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Jean-François Jaussaud : Portrait Intime

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Elle est l’une des figures artistique majeure du 20e siècle, et bien qu’elle n’ait eut de cesse de placer ses émotions, ses pulsions sexuelles et sa vie personnelle dans ses oeuvres, Louise Bourgeois n’était pas toujours d’un premier abord facile. Il fallait pouvoir montrer patte blanche pour obtenir le précieux sésame. Passé au crible de ses questions après une première rencontre en 1994 dans son atelier de Brooklyn, le photographe Jean-Francois Jaussaud est finalement adoubé par l’artiste. Cette incroyable rencontre permettra à Jean-Francois de réaliser onze années durant des images rares qui montrent l’artiste dans son intimité au coeur de son oeuvre.

 

Parlez nous de votre rencontre avec Louise Bourgeois ?

Louise, c’est une rencontre l’hiver 1994, d’abord un rendez vous dans son bureau de l’atelier de Brooklyn une ancienne usine de confection au 475 Dean Street. Un « interrogatoire » un peu étrange et amusant, une sorte de questionnaire presque administratif, date de naissance, adresse, coordonnées … Elle notait tout méticuleusement dans un petit cahier… Très vite elle s’aperçut que je vivais près de Choisy le Roi, la ville où elle avait passé une partie de son enfance, elle prit alors un grand plaisir à me faire parler de la ville. Elle me demanda d’aller voir le lieu où était sa maison à l’époque et de lui raconter lors de notre prochaine rencontre. Elle me donna rendez vous en avril 1995 pour notre première séance photo. Une condition : je veux voir toutes les photos et si elles ne me plaisent pas je détruis !

 

Elle ne laissait rentrer que peu de monde dans son intimité, comment avez vous réussi à la convaincre de vous laisser faire ce travail ?

Avril 1995, j’arrive au studio de Brooklyn, j’avais embauché un assistant américain pour me donner un coup de main car je transportais du matériel d’éclairage (le studio était morcelé en espaces baignés d’une superbe lumière naturelle et d’autres étaient juste éclairés de simples ampoules électriques). Mon assistant s’appelait Robert Miller, je le présente, cela fit beaucoup rire Louise, c’était aussi le nom de son galeriste ! Louise s’était préparée, spécialement habillée pour son portrait, elle était très soignée et coquette, pas du tout la tenue qu’elle portait habituellement pour travailler au studio. Elle portait plutôt des superpositions de vêtements usés, souvent recouverts d’une blouse bleu ou grise. Première photo, je suis prêt, j’ai choisi cette sculpture « Eyes » deux grosses boules de granit qui font plutôt penser à des seins. La sculpture trône au milieu du studio, Louise est très joyeuse, elle se place face à la caméra, quelques mots, elle se tourne brusquement, se cache le visage, prise d’une rage soudaine, me dit que ce n’est pas acceptable, je l’agresse, « vole son image », elle part se réfugier dans son bureau… Stupeur, je pense que tout est fini, je n’ai qu’à remballer mon matériel et rentrer à Paris. Quelques minutes passent, Louise revient, grand sourire, elle enfonce une casquette blanche sur sa tête, se place face à moi les deux mains sur les blocs de granit : « C’est bon, maintenant tu peux y aller, je suis protégée ».

Deux jours fantastiques dans l’atelier, je suis complètement libre, j’observe, je m’imbibe, je respire le lieu. Louise vient me voir de temps en temps ou bien c’est moi qui la demande pour un nouveau portrait, elle travaille, reçoit, je ne sens que de la joie. Deux jours plus tard, rendez vous à la petite maison de Chelsea, 347W 20th Street, j’ai promis de tout lui montrer. Planches contact N&B, diapositives couleur, j’étale tout sur sa table, elle regarde attentivement, sourit… « C’est bon, tu peux revenir quand tu veux »

 

Vous l’avez suivi 11 années durant, quels ont été les moments les plus marquants ?

Chaque fois que je suis venu prendre des photos, je la rejoignais le matin à 9H nous passions toujours quelques instants à discuter avant que je me mette au travail, elle me parlait alors de ses souvenirs de la France et des artistes qu’elle avait connus. De beaux moments de partage.

 

Qui était-elle derrière l’artiste formidable que nous connaissons ?

Une femme totalement habitée par son art, il n’y avait pas de différence entre sa vie et sa création. Une de ses phrases qui la résume parfaitement : « Art is a guaranty of sanity »

 

Qu’est ce qui a séduit l’oeil du photographe que vous êtes à la fois chez la femme et chez l’artiste ?

Chez la femme et chez l’artiste une totale implication dans son art, elle était «Habitée». Chaque fois que je franchissais le seuil de la maison je rentrais aussi en elle, tellement ce lieu était incarné.

 

Comment se déroulaient vos rendez vous photographiques ?

Quand j’étais de passage à New York, je l’appelais le matin avant 9H pour être sûr que ce soit elle qui décroche (car son assistant arrivait à 9H). Certaines fois elle n’était pas disposée, d’autres fois elle me disait tu peux passer. J’arrivais alors vers 10H, elle ou son assistant m’ouvrait la porte. Nous passions alors quelques instants à discuter assis à son bureau, puis elle me laissait libre de circuler dans la maison toute la journée. Me rejoignant de temps en temps pour me voir travailler ou pour un portrait. J’était totalement libre.

 

Avec le recul, avez vous réussi a montrer d’elle ce que vous perceviez d’elle ?

OUI !

 

Un regret ?

Ma dernière rencontre avec Louise a eu lieu en 2006. J’avais prévu de me rendre à New York au début du mois de Juin 2010, d’aller la saluer, elle est partie le lundi 31 mai…. Mais, Je la visite encore très souvent…

Propos recueillis par Carole Schmitz-Chiaroni

 

LOUISE BOURGEOIS, FEMME MAISON

Jean-François JAUSSAUD

Préface de Xavier GIRARD Avant-propos de Marie-Laure BERNADAC

Paru aux Editions Albin Michel

Prix Fnac : 34€90

En librairie depuis le 3 octobre 2019

Jean Francois Jaussaud : www.luxproductions.com

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