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Guillaume Hebert, La photographie salvatrice ou les tribulations d’un étranger à Taïwan

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Lorsque je me suis expatrié en 2011, il y avait une grande part d’inconnu. Je n’avais alors qu’un vague itinéraire en tête.

Je quittais ma patrie, non pas avec l’esprit d’un voyageur, mais avec l’esprit d’un aventurier qui visait l’Asie. L’Asie, c’est vaste.

De Katmandou, en passant par New-Delhi, c’est par une rencontre fortuite que mon périple s’acheva à Taipei. Six mois s’étaient écoulés depuis mon départ. Je foulais le sol taïwanais pour la première fois en décembre 2011.

Cela fait presque cinq ans que je vis en marge, sur ce territoire de désolation culturelle et intellectuelle. La seule culture que j’ai observée ici (comme partout ailleurs, sauf qu’en Asie, elle est, je crois, plus excessive), c’est une culture ravageuse : celle de l’industrie culturelle poussant le consumérisme à outrance. Et j’aurais pu mentionner la gastronomie, qui ressemble plus à de la boulimie d’ailleurs. Aussi, je ne peux m’empêcher de penser à cet ouvrage de Gilles Châtelet dont le titre en dit long : Vivre et penser comme des porcs. Il y aurait de quoi devenir misanthrope.
Je me dis en marge, parce que je ne me suis toujours pas intégré socialement. Cela ne vient pas seulement du problème de la place de l’artiste dans nos sociétés, mais aussi du fait que je ne parle toujours pas le mandarin. Habité peu à peu par le désespoir d’une vie terne et sans issue, je suis finalement parvenu à surmonter mes tribulations grâce à la pratique de la photographie que j’avais négligée depuis fort longtemps. C’était inespéré. Le sort avait-il décidé pour moi que je revienne à l’art par la photographie ?

Quoiqu’il en soit, ces années insulaires de réclusion s’avèrent indubitablement propices à une production artistique sans précédent. Depuis 2012, j’enchaîne les séries. En l’espace de quatre années, j’ai achevé plus de 23 projets photographiques. Ce n’est pas que Taiwan soit un terreau fertile pour la création artistique et tout sujet d’ordre esthétique, mais plutôt qu’il fallut donner sens à cette nouvelle vie et reconsidérer l’usage de mon temps. Durant ces dernières années, j’ai pris conscience de la brièveté de la vie. En conséquence, je travaille sans répit comme une machine à produire.

Aussi, je crois pouvoir dire que l’art est, aujourd’hui, le langage qui me permet d’exister dans une société qui m’exaspère et dont je réfute tout système politique, pour ce qu’il en reste. C’est aussi en ce sens que je dis que ma pratique de la photographie est salvatrice. Car pour le moment, je ne me sens pas préparé à une vie d’ascète ou à faire le cynique comme Diogène. Cela étant, arrivé à une situation critique, vivant l’incertitude, me trouvant démuni, désemparé, ne sachant plus où aller, je sais que quelque chose d’important se joue. Ce n’est pas seulement l’affranchissement des désirs (car dans ces moments-là, on n’a plus vraiment d’attentes), mais une mise à l’épreuve qui fait appel à la raison et/ou à la foi.

Pour être sincère, je ne suis pas sûr de comprendre ce qui est en train de se jouer pour moi, mais il me semble pourtant et curieusement que je n’ai pas de meilleurs choix que d’accepter ce qui m’arrive.
À cet égard, le scepticisme (antique) et le stoïcisme me sont d’une aide précieuse pour conserver l’ataraxie dans cette aventure de vie.

Tant que je peux, je continue de faire des images. Je photographie donc je suis. Le jour où je cesserai la photographie, il sera alors temps pour moi de penser. J’aimerais simplement (mais c’est déjà sans doute trop demander) que mon travail ne demeure pas à l’état de data en stockage, mais puisse un jour être tiré sur un papier requis et montré en public.

Aussi, je voudrais souligner qu’entre mon arrivée et début 2016, je n’ai bénéficié d’aucune aide, que je n’ai eu aucune sollicitation, aucune invitation, aucune proposition d’exposition, aucune chance de m’exprimer en public et même en privé. Pourtant, beaucoup de Taïwanais me «connaissent» via Facebook (un moyen prépondérant et existentiel pour communiquer dans ce pays) et ont pu suivre partiellement mon travail. Les appréciations ou les encouragements d’un petit nombre d’entre eux ne m’ont pas plus aider. Il n’y a point de jugement ici, c’est juste un constat.

Or, c’est un peu regrettable, car hormis le fait de vouloir exposer, ce qui est légitime pour un artiste, j’ai des choses à dire, à partager concernant la photographie et l’art en général et que j’aimerais contribuer à cultiver le champ des arts visuels à Taiwan. Il y a dans ce domaine beaucoup à faire.

Cela étant et pour conclure ce bref compte-rendu, je dirais ceci : il ne dépend pas de moi que mon œuvre soit estimée et reconnue, il ne dépend pas de moi d’être entendu, il ne dépend pas de moi de vivre dans l’aisance, mais il dépend de moi d’être libre dans ce que j’accomplis. Pour le reste, ma foi, je m’en remets au ciel.

Guillaume Hebert

Septembre 2016, Taipei

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