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Jean-Christian Bourcart par Denis Darzacq

Cette conversation s’est tenue le 3 mars 2011.

Denis Darzacq : – Bonjour Jean Christian Bourcart, photographe et cinéaste, ta démarche artistique est assez singulière, à la fois hétéroclite et intransigeante. Peux-tu nous parler de ce que tu fais?

Jean-Christian Bourcart : – Je suis un travailleur culturel. J’enregistre et organise des images, des sons, des mots qui, j’espère, trouvent leur place sur la scène artistique et géopolitique actuelle.

D D: – Tu fais des travaux très divers: Documentaire, comme par exemple « Camden » qu’on a vu aux rencontres d’Arles il y a deux ans, en même temps tu réalises des films qui sont des fictions pures comme « In Memory of the days to come ».
Quelle est ta démarche dans tout çà ? Comment t’y retrouves-tu ?

JC B: -Aujourd’hui on vit `a la fois un grand chamboulement des structures de diffusion et une explosion technologique qui nous permet de travailler de façon beaucoup plus intensive, intuitive et à moindre cout. On a de la chance de pouvoir jouer d’avantage avec les différents circuits de distribution et d’éviter un peu les compartimentations qui conditionnaient nos productions. Du coup, par l’ éclatement global et l’avancée technologique, on peut faire un film de fiction avec dix fois moins d’argent qu’auparavant. J’essaie juste de profiter de ces nouvelles possibilités.

Ce qui m’intéresse c’est de voir à quel point je peux être libre et d’ essayer tout ce dont j’ai envie, sans limites. J’essaie d’éviter les écoles, les boites, ne pas rentrer dans quelque chose de normatif. Je fais comme j’ai envie de faire, aller exactement là ou je n’ai jamais été .Donc ce ne sont même pas des challenges que je me mets, c’est juste des désirs. Qu’est-ce qui va m’exciter, qu’est-ce qui va m’intéresser de faire que je n’ai pas encore fait? Mais aussi qu’est ce qui est matériellement possible de faire avec mes machines, mon temps, mes ressources.

Ce sont aussi des opportunités, des rencontres, c’est comme çà que j’ai pu réaliser « In memory of the days to come ». Je travaillais sur un scénario depuis des années, Et puis une discussion avec le producteur Bertrand Faivre. je lui raconte l’ histoire, et il dit on y va.

Ou alors un moment donné, pour Camden, je discute avec un copain, il me dit: Il faudrait que tu sortes de chez toi, tu es trop renfermé. Qu’est-ce que je peux faire? Il faut que j’aille voir les gens.
Alors je vais au coin de la rue, vraiment je me pousse, je me dis qu’il faut que je me lève de mon canapé. Et je prends mon appareil et je me dis il faut que j’aille photographier les gens dans la rue, et je sors, je vais au centre commercial à deux blocks et je commence à arrêter les gens: Est-ce que je peux faire une photo de vous? Oui, cool, et tout! Alors je me dis c’est possible. Mais après qu’est-ce que je fais ?

Et puis … j’ai envie d’un peu de danger dans ma vie, et c’est là ou je cherche sur internet la ville la plus dangereuse des Etats Unis.
C’est pas programmé tout çà, c’est un combat contre le formatage stylistique ou de la vie, et à la fois une recherche, une quette : voir jusqu’où on peut aller et quel travail peut encore avoir une forme acceptable. Ou plutôt, quelle approche stylistique est appropriée pour tel sujet. Ce qui m’intéresse c’est de lutter contre cette idée de l’auteur, celui qu’on reconnaît par sa technique, qui « signe » un travail par son approche esthétique. Je trouve ça démodé, un peu ringard. A la fois je me rends compte que la reconnaissance publique est basée sur justement çà: une reconnaissance formelle immédiate, comme un logo: David Lachapelle, Martin Parr, Nan Goldin… Donc je prends un risque, je ne suis pas « grand public » et j’essaie d’assumer.

Mais j’espère que, à la fin il y a quelque chose qui se dégage de mes approches diverses et que les liens entre les différents travaux se font. On voit les connexions, les ponts, on se dit que la cohérence est là, mais c’est une cohérence subtile, une cohérence compliquée. Il y a plusieurs niveaux, différents personnages, différents moments et il y a une évolution. La cohésion, tu vois, c’est comme cette nouvelle de Borgès dont j’ai oublié le nom. C’est un mec qui peint toute sa vie un truc qu’on arrive pas à comprendre ni à voir, et puis peu à peu les choses s’affirment, mais on comprend vraiment qu’une fois le mec est mort. C’était un immense auto-portrait. Comme beaucoup de gens, je parle de moi et çà prend des formes diverses. Mais aussi je ne fais que me cacher, tout le temps. Par ce que la chose la plus importante elle ne peut être dite. On ne peut que s’en approcher.

Après ce qui m’intéresse le plus c’est: « les autre et moi ». Fondamentalement je crois qu’il n’y a pas de différence entre nous. Ca n’existe pas, c’est un concept, une idée. Cà s’appelle l’égo et c’est un truc dont on peut se passer. Fondamentalement c’est ce que j’essaye de montrer dans mon travail. Que je fasse des auto-portraits ou des photos de gens dans la rue, c’est pas important. C’est pas important que ce soit eux ou moi, parce que eux c’est moi et moi c’est eux. La dualité est une invention de l’esprit humain, elle n’a pas de validité au de là de notre cerveau.

D D: – Alors c’est quoi le critère de jugement pour dire cette photographie, ce film, ce scénario a du sens ou pas ?

JC B: – C’est l’émotion, si les gens ressentent quelque chose, si les gens sont touchés, le fait d’être touché, c’est tout. Moi je suis touché quand je vois les gens de Camden, ils me touchent, c’est pourquoi j’ai envi de passer du temps là bas et faire quelque chose avec eux, ou tourner avec des acteurs, ou trainer dans les clubs SM. C’est gagné quand le spectateur est touché, là il y a un lien et c’est tout ce qui compte. C’est exactement la qu’on arrive à s’oublier, qu’il n’y a plus de distance. Je ne fais pas un travail froid, je suis une sorte de romantique dans le fond.

D D: – Tu es sentimental ?

JC B: – Oui je suis sentimental et romantique à fond. Et à la fois je suis une vraie brute, tu vois c’est ça.

D D: – Ce sont tes sens qui organisent ton travail ou y a-t- il une pensée qui prévaut avant d’aller au contact ?

JC B: – Il y a d’abord le désir et après la réflexion, mais le désir c’est premier, oui. Le désir et la peur.

D D: – Peux-tu nous parler de ta dernière série d’auto- portraits que tu viens de faire ?

JC B: – Je crois que la dialectique, la tension entre soi et les autres vient du fait qu’on ne peut pas se voir soi-même. C’est la source. Tu regardes les autres pour comprendre qui tu es toi, soit par ressemblance, soit par différence. Si je veux me regarder, soit je me vois tronqué, soit je vois une réflexion ou une image. Tout le mystère vient de là. Pour cette série, j’ai photographié ma réflexion dans une feuille photographique noire brillante. Ce qui m’amuse beaucoup, c’est que ce qui rend les images intéressantes, ce sont les fameuses demi-lunes, les cassures de la feuille que tout photographe craint. Ce sont elles qui transforment la surface du papier en un miroir difformant de fête foraine.

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