suite à une blessure par balle et était très intimidant au début, mais un gentleman une fois que vous aviez fait plus ample connaissance avec lui. Bien qu’il s’agisse d’une image incroyablement simple en surface, elle est néanmoins complexe. C’est à ce moment là que j’ai su que j’étais photographe. C’est donc mon premier vrai déclic, la chose était devenue réelle … comme dans l’histoire du Lapin de Velours, un animal en peluche qui est devenu Réel une fois qu’il a été aimé par un enfant.

 

Le photographe qui vous inspire?

Suzanne Stein : J’adore Saul Leiter, Alexandra Boulat. Je ne passe pas beaucoup de temps à étudier le travail des autres … mais je pense que les travaux d’Henri Huet, de W.Eugene Smith, d’Helen Levitt, et peut-être de Martin Parr – des images de la Seconde Guerre mondiale et du Vietnam que j’ai vues lorsque j’étais plus jeune – ont créé une fondation invisible dans mon esprit. Mais pour une raison que j’ignore, l’inspiration la plus consciente me vient en regardant des peintures… Norman Rockwell et Vermeer parmi tant d’autres … tous très différents mais extrêmement inspirants.

 

L’image que vous auriez aimé faire ?

Suzanne Stein : Il y a beaucoup d’images que j’aurais aimé faire! Chaque jour je pense aussi à celles que j’aurais pu faire et que j’ai manqué. Des trucs simples, pas seulement ces instants fantastiques dont nous avons tous envie d’être témoins afin de les capturer à jamais . À Williamsburg, Brooklyn, il y avait récemment un homme hassidique portant sa jolie petite fille juste avant le coucher du soleil un soir de Chabbat, de gros flocons de neige tombaient et la vue de sa petite main blanche avec une mitaine en tricot rouge suspendue à son poignet, ses mains jointes autour d’elle. … c’était comme une peinture! Et … je l’ai manqué parce que saisir cette image aurait signifié que j’aurais dû être très intrusive dans un moment de calme, et c’était une intrusion extrêmement inappropriée. Je pense à cette perte depuis des jours maintenant …

 

Celle qui vous a le plus ému?

Suzanne Stein : Il y a plusieurs photos qui sont très émouvantes pour moi … il y a un portrait que j’ai fait d’India sous un porche de Skid Row, elle avait l’œil noirci par un coup de poing abusif. Il y a aussi cette photo de Ginette sur son lit, dans une douleur terrible, une autre de Doreen et Gary dans une étreinte sur Skid Row.

Décembre 2019. Ginette dans son lit, immobilisée par les douleurs de l’arthrite et des troubles dégénératifs de la colonne vertébrale. A cela s’additionne une pancréatite chronique, diagnostiquée très tardivement par un corps médical arrogant et distant. Ce matin-là, elle a dû renoncer à assister à la parade de l’East Village, n’étant pas capable de se lever.   Suzanne Stein

 

Et celle qui vous a mise en colère?

Suzanne Stein : La photo d’India que j’ai faite sous un porche de Skid Row dans le centre-ville de Los Angeles me met très en colère. Elle était belle, très délicate, vulnérable, et une cible constante pour toutes sortes d’abus. Son œil au beurre noir dans l’image, associé aux nombreux regards méfiants et humiliants auxquels elle a fait face pendant que je la photographiais était exaspérant. Elle a depuis été portée disparue par sa famille.

 

La qualité nécessaire pour être un bon photographe?

Suzanne Stein : Qualités! La première et la plus importante est un dévouement intense, suivi de près par l’originalité, l’endurance et la persévérance et la volonté d’oublier ce que les autres pensent de vous. La capacité d’aborder une situation avec une perspective qui n’est pas influencée par l’opinion ou les goûts dominants. Avoir une peau épaisse, devenant insensible au rejet de son travail. Parce que si vous permettez au rejet de s’immicer dans votre psychologie en tant que photographe, cela peut vous anéantir.

 

Le secret de l’image parfaite, si elle existe?

Suzanne Stein : Je suis depuis toujours à la recherche de ce secret L’image parfaite est possible si l’on croit en ses instincts et ne pas laisser l’autocritique interférer dans notre processus. Il suffit de suivre ses impulsions, de les écouter infailliblement. Et de comprendre qu’il n’y a pas d’images vraiment parfaites, sachant qu’un excellent travail peut être imparfait. De plus, les imperfections peuvent être captivantes.

 

Votre premier appareil photo?

Suzanne Stein : Un Fujifilm XT-1

 

Celui que vous utilisez actuellement?

Suzanne Stein : Celui que j’utilise le plus est un Sony A7riv. JMais j’ai également un A7riii, un Fujifilm X100V et un XT4.

 

Votre drogue préférée?

Suzanne Stein : Pas de drogue d’aucune sorte depuis de nombreuses années … Maintenant, la photographie est ce dont j’abuse, avec la crème glacée. Cependant à l’époque lointaine à laquelle il m’arrivait de consommer des substances illicites, c’était surtout de la codéine dont j’étais le plus susceptible d’abuser.

 

Votre plus grande qualité?

Suzanne Stein : Je n’en ai pas beaucoup! Je pardonne et je persévère.

 

Une image pour illustrer un nouveau billet de banque?

Suzanne Stein : Si ce doit être une des miennes, j’opterais pour celle que j’ai faite sur la 6e avenue de plusieurs cousins, tous âgés de moins de six ans et buvant des sodas. Les billets de banque sont ennuyeux … alors pourquoi ne pas utiliser une image contemporaine de la vie, pour y insérer un peu d’humour et de réalisme.

 

Le travail que vous ne pourriez jamais faire?

Suzanne Stein : J’aurais beaucoup de difficulté avec un travail qui m’obligerait à présenter un point de vue rigide, déjà établi par le client, qui occulte ou laisse de côté les éléments essentiels et véridiques d’une histoire ou d’une situation. Je ne suis pas une pom-pom girl et malheureusement cela ne fonctionne pas toujours en ma faveur!

 

Votre plus grande extravagance?

Suzanne Stein : Je ne suis pas de nature extravagante … mais l’été dernier j’ai acheté un objectif 135 mm que j’adore mais je l’ai payé incroyablement cher. Et dans la foulée j’ai acheté un 90 mm! Sinon, j’aime les glaces artisanales … et je dépenserai tout ce qu’il faut pour me faire plaisir. J’adore les desserts et les meilleurs objectifs qui soient pour mes appareils photo ….

 

Votre plus grand regret?

Suzanne Stein : Je regrette d’avoir passé beaucoup trop de temps à tolérer les comportements abusifs. C’était du temps perdu, que jamais je ne pourrais rattraper. L’autre chose que je regrette profondément est d’avoir donner mon bien-aimé Yorkshire Terrier lorsque mon fils était bébé. Je suis hanté par cela maintenant et je peux à peine penser à la perte de sa compagnie.

 

Instagram, Facebook, TikTok ou Snapchat?

Suzanne Stein : Instagram: suzanne_stein

 

Couleur ou noir et blanc?

Suzanne Stein : Couleur!

 

Lumière du jour ou lumière de studio?

Suzanne Stein : La lumière du jour pour toujours!

 

Si Dieu existait, lui demanderiez-vous de poser pour vous, ou prendriez-vous un selfie avec lui?

Suzanne Stein : Dieu est-il un Lui? S’il y a une force créatrice dans l’univers, je doute que ce soit sous la forme d’un humain. Je pense que Dieu est partout et nulle part. Mais si nous supposons que Dieu est sous une forme physique et photographiable, je photographierais Dieu de la même manière que je photographie n’importe qui dans la rue. Un réalisme brutal est définitivement nécessaire.

 

L’image qui représente pour vous l’état actuel du monde?

Suzanne Stein : Je ne pense pas que moi ou quiconque d’autre ayons une image qui pourrait représenter l’état actuel du monde. Je pense que «le monde» est l’une des nombreuses expériences vécues par un individu, que cette vie soit humaine, insecte ou autre. Pas seulement diverses facettes de la réalité ou des différences d’expressions culturelles. Une mosaïque, un kaléidoscope, une altération constante. Une grande partie du monde est suspendue dans le chagrin tandis que d’autres sont dans les cafés à bruncher un samedi après-midi. C’est si clairement indiqué, partout où je regarde à New York, c’est certain. Il y en a une photo que j’ai prise dans le centre-ville qui raconte quelque chose sur la vie aux États-Unis. Une femme faisant la sieste, allongée sur le trottoir à côté d’un énorme tas d’ordures. Derrière elle passait un bus sur lequel était placardé une image ventant un style de vie luxueux avec le mot «milliards» en lettres dorées. L’image était très ironique. Ma photo préférée est celle de Tomoko Uemura de W. Eugene Smith dans son bain et elle dit tout. Tant de sous-textes et d’histoire, d’amour et de perte, d’injustice et de chagrin, d’endurance, de persévérance, monstrueux et incroyablement belle. Donc si je devais choisir une image représentant l’état actuel du monde, ce serait cette image.

Tomoko Uemura in Her Bath (1971) © W. Eugene Smith

 

https://suzannesteinphoto.blog/

https://suzannesteinphotography.smugmug.com/

Instagram : @suzanne_stein

 

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