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La Chronique Livre : Rebekka Deubner : Strip

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Le corps de notre mère. Celui qui nous a porté, nous a donné naissance, nous a bercé, nous a guidé à travers la vie. Celui dont notre propre corps imite chaque jour un peu plus la forme, obéissant aux troublantes lois de la filiation. Celui-là même qui un jour nous quittera, disparaîtra à jamais. Qu’en restera-t-il alors ? Comment invoquer sa présence ?

À la mort brutale de sa mère, il reste à Rebekka Deubner ses vêtements. Ils sont pour elle les vestiges de ce corps maternel qui lui a été arraché. Par leur odeur, leurs traces d’usures, leurs trous reprisés, ils portent encore sa présence, ils repoussent encore un peu l’absence irrémédiable.

Ces traces de vie, la photographe franco-allemande les a immortalisées dans la chambre noire, réalisant des dizaines de photogrammes multicolores à partir des vêtements qui lui rappelaient particulièrement sa mère : « en transposant les marques du vêtement sur le papier photosensible, la présence de ma mère devenait alors une sorte de mille-feuille passant du corps réel au tirage. Tout cela par l’intermédiaire du vêtement qui servait en quelque sorte de passeur. » Réunis dans l’ouvrage Strip, publié chez September Books, ces photogrammes frôlant parfois l’abstraction forment un portrait en creux de sa mère, qui se révèle couche par couche au gré des étoffes et des coutures.

Le choix du photogramme s’est imposé par la force du sujet. La sensorialité de cette technique qui a amené Rebekka Deubner à toucher les vêtements, à les manipuler pour les placer sur le papier, permet d’abolir les frontières parfois imposées par l’appareil photographique : « L’appareil aurait été de trop pour ce projet. En chambre noire tout le travail se fait de manière sensorielle, à tâtons. J’ai aimé cette expérience. C’était un moment que je pouvais partager avec ma mère que je convoquais par ses vêtements. »

Ce travail en chambre noire va de pair avec des performances, dont les séquences sont reproduites dans l’ouvrage. On y observe la photographe enfiler des vêtements de sa mère, les réactivant par des gestes usuels qu’elle avait l’habitude de faire tout en les détournant de leur but premier en boutonnant, par exemple, différentes chemises entre elles. La performance était essentielle à ses yeux puisqu’elle permettait d’intégrer son propre corps au processus : « pendant la période qui a suivi la mort de ma mère, j’ai ressenti une forte présence de mon corps. J’ai vécu de manière très physique ce choc et le caractère incontrôlable du deuil. J’ai aussi pris conscience que ce qui restait du corps de ma mère était aussi le mien. »

Comme le mille-feuille que mentionnait Rebekka Deubner, Strip est un ouvrage aux multiples strates de lecture : hommage poétique à sa mère autant que « journal de deuil » photographique et expérimental, il est surtout l’occasion d’une dernière rencontre, un adieu inscrit dans la lumière et la couleur.

Zoé Isle de Beauchaine

 

Rebekka Deubner Strip
Édité par September Books
Design : François Santerre
210 x 270 mm, 72 pages
Agrafé
200 exemplaires
35 euros
Disponible dans les bonnes librairies et en ligne

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