Rechercher un article

Kitsch, détournements et trouvailles : le roman-photo au Mucem

Preview

Le Mucem, à Marseille, accueille jusqu’au 23 avril l’exposition Roman-Photo, pensée par les commissaires Frédérique Deschamps et Marie-Charlotte Calafat. L’exposition retrace le succès populaire de ce format de la littérature à l’eau-de-rose et catalogue ses différents détournements éditoriaux et artistiques, allant de la pornographie à l’humour satirique. Drôle, décalée comme savante, l’exposition ouvre une merveilleuse fenêtre de compréhension sur la société française depuis 1960.

À nos plus jeunes lecteurs comme à nos mémoires défraichies, une courte histoire du roman-photo s’avère nécessaire. L’exposition du Mucem bien plus complète que ses courtes phrases, retrace toute la trajectoire de cet objet littéraire et photographique. Le roman-photo naît simultanément en 1947, dans deux revues italiennes, Il Moi Sogno et Bolero Film. La même année, Nous Deux, son pendant français, est créé. Deux ans suivent, le réalisateur Michelangelo Antonioni tourne le documentaire L’Amorosa Menzogna (Mensonge amoureux) qui intègre dans sa trame le tournage d’un roman-photo. L’intérêt est tout vif, il se confirme les années suivantes. En 1957, Nous Deux tirent 1,5 millions d’exemplaires par semaine ! En France seule, un français sur trois lits des romans-photos dans les années 1960. Aujourd’hui encore, le magazine francophone le plus lu, Nous Deux, tire 350 000 exemplaires par semaine.

L’objet intrigue, fascine, il devient peu à peu un passage obligé des stars de la chanson, des acteurs et actrices en vogue ou des sportifs tentés par l’éclairage. Dans les années 50 et 60, Carmen Maura, Johnny Halliday, Dalida, Jacques Dutronc ou encore le cycliste Hugo Koblet sont à l’affiche de romans-photos phares, parfois niais, savoureux à relire. Sylvie Vartan, Sacha Distel, Frank Alamo, Klaus Kinski… Tous sont passés par là et témoignent de la popularité du médium.

Son histoire majestueuse, véritable catalyseur des passions qu’on jugerait hâtivement populaires, est l’objet de la première partie de l’exposition. L’engouement de près de 30 ans pour le roman-photo montre qu’il est lu par tous types de lecteurs. Aussi bien un format recherché, esthétique, utilisé et exploré les cinéastes, qu’objet attendu chaque semaine et manipulé des véritables spécialistes de la passion, tel le réalisateur Hubert Serra qui publia environ 800 romans-photos.

L’exposition permet également de comprendre les liens étroits entre le roman-photo et le cinéma. L’exemple du photographe de plateau Raymond Cachetier et de son roman-photo fabriqué à partir des planches-contacts du tournage d’À bout de Souffle de Godard est une merveille. Les scènes lascives de Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo deviennent le prétexte d’une passion impossible, utilisant tous les ressorts du genre (larmes à gogo, idylle de la liberté amoureuse, intimité et érotisme).

 

Autre exemple de sa popularité, le roman-photo est lu mondialement. Italie, France, Espagne bien entendu, mais aussi en Amérique du Sud (Argentine et Brésil), Iran, jusqu’en Afrique du Sud. Si bien que le Pape Jean XXIII ou les communistes, dénonceront, chacun ayant leurs reproches à dire, ce médium jugé pervertissant (« dangers de la presse du cœur » contre « nouvel opium du peuple »). Roland Barthes juge également ce médium sévèrement : « Nous Deux est un magazine plus obscène que Sade »… Curieusement, le médium s’ancre plus difficilement dans des pays puritains, tel que l’Angleterre ou les Etats-Unis, où la culture de l’image religieuse comme populaire a été historiquement combattue.

Si la première partie de l’exposition est un formidable coup d’œil sur l’importance historique du roman-photo, la deuxième partie explore les possibilités éditoriales puis artistiques du médium.

Les revues satiriques, telles qu’Hara Kiri, seront parmi les premières à transformer le genre. Certaines planches du Professeur Choron, simples et débiles, font hurler de rire. Coluche notamment prête souvent son corps, son jeu d’acteurs et ses vacheries dans des scénarios imaginés par Gébé et Wolinski.

Le roman-photo est également pourvoyeur d’émotions. Pornographie et horreur ont trouvé dans le genre un merveilleux outil. Miracle éditorial, certains romans-photos combinent les deux. C’est le cas de Satanik, qui fut censurée en 1967. Les planches prêtent aujourd’hui à sourire. Elles étaient autrefois une manière courante d’excitation et de plaisirs.

Autre détournement remarquable. Jordi Bover, dans Parfum d’Amnésium, a imaginé une pièce entière constituée de romans-photos montés, joués et démontés sur scène par ses acteurs. Le résultat, montré sous forme de vidéo, est absolument étonnant et expose toutes les possibilités scéniques d’un objet pourtant plat et souvent linéaire.

Enfin, le Mucem a également voulu rendre hommage aux lecteurs et à sa région. Le photographe Thierry Bouët a tiré le portrait d’une dizaine d’abonnés à la revue Nous Deux, dans la région de Marseille. De l’adolescence au vieil âge, tous lisent encore des romans-photos. « Les gens adorent raconter leurs histoires sentimentales », constate-t-il avec bonheur.

Derrière chaque portrait : des lectures différences. Cette vieille dame, mariée par usage, lisait Nous Deux et connaît ses premiers émois. À la maison, l’érotisme est impossible. Elle continue à lire le magazine, autant par habitude que par fidélité à ses premiers émois. Autre histoire. Une jeune femme joue dans des romans-photos depuis vingt-ans et s’est prise de passion pour le médium. Elle est à la fois actrice et lectrice. Diverses trajectoires, que le photographe a immortalisées avec une « ironie respectueuse », sans moquerie ni dédain.

Dans la lignée de l’exposition, Thierry Boüet montre combien le roman-photo pouvait et peut encore participer à un processus culturel autant qu’à un érotisme discret et réconfortant. Il montre la pluralité des lecteurs, leurs attachements à l’objet, leur soif de continuer la page. Son œuvre s’insère à merveille dans l’exposition. Grâce à cette elle, le roman-photo est enfin compris, dans ses rêves comme dans ses langages.

 

Arthur Dayras

Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.

 

 

Roman-Photo
Du 13 décembre 2017 au 23 avril 2018
Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée
7 Prom. Robert Laffont
13002 Marseille
France

www.mucem.org

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android