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Histoires de scoop. PHOTO #138, mars 1979 : Caroline de Monaco

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Caroline traquée
Epiée, poursuivie, traquée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, Caroline Junot, alias Caroline de Monaco, est au hit-parade de la photographie indiscrète, le n° 1 incontesté et la valeur la plus sûre. Eclipsées, les stars vieillissantes, les amours adultères et les frasques d’acteurs ! Caroline l’emporte sur tout et de très loin. Alors se pose de nouveau la vieille question d’éthique : entre la légitime pugnacité de ces reporters opérant en extérieur, sans effraction, et l’aspiration respectable d’un couple à rester parfois dans l’ombre, où donc passe la ligne du juste partage ?
Au bas du domicile des Junot à Paris, dans une grande avenue du XVIe arrondissement, il y a, selon l’heure, entre quatre et vingt photographes en « planque », selon le jargon du métier.
Que les époux se montrent au balcon, promènent un bébé ou un chien, qu’ils rendent visite à des amis, courent au bois ou dansent dans un club privé, un photographe est toujours là. Le plus anodin des clichés représente une recette d’un million de centimes pour son auteur. Cinquante fois plus s’il est vraiment indiscret. Profitant d’un coup de vent subit, qui fit gonfler la robe de Caroline, un photographe fit une petite fortune, récemment en Italie, en publiant les photos sous le titre : « Caroline enceinte ».
Une supercherie éculée des paparazzi, mais qui fait toujours le même triomphe. Qui donc suscite cette chasse (ou ce détournement) d’images, sinon le public lui-même qui en raffole ? Pour illustrer le seul aspect charmant de ce « safari », nous avons choisi quatre reportages réalisés ces dix-huit derniers mois. Il y en avait cent autres. Mais ces quatre-là nous ont paru très représentatifs — et non offensants — de l’astuce, de la combine et de l’imagination de ces commères mondaines que sont les paparazzi d’aujourd’hui. Ces quatre reportages sont anonymes. Non pas que leurs auteurs craignent des représailles, mais parce qu’il s’est instauré entre le couple Junot et les photograpbes un étrange modus vivendi où alternent les séances de prise de vue officielles… et les planques non avouées ; il ne faudrait pas que les secondes, révélées, compromettent la pérennité des premières. Pourtant, tel photographe reçu aujourd’hui sera peut-être le lendemain embusqué derrière une porte cochère. Mais cela fait partie d’un jeu ambigu dont il faut toujours respecter les règles…

Caroline aux Antilles
Une rumeur a parcouru Paris : les Junot partent pour les Antilles. Un photographe en planque devant leur domicile et obtient la confirmation. Un matin, ils se dirigent vers Roissy, destination la Martinique. Le paparazzo prend l’avion qui suit le leur. La Course du Rhum touche à sa fin Les Junot, amis d’Olivier de Kersauson qui participe à la compétition, ont décidé de l’attendre à l’arrivée à Pointe-à-Pitre. Ils débarquent à la Martinique le 23 novembre et de là se dirigent, dans un petit avion, vers Antigua, une île des Antilles anglaises où les attendent le bateau de Jean Castel, le « Sincerity », et des amis, dont Claude Brasseur et Maria Niarchos. A Antigua, le photographe arrive trop tard. Le ketch de trente mètres, suivi d’un autre plus petit, a déjà appareillé. Que faire, sinon se diriger vers la Guadeloupe où les Junot sont censés se rendre ?
Là, idée de génie. Faire appel à un radio amateur qui, plutôt que de capter les messages des concurrents, tentera de localiser le « Sincerity ».
En moins de trois heures, l’idée porte ses fruits. Les communications radio entre le bateau et Monaco sont extrêmement fréquentes et prétextant une identification de routine et un contrôle des performances de son émetteur, le radio amateur demandera au bateau sa position… qui sera immédiatement donnée ! Il ne reste plus au photographe qu’à louer un avion et à rattraper le bateau.
A la fin de la journée, c’est chose faite : le « Sincerity » se dirige bien vers la Guadeloupe et jette l’ancre en fin de soirée à Grande-Anse, au nord-ouest de l’île.
Il est 18 h, la nuit est tombée. Pas question de photo.
A 7 h, le lendemain matin, le photographe est présent, caché dans les cocotiers, sur la plage, à trois cents mètres du bateau. Autour du cou, un Nikon et un 500 mm à miroir muni d’un doubleur de focale. A 10 h, le bateau se réveille. C’est la première série d’images, celle du bain de soleil.
A 11 h 30, le couple hèle un pêcheur qui passait en barque et lui achète des poissons. A midi, le bateau appareille.  « Il va au sud », pense le photographe qui le suit des yeux. Erreur. Il prerd le large. Le photographe le perd. Seule solution : retourner à Pointe-à-Pitre, distante de quarante kilomètres, et le localiser à nouveau grâce au radio amateur complice. Heureusement., les communications entre Monaco et le bateau sont toujours aussi fréquentes. Au matin, le bateau est à Pigeon, la base de plongée du Club Méditerranée, à deux cents mètres du bord. Le photographe est déjà installé dans la maison d’un pêcheur, étonné mais coopératif. C’est la série du plongeon. A 13 h 30, le couple vient déjeuner au club, le photographe reste invisible. A 17 h, le bateau repart encore. Le photographe le retrouvera à Pointe-à-Pitre le surlendemain pour l’arrivée de la course. Là, il y a foule. Dès 7 h du matin, ils sont vingt paparazzi embusqués derrière les arbres du port de Gosier, à attendre le réveil. Les Junot se cachent. Un reporter parlementera et obtiendra pour lui et ses confrère une séance de pose officielle. Mais le « chasseur » n’en a rien à faire : il a dix bobines d’Ekta 400 (qui sera poussé à 3200) réalisées au 11500 s. Personne ne l’a vu. Il a su se faire passe-muraille quand le couple regardait à la jumelle, les jours précédents, cherchant à déceler le moinde reflet d’objectif. Une leçon de « combine ». Le vendeur des images ignore même le nom de l’auteur.

Caroline à Paris
Le cliché le plus anodin qui soit, la promenade du chien. Aucune histoire, aucune astuce, la simple banalité de la vie quotidienne… qui représentera pourtant un fort joli gain pour l’auteur. « Je n ‘avais rien à faire de particulier, dit-il, alors je suis passé devant chez les Junot. Ils étaient là. La présence de leurs deux Autobianchi bleu marine, dont tout paparrazzo se doit de connaître les numéros, en témoignait. Il était midi environ. Au bout d’une heure, je suis allé déjeuner dans le restaurant qui fait face à leur domicile. La baie vitrée permet de ne pas quitter la porte d’entrée des yeux. Souvent, nous nous retrouvons ainsi cinq ou six photographes à déjeuner ensemble. Vers 16 h 30, Philippe Junot a accompagné Caroline à sa voiture, puis est remonté chez lui. Caroline portait son chien. Par réflexe, j’ai fait trois photos à travers les vitres sales de ma voiture. La nuit tombait. Je ne voulais pas me montrer et utiliser le flash. Je croyais si peu à l ‘intérêt de ces images que j’ai failli ne pas les diffuser. Pourtant, elles ont eu cinq parutions. »

Caroline au bois
Un matin sans histoire, une planque commencée vers 10 h. A 11 h, au balcon des Junot, apparaît Patrice Habans, l’un des photographes officiels du couple. Piqué de curiosité, le photographe « sauvage » reste. Dix minutes plus tard, le couple apparaît en survêtement et se dirige vers le Champ-de-Mars. Il n ‘a pas vu le photographe tapi dans sa voiture. Par une rue adjacente, ce dernier rejoint les Junot et se cache dans un buisson. Une demi-heure durant, le couple tourne autour des pelouses et Patrice Habans opère. Le pirate, lui, reste embusqué dans son buisson. Habans est à trois mètres de lui et, au moindre déclic, il réagirait. Un troisième photographe surgit et se plante devant Caroline. Colère de Philippe Junot qui le poursuit et lui fait rendre le film. Notre paparrazzo, immobile derrière ses feuillages, ne bouge pas. Il songe à enregistrer l’empoignade. Hélas, cela se passe trop près. Il n’appuie pas sur le déclencheur. L’intrus est parti, la séance « régulière » de prise de vues reprend. Habans s’est éloigné. Entre deux branches, le photographe tire deux clichés au 180 mm. Ce reportage en deux images lui rapportera un million et demi d’anciens francs. L’histoire du photographe photographié. Du Méliès, en quelque sorte, mise en scène en moins.

Caroline sur la côte
Dans la principauté, c’est l’effervescence : chacun sait que les fiancailles de Caroline et Philippe Junot vont être annoncées incessamment et les photographes se sont rués. Ils sont vingt à tourner jour et nuit autour du palais. Le temps est mauvais, il pleut sans arrêt. Quatre jours durant, « notre » photographe planque désespérément dans la ville. La veille, pourtant, en suivant Caroline au tennis, il a pu retrouver Philippe Junot et le suivre jusqu’à son domicile. Ainsi, il est le seul à connaître son adresse. Deux jours encore vont se passer, sans le moindre intérêt. Caroline fait de brèves apparitions, mais les fiancés ne se montrent pas ensemble.
Le vendredi soir, c’est le ras-le-bol, la décision énergique : « Quoi qu ‘il arrive, je pars dimanche soir. » Le samedi, rien. Il pleut toujours sur Monaco. Le dimanche matin, rien de nouveau. A midi, miracle, le ciel s’éclaircit, le soleil perce, le couple sort et se dirige vers le port. Deux couples d’amis l’attendent. Tout le monde monte à bord d’un bateau qui prend la direction du large. Le photographe fulmine, il n ‘a aucun moyen de poursuite. Il ne lui reste plus, pense-t-il, qu’à couvrir le retour de la promenade. En attendant, maudissant Monaco et ses restaurants médiocres, il décide d’aller déjeuner à Nice. A la sortie d’un virage, c’est la divine surprise : dans la baie de Saint-Jean-Cap-Ferrat, à Beaulieu, à quatre cents mètres de la plage, juste en face de la maison de David Niven, mouille le bateau qu’il croyait perdu. La route, à cet endroit, ressemble à la promenade des Anglais. De nombreux retraités y flânent. Le déjeuner est oublié, le reporter se joint aux promeneurs. A bord, le couple déjeune et reçoit Willy Rizzo, puis le comte Volpi. Il est 13 h 30. A 15 h, Caroline prend congé de ses hôtes et monte sur le toit du bateau. C’est la première série de photos, celle du bain de soleil, que le photographe enregistre au 400 mm avec doubleur de focale, tout en marchant sur la côte, à cause de la dérive du bateau. Dix minutes plus tard, Philippe Junot rejoint Caroline. Le photographe poursuit son va-et-vient sur la jetée pour trouver à chaque instant le point de vue le moins défavorable. Trois quarts d’heure de moments tendres s’écoulent. C’est la deuxième série d’images. A 16 h, le bateau appareille et rentre à Monaco. Le photographe, fou de joie, saute en voiture et suit le yacht à la jumelle. Le reportage est dans la boîte. Ce n’est pourtant pas fini. A Monaco, le bateau s’ancre au port. Surprise : le couple ne descend pas et reste sur le toit. Le photographe grimpe sur la corniche et là, dernier coup de chance de la journée, s’aperçoit qu’une vingtaine de personnes, dont deux couples d’Anglais et de Belges, regardent et filment ces plaisanciers qui font la sieste. Le 200 mm va officier une heure et demie durant sans que Philippe et Caroline ne lèvent le nez sur la dizaine de visages hilares qui les observent trente mètres plus haut. C’est la troisième série. A 17 h 30, Caroline déposera chez lui son futur époux et rentrera au palais. Le photographe exulte de bonheur. « Mais, n’est-ce pas la princesse? », lui ont demandé les cinéastes amateurs avec l’accent belge. Et, réflexe du paparazzo, il a répondu par un bredouillis très, très dubitatif…

« Caroline traquée par les Paparazzi », PHOTO #138, Mars 1979

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