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Image Singulières 2013: Cédric Gerbehaye

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La vue est ample, large. L’espace à la fois immense et bouché sur lequel, du blanc au noir le plus profond, toutes les nuances de gris se déclinent pour installer les matières dans la structure imparable des lignes de fuite. Sur la droite le triangle qui correspond au haut mur arrêtant les embruns occupe exactement le même espace que la roche sur laquelle avance le photographe. Droit devant, au point précis où la perspective fait se jointer les lignes, le phare sert d’axe au regard et l’installe. La masse grise de mer et de ciel ainsi délimitée dans le cadre est envahie par un vol d’oiseaux, noirs parce qu’en contrejour. Comme en négatif.

C’est Sète en hiver. Sète en noir et blanc telle que l’a vue Cédric Gerbehaye. Sète come une découverte en terre inconnue pour celui qui nous a davantage habitués aux travaux au long cours loin, en Palestine ou au Congo, pour des travaux ambitieux documentant des univers en crise en proie à leur histoire. Sète comme un retour vers l’Europe, vers des racines aussi, Sète comme une pause dans le travail entrepris en Belgique, pour la première fois, chez lui après avoir passé tant de temps ailleurs.

Sète – comme tous les travaux antérieurs – se retrouve cadrée au plus près, au plus précis, on dirait au scalpel si l’on ne craignait de laisser croire qu’il y a là quelque chose de froid, de sec. La redoutable acuité du regard se nuance en effet des vibrations de la lumière d’hiver, qui révèle sans exalter, qui module sans caresser. Pas de bavardage, de verbiage, de joliesses ou de tentative de narration, d’explication, aucun carnet de route. Le contraire, en somme de ces grands ensembles entrepris après un énorme travail de documentation sur les enjeux socio politiques, sur la façon dont l’histoire traverse le présent. Non, il s’agit d’arpenter, de voir, de donner à voir ce que l’on a perçu, croisé et vu. D’espérer que la rigueur permettra de donner à tout cela une consistance. De documenter au vrai sens du terme, en assumant l’impossibilité à être « objectif » ou exhaustif autant qu’en revendiquant l’envie de se confronter à un inconnu si proche comme à des inconnus qui nous sont contemporains.

Les portraits stricts, ceux qui s’affirment dans la verticalité, apparaissent comme les piliers d’un parcours qui, même s’il se donne les pistes de la pêche ou de l’immigration, est en attente des images. Car ces portraits, francs, directs, qui osent la proximité et obligent à une confrontation aussi directe que dénuée d’animosité pratiquent la retenue comme mode de respect. Tenir la distance et laisser passer le regard, le soutenir de près, l’accepter dans le rectangle impeccable sans déranger ni être dérangé, ne porter aucun jugement, ne se laisser aller à aucune lecture psychologique, à aucun romantisme, continuer à documenter, tel devient le propos.

Etrangement, ces portraits disent de façon encore plus claire que les images prises sur le vif quel est le sens de l’ensemble, ce qu’est la démarche adoptée, là où se trouve l’enjeu. Il s’agit de ne rien dissimuler, finalement, de la position du photographe, à tous les sens du terme. Extérieur, élément introduit dans un monde qu’il ignore et ne veut pas perturber par sa présence, il sait tenir sa place, tenir la distance, respectueuse, modeste finalement, en évitant de nous entrainer dans des interprétations. Il nous renvoie directement au constat. Pas du réel, de sa mise en forme. Et, parce qu’il est seul maître à bord, parce qu’il est celui qui choisit dans la ville des moments et des gens il nous propose non pas d’adhérer à sa vision de Sète, mais de l’interroger. De faire en quelque sorte comme lui lorsqu’il est allé à la découverte.

Sète en hiver, en noir et blanc, cadrée au plus juste est tout naturellement à l’opposé des images reçues, des envies de chaleur, de carte postale, de couleur, d’outrance, de Méditerranée. La mer est aussi grise que le ciel et les oiseaux se sont teintés de noir lorsqu’ils sont devenus image. Le temps est étrangement lourd, semble avoir du mal à s’écouler, il stagne dans des durées impossibles à déterminer, dans des territoires qui, lorsqu’ils laissent apparaître la mer ne lui permettent jamais de conquérir l’espace. Sans être vraiment douloureuse, Sète en hiver éprouve des difficultés, comme une panne. Peut-être que Sète hiberne. Alors, ceux qui l’habitent apparaissent seuls. Isolés. Même le chien ou le chat sont seuls. Est-ce parce que l’espace, au port comme en bord de mer, même sur le canal traversé par une seule barque, se structure autour des seules lignes que fait luire ou assombrit ce que le ciel filtre du zénith ? Sète plus singulière et énigmatique que jamais parce que nous ne voulons jamais la voir ou la regarder en hiver, finalement. Mais Sète étonnamment forte de ses axes, de ses directions qui emportent le regard. Jusqu’au moment où un mur, une façade tremblée, comme un doute massif, interdisent d’en savoir davantage.

Le cinéma « Rio » est fermé, cadrée de face, sa façade n’est plus que le souvenir esthétique d’un temps. Une dame âgée, voutée, passe devant l’inscription « Libre service de la solidarité ». Elle rentre peut-être de faire ses courses. Elle rentre sans doute chez elle. Seule.

Christian Caujolle

Cédric Gerbehaye: Sète #3
Festival Image Singulières
Du 8 au 26 mai 2013
Chapelle du Quartier Haut
Sète
France

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