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L’ADAGP et la protection de la photographie, épisode 2

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Protéger la photographie, ses artistes, leurs œuvres. La mission peut paraître grandiose, elle repose en grande partie sur le droit d’auteur. Hier, nous vous proposions un coup d’œil sur la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP). Aujourd’hui nous vous présentons des combats récemment menés en faveur du droit d’auteur.

  

Sur l’affaire de l’exception de panorama

En 2015, l’exception de panorama a gagné jusqu’aux colonnes du Monde. Il est rare de voir le droit d’auteur dans nos journaux. Le sujet reste souvent confiné à la presse spécialisée. Pourtant ce cas a ouvert de nombreux débats, en France comme en Europe.

Revenons aux prémices de l’affaire. Début 2015, Wikipédia monte au créneau. La société soutient qu’il est insupportable de devoir demander l’autorisation pour diffuser et exploiter commercialement des photographies d’œuvres présentes dans l’espace public (bâtiments, statues, fresques, vitraux). Au nom du droit d’accès à la connaissance et à la culture, il faut une exception aux droits d’auteur. Soutien sans faille de la libre circulation des connaissances, la firme américaine voit se dresser sur son chemin l’ADAGP. Pour les auteurs des arts visuels, Wikipédia n’a jamais été vue comme un problème : l’ADAGP n’a jamais demandé de droits à l’encyclopédie collaborative, pourtant richement illustrée. Mais s’il s’agit d’autoriser tout tiers à en faire de même, sans aucun contrôle ni rémunération, c’est une autre affaire ! Le désaccord est profond. Une rencontre a lieu.

Wikipédia avance un argument en apparence recevable. « Grosso modo, l’argument tenait à cela », nous raconte Marie-Anne Ferry-Fall, directrice générale de l’ADAGP. « Quand on fait une fiche Wikipédia sur Le Corbusier, sur n’importe quelle œuvre située dans l’espace public, je ne peux pas illustrer gratuitement l’article avec des photographies de ses bâtiments. Le droit français m’impose de m’acquitter de droits d’auteur, alors qu’il s’agit d’une photographie anodine d’un panorama. Nous voulons créer une exception. »

Cette exception repose sur une règle adoptée en interne en 2002, qui régit depuis quinze ans l’utilisation des photographies. « Tous les articles doivent être illustrés avec des clichés haute définition, dans la licence la plus maximaliste, autorisant la modification de l’œuvre et sa réutilisation par des tiers, y compris à des fins commerciales. Il n’y a que l’attribution de la photographie (le nom du photographe) qui compte, et non pas le droit d’auteur. »

Exemple avec l’article Wikipédia du Louvre-Lens dont le bâtiment a été conçu par l’agence architecturale SANAA. L’article utilise une photographie de Julien Lanoo, haute qualité. Mais Wikipédia n’a payé de droits d’auteur ni à Julien Lanoo, ni à l’agence architecturale SANAA. Surtout, la licence régissant la photo permet à n’importe quel visiteur de l’utiliser à des fins commerciales. Pourtant, en France, les œuvres dans l’espace public sont protégées par les mêmes droits que les œuvres qui sont par exemple dans les musées. « Pour en prendre l’image, la reproduire et la diffuser dans un cadre professionnel et/ou commercial, il faut l’autorisation de l’auteur et s’il le souhaite, le rémunérer. », précise la directrice de l’ADAGP.

L’affaire devient européenne. Wikipédia, fermement soutenue par Google en coulisses, joue sur les différentes législations de droit d’auteur entre les pays européens et obtient le soutien de plusieurs députés. Julia Reda, député européenne (Parti Pirate) demande qu’une liberté de panorama extrêmement large soit créée. « La terminologie (« liberté ») est importante car l’ADAGP passe inversement pour un partisan de l’oppression » note Marie-Anne Ferry-Fall. « Julia Reda demandait à ce que toute l’Europe harmonise cette liberté de panorama. Elle prenait exemple sur l’Allemagne, où une loi de 1876, bien avant le droit d’auteur en Allemagne, dispose qu’il ne peut pas y avoir de droits d’auteur pour les œuvres dans l’espace public. »

Pour autant, la disparité des législations européennes semble être là encore un argument factice. « C’est entièrement différent en France », lui retorque l’ADAGP. « Ces auteurs-là ont les mêmes droits que les autres auteurs. Du jour au lendemain, peut-on leur retirer leurs droits ? L’harmonisation n’est pas une fin en soi pour niveler les choses, encore faut-il que cela apporte une véritable amélioration. En l’espèce, il n’y a pas le début d’une justification ».

Qu’à cela ne tienne, Wikipédia trouve un nouvel angle d’attaque. Sur les réseaux sociaux et certains médias, les sociétés de droits d’auteur sont tournées en ridicule. Une contre-vérité circule. Un droit d’auteur aussi restrictif empêcherait n’importe quel utilisateur de partager une photographie sur les réseaux sociaux. La directrice de l’ADAGP préfère en rire. « A-t-on jamais vu un touriste être embastillé pour avoir posté une photo de la Tour Eiffel éclairée de nuit sur Facebook ? Se prendre en photographie devant l’œuvre, ou prendre l’œuvre tout court, ne donne pas lieu à du droit d’auteur mais tout au plus à de la copie privée. Personne n’a fait de la prison pour cette raison. »

Et de noter que ce qui pose problème, c’est la qualification juridique des plateformes comme Facebook, Twitter et Instagram. « Dans leurs conditions générales d’utilisation, notamment Facebook, il est imposé que l’utilisateur cède tous les droits et même garantisse que ses photographies sont libres de droit. Donc Wikipédia a utilisé l’argument suivant… Facebook pourrait attaquer le touriste lambda. On voit combien l’argument est fallacieux. Est-ce que cela justifie de changer la loi et de supprimer le droit d’auteur pour les artistes concernés ? »

La réaction des utilisateurs est bien naturelle. Le droit d’auteur paraît lourd et contraignant. « On se dit, ça nous embête, on n’en veut pas de ce truc. C’est ainsi que Wikimédia a réussi à faire passer notre droit d’auteur comme quelque chose de désuet et inutile. », résume plus directement la directrice.

Finalement, en France, la loi du 07 octobre 2016 pour une République-Numérique tranche. Une exception est ouverte et couvre l’usage privé par des particuliers de photographies d’œuvres dans l’espace public. La victoire de Wikipédia est partielle. Certes une exception est créée, mais extrêmement réduite, et le statut européen n’a pas changé. Chaque pays conserve ses propres mécanismes.

 

Sur les moteurs de recherche d’images

En revanche, la victoire est réelle pour l’ADAGP dans une seconde opposition juridique avec quelques-uns des géants du numérique.

« En 2015 puis 2016, la loi création artistique et patrimoine a contraint ceux dont le métier est de scroller le web et d’afficher des murs d’images – et qui vous les affichent comme page intermédiaire sans aller sur le site d’origine – de s’acquitter de droits comme n’importe quel média. ». À l’été 2016, l’ADAGP a obtenu la victoire. Désormais, en France, Google, Qwant, Bing, Baidu etc. doivent s’affranchir de droits. Reste maintenant à convaincre l’Europe.

Et de conclure simplement. « On essaie d’avoir ce genre de dispositions en Europe. L’idée n’est pas de fragiliser Google, d’empêcher le développement de ces entreprises mais de protéger les artistes. Le droit d’auteur s’adapte à l’économie. Il n’a jamais fait couler un éditeur de livre, une chaîne de télé. Si la France met en place un dispositif comme celui-ci, tous les autres pays le feront aussi. »

Arthur Dayras

 

www.adagp.fr

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