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Jérôme Perez – Harmonie, Sur les pas de Nicolas de Staël

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2020 : Photographe et Photographie

65 ans après la disparition tragique de Nicolas de Staël, en quelque sorte, l’histoire se répète. La peinture a montré le chemin aux photographes. Avec la naissance de la photographie, les peintres ont été interpellés et ils ont su trouver un nouveau chemin. Avec la trilogie internet-réseaux sociaux-smartphones, les photographes sont à leur tour bousculés et doivent se montrer inventifs pour leur avenir.

Avant 1826 la peinture règne en maître des arts picturaux. Elle est figurative (paysages, portraits, natures mortes). Niepce invente la photographie qui est instantanée et offre une très bonne représentation du réel. A partir de 1826, l’art pictural figuratif possède deux moyens d’expression concurrents : la peinture et la photographie. Les peintres réfléchissent comment faire une peinture que le photographe ne pourra pas réaliser. La réponse est le mouvement impressionniste qui s’éloigne du figuratif pur, en 1875 environ, avec Renoir comme maître historique.

Cette période (1900-1940) va connaître une explosion de créativité chez les peintres avec des mouvements importants comme le cubisme, le fauvisme, le surréalisme et l’abstrait. Les leaders délaissent le figuratif qui devient le terrain privilégié des photographes. Le surréalisme séduit certains photographes comme Man Ray. Kandinsky en 1913 deviendra le père de la peinture abstraite. Cette effervescence a été très bénéfique et allonge la liste des grands maîtres : Matisse, Chagall , Léger, Braque, Monet, Van Gogh, Cézanne…

De 1945 à nos jours, la peinture n’a plus connu de nouveaux mouvements figuratifs. La peinture abstraite offre d’infinies possibilités de création et la production est féconde. Les peintres ont trouvé leur destinée, et ne s’opposent pas à la photographie. Les deux arts picturaux sont complémentaires.

Jusqu’en 1990, nous sommes dans l’ère de la photographie argentique, figurative très majoritairement (photo-journalisme et reportage, street photography). Les photographes stars appartiennent aux agences comme Sigma et Magnum. La photographie se démocratise, mais le photographe-auteur se démarque par sa maîtrise technique et artistique. Il a trouvé sa place, sa valeur, comme le peintre, et connaît l’age d’or de la photographie.

1990, le World Wide Web voit le jour ainsi que le premier capteur numérique pour appareil photo. Dix années plus tard, internet a une couverture mondiale et la qualité des appareils photo numériques atteint le niveau professionnel. La photo argentique est définitivement morte et l’on passe de la photo-graphie à la photo-fichier. La technologie numérique est adoptée par tous les pratiquants, de monsieur tout-le- monde aux plus grands artistes de la profession. La place et la valeur du photographe se déprécient lentement mais sûrement. Les grandes agences photo disparaissent, preuve de cette crise.

En 2004 naît Facebook suivi des Instagram, Twitter, Snapshat, etc… La diffusion des photos numériques est instantanée, globale et gratuite. Le photographe professionnel entre alors en compétition avec toute la population, au talent près. C’est la gratuité qui l’emporte sur la qualité.

L’iphone 4 est sorti en 2010, c’est à dire hier. Depuis, c’est une invasion. L’addition d’internet, des réseaux sociaux et des smartphones sonne le glas du rôle du photographe au sens de l’ère argentique, avant 1990. Les images n’ont jamais été aussi nombreuses. C’est le nouveau paradigme.

Rappelons nous la réaction des peintres à la découverte de la photographie. Il aura fallu 40 ans pour que la peinture abstraite se détache comme la voie royale qui assurera la pérennité de cet art pictural et des peintres. Depuis 1990, soit 30 ans, le monde de la photographie est bousculé par les révolutions technologiques et les photographes doivent trouver leur nouvelle place dans ce nouveau monde. Je pense que la peinture et la photographie sont deux arts picturaux cousins. Les peintres ont montré le chemin car ils ont été confrontés à un changement de paradigme avant les photographes. L’idée que l’avenir de la photographie soit dans le genre abstrait me paraît une évidence. A l’instar de l’Art Moderne, la photographie expérimente une ère inventive où l’usage des logiciels est poussé dans ses retranchements. Le photographe recherche sa place et sa valeur.

Personnellement, l’appel de l’abstrait m’est irrésistible, sans dogme absolutiste qui voudrait l’opposer à l’expressionnisme et au figuratif. En photographie, l’abstrait naît du réel. Sinon, est-ce encore de la photographie ?

Mon approche de la photo abstraite comprend obligatoirement 4 composants fondamentaux :

Lumière – Couleur – Forme – Matière

Lorsque ces 4 composants forment une harmonie durant le temps d’une étincelle consciente, j’appuie sur le déclencheur et j’ai une photo abstraite. Cette photo libère des émotions.

Liens entre ma photographie et la peinture de Nicolas de Staël

« Avec Nicolas de Staël, tout est frontal. Le créateur saisit l’instantané après avoir longuement médité » selon Jean- Louis Prat. C’est un vocabulaire et une démarche semblables au photographe. Au premier contact, c’est ce qui m’a interpellé et m’a donné envie d’en savoir plus. Le peintre n’oppose pas le figuratif à l’abstrait, il prône l’harmonie. Que du bon sens. Sa théorie sur l’instinct, le hasard, l’accident est très séduisante. Honnête et humble. Pour exemple, quelques écrits de Nicolas de Staël :« Je crois au hasard exactement comme je vois au hasard avec une obstination constante. C’est même cela qui fait que lorsque je vois, je vois comme personne d’autre ». « Je ne peux avancer que d’accident en accident. Dès que je sens une logique trop logique, je vais naturellement à l’illogisme ». « Pour moi l’instinct est de perfection inconsciente et mes tableaux vivent d’imperfection consciente ».

Sa façon de vivre la peinture est identique à ma façon de vivre la photo.

Ma démarche photographique

Serge Poliakoff, 1953 : « L’existence de l’art abstrait sera beaucoup plus longue que celle de mouvements tels que le cubisme ou le fauvisme. Elle aura une évolution aux multiples aspects. L’art abstrait est comme un grand arbre dont les branches sont mues par les vents. Il permet à la liberté d’esprit de s’épanouir et à l’homme de s’exprimer, débarrassé des limites des conventions figuratives. Je suis persuadé que je ne verrai jamais de mon vivant la renaissance d’un art figuratif, et que, pour un artiste abstrait

sincère, il est impossible de revenir au figuratif ». On sait que Poliakoff a raison. Nous vivons une époque où les photographes partent dans toutes les directions offertes par les nouvelles technologies, en particulier les logiciels qui explosent en nombre et en fonctionnalités. Sont-elles les branches de l’arbre dont parle Poliakoff pour la photographie ? L’avenir le dira. Pour ma part, j’ai fait des choix qui mettent en pratique les valeurs que je défends. En accord avec Héraclite : « Si vous n’attendez pas l’inattendu vous n’atteindrez pas la vérité ». Et dans l’esprit de Pierre Courthion : « Il faut cultiver le don rare de transformer en vision intuitive l’extrême qualité de la substance ». On ne peut être qu’humble face à la forme, la couleur, la matière et la lumière (des photons) sans quoi la photographie ne pourrait exister.

Pour rester en accord avec ces valeurs, mes choix technologiques et techniques sont les suivants : Utilisation d’un Leica numérique et d’un seul objectif de 90mm. Développement des négatifs numériques DNG sans aucun recadrage, et en ajustant uniquement l’exposition et la couleur, comme on le ferait avec un film argentique.

La prise de vue comprend toujours un bougé pour rendre l’invisible visible. Ainsi que le disait René de Solier : « Jeter une pierre dans l’eau, sur un champ où l’oeil ne se soucie pas des teintes que prennent les ondes, les vibrations, mais de la surface découverte à l’intérieur de l’élément, puis de la matière ».

Mon processus de création débute toujours par le rêve des émotions que je souhaite offrir au spectateur par l’image. Je ne sais pas quand je pourrai trouver les conditions dans le monde réel pour capturer ces images irréelles. Alors je patiente. La Nature est toute puissante.

Le projet Harmonie

Boucler la boucle. Nicolas de Staël a mis fin à ses jours le 16 mars 1955, de la terrasse de son atelier sur les remparts d’Antibes. Ce sera mon point de départ, 65 ans plus tard. Je referai son parcours du sud au nord, jusqu’à la composition Céladon de 1948 dont les couleurs marquent une évolution chez le peintre. Je ferai tout le périple en saison hivernale pour la qualité de sa lumière que je préfère à toute autre. Sans en être conscient, le sud sera davantage figuratif comme une continuité des années 1954-1955 chez Nicolas De Staël. Puis en remontant vers le nord, je deviendrai de plus en plus abstrait, à la manière du peintre jusqu’en 1953. Durant cet exercice, je me heurte aux différences environnementales que sont l’urbanisation et la pollution de l’air. Pour retrouver le sud des années 50, il faut se perdre sur une île et non sur la Côte d’Azur. Du côté de la Normandie, le ciel est toujours aussi transparent, la lumière encore exceptionnelle. C’est un terrain de jeu idéal, qui fait rêver, donc créer. Raison pour laquelle le projet évolue sur son trajet vers l’abstrait, en 54 tableaux.

Et la boucle est bouclée.

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