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Jean Larivière : Marine, Nuage & Vent

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Marine

Marine est tout simplement le portrait d’un marin.

On le voit là en grande tenue d’hiver.

Il a  passé la vie de sa carrière sous le niveau des mers.

Bien sûr on pense tout de suite au Capitaine Némo.

Quand on le regarde tout est beau : le regard, la décision inscrite sur son visage mais aussi la sérénité, la maîtrise.

Le regard de celui qui toute sa vie s’attend a  recevoir l’ordre d’appuyer sur le bouton rouge fatal.

Sur ce portrait on discerne très bien qu’il est à l’écoute du monde et surtout du monde sous marin.

Plus que le marin qui parcourt les mers il est en communion parfaite avec l’intérieur même des mers et des océans.

C’est pour cela que pour concevoir ce portrait les sons de ce monde sortent de l’image.

(Baleine, dauphins, moteurs d’immenses navires, de bateaux rapide, de torpilles même de crevettes.)

Les détails des sons produits par les mammifères, les détails des bruits d’engrenage.

Maintenant le Commandant est devenu Amiral 5 étoiles, se retire doucement du sable de la plage mais par miracle son passage ne s’efface pas.

 

Portrait d’un nuage

La réalisation de ce portrait est le résultat d’une association de souvenirs.

Une photographie d’enfance, prise au Parc Fenestre, dans la ville thermale de la Bourboule, où je tiens dans mes mains un petit avion fait en peuplier et de gazes recouverts de produits cellulosiques. Mon ami, lui, tient un bateau JEP ruban bleu numéro 1.

Le ruban bleu était décerné aux engins les plus rapides, aussi bien aux transatlantiques qu’aux locomotives, comme par exemple le paquebot Normandie, record entre Le Havre et New York, mais aussi la locomotive S2/6 des chemins de fer royaux Bavarois, qui garda son ruban bleu pendant 29 ans, avec son record de 154km/h de moyenne.

A la Bourboule, tôt le matin nous recevions des soins divers et variés : des bains, douches, humages, palette et tamis, toutes sorte de pulvérisations. Ces soins se terminaient par un voyage dans le grand nuage.

Nous pénétrions dans une salle par un sas après avoir croisé moult chaises à porteurs blanches. Je croyais avoir aperçu des créatures étranges à travers le verre d’un petit œil de bœuf, que possédaient ces chaises à porteurs, traversé par un linteau en croisillon.

L’image était encore présente au moment où, ayant traversé le sas, je rentrais dans le grand nuage.

C’était doux, grand, moelleux. Je ne voyais plus mes pieds ni mes mains, je flottais, j’étais sûr de m’être envolé.

Petit à petit je commençais à entrevoir des formes floues qui glissaient dans l’espace ; puis disparaissaient avant de réapparaitre. Je percevais  des sons faibles, en y prêtant fort attentivement l’oreille, les sons devenaient des voix, puis un chant. Les voix des enfants remplissaient le nuage de leurs réflexions, de leur joie, et aussi de leur mélancolie.

Un petit chant s’approcha de moi puis s’éteint.

J’ai voulu que ce portrait soit protégé à l’intérieur d’une boîte recouverte de Formica, qui lui donne un air des années 1950.

La boîte contient une reproduction exacte de mon avion de 1952, ainsi que des tirages représentants des nuages (pas une magnifique photographie de nuage, mais seulement des photographies de matière brut de nuage pouvant se rapprocher de celle du nuage fabriqué dans l’établissement thermale de mon enfance) prélevés dans les parcelles de nuages photographiés sur les flancs de l’Annapurna.

En 2017, je suis reparti à la Bourboule où j’ai enregistré les voix des enfants évoluant dans le même nuage que celui de mon enfance.

L’avion me permettait dans mes rêves éveillés de le rejoindre, de le pénétrer et de survoler des paysages inexplorés.

La fermeture et la réouverture de la boîte soulignent la vie intérieure de celle-ci, et nous fait ressentir tous ce qu’elle contient.

 

Portrait du vent

Vous connaissez tous le marché d’appareils photos de Bièvres.

J’ai toujours refusé de m’y rendre, pendant de nombreuses années, par snobisme, par orgueil me considérant comme un « vrai » photographe et pas comme un amateur de vieux appareils en cuivre pour poser sur le marbre des commodes.

Un jour mes assistants me convainquent de les y accompagner :

« Venez c’est sympa, on pourra pique-niquer ! »

Je décide d’y aller, je traîne sous les arbres, et sur le gazon les vendeurs présentent des centaines d’objets sur des toiles en plastiques ou des tables pliantes. Je repère un coffret en cuir à la forme bien curieuse pour accueillir un appareil photographique. Je l’ouvre et découvre un très bel objet entre la turbine et le chronomètre.

Qu’est-ce ? Un anémomètre Richard ! C’est pour mesurer et enregistrer la vitesse du vent, je l’achète aussitôt.

Je le ramène à mon atelier, l’accueil n’est pas chaleureux :

– «  Encore un objet de plus ?! »

– « Oui maintenant je suis chasseur de vent ! »

Mais où aller le chercher ? Au Cap Horn bien sûr ! Comment y aller ? Il faut convaincre l’amirauté de m’emmener sur place.

Heureusement j’ai des amis dans la maison car j’avais réalisé, pour la Marine, un reportage à bord d’un sous-marin atomique lanceur d’engins, et ils avaient aimé le reportage.

Je leur raconte mon envie de chasser le vent, et cela leur plait.

En parallèle, j’avance sur la conception et la réalisation de ce portrait.

Je rentre dans un magasin d’instruments anciens, place des Vosges à Paris, une dame charmante m’accueille et je lui demande si elle connaît des instruments qui, sans intervention humaine, permettent de jouer des sons. Elle en connaît, ce sont les harpes éoliennes. Elle en a déjà vu deux ! Récemment ? Non, deux dans sa vie !

C’est la douche froide, encore une idée formidable mais irréalisable…

Heureusement, elle sait que quelques personnes se passionnent encore pour ces instruments et m’indique où les chercher.

Après une recherche, je trouve un belge et un français, qui fabriquent encore des harpes éoliennes.

Je joins le français, professeur dans un collège et pars avec mon assistant le rencontrer en baie de Somme.

Séduit par mon projet, il accepte de me fabriquer cinq instruments de tailles et doc de sons différents. Nous testerons ces harpes sous l’arche de la Défense, où il y a souvent un petit vent. L’essai est concluant.

Parallèlement je fais des croquis du conditionnement : une malle de voyage.

J’embarque avec mon assistant à bord du porte-hélicoptère « la Jeanne d’Arc ». Le voyage durera six semaines, de Rio de Janeiro à Valparaiso, en passant par le Cap Horn.

Branle bas de combat à notre arrivée, car les bateaux ne sont pas habitués à avoir des civils. Encombrants et certes un peu fous, avec des caisses remplies d’éprouvettes en verre et de bouchons de liège, et de drôles de bagages de deux mètres de long, protégeant de curieuses choses. Mais tout s’arrangerai petit à petit pendant le voyage et il en reste de belles amitiés.

Parlons maintenant de ma démarche pendant le voyage. Je me déplaçais sur le bateau et choisissais un endroit où capturer le vent.

Le processus était le suivant : je prenais dans ma main un tube de verre vide et le présentais au vent, au même moment j’approchais une harpe éolienne près de l’embouchure de l’éprouvette. J’enregistrais avec un Nagra le son de la harpe éolienne produit par le vent à l’instant où il rentrait dans le tube de verre, et en même temps nous prenions, au sextant ou au GPS, le point exact où nous avions prélevé sons et vents sur l’océan.

La nuit j’allais tracer la route du vent et répertorier mes points de prises de sons sur une carte, à l’aide de la règle de l’amiral Gras. Soixante-deux points, sons et éprouvettes furent tracés, enregistrés et conservés.

La malle contient donc, dans son deuxième tiroir, soixante-deux éprouvettes numérotées, obturées par un bouchon de liège et scellés par des fils d’or que me donna mon ami François Lesage, grand brodeur, dans ce but. Il disparut peu de temps après.

Dans un premier tiroir, nous découvrons l’anémomètre, une leaflet racontant l’aventure, avec des dessins à la plume et au crayon. Sous cette leaflet, on trouve un tirage d’une image du Cap Horn, tiré au platine. Une loupe permet de faire un petit voyage dans le grain de ce tirage.

Dans le troisième tiroir, les huit cartes où j’ai tracé la route des vents.

Ensuite apparaît dans un écran situé dans le couvercle de malle, une carte électronique retranscrivant mon voyage. L’écran tactile permet de se déplacer de point en point, et aussi d’entendre, en appuyant sur le point désiré, le son du vent émis par la harpe éolienne, enregistré à cet endroit précis. On peut zoomer et dé zoomer sur la carte.

Cela donne une idée parfaite de l’étendu de ce voyage sonore.

Trois touches se trouvent sur l’écran tactile, en dessous de la carte. Le premier permet de voir la carte du voyage mais en 3D, le deuxième et le troisième permettent d’écouter une petite symphonie faite à l’aide des soixante-deux sons enregistrés, avec ou sans la carte visible sur l’écran.

Enfin, le quatrième et dernier tiroir nous permet d’activer l’écran, et le son de la malle.

Et c’est toute cette malle qui contient le portrait du vent.

 

 

 

 

 

 

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