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Francis Latreille : Valery Giscard d’Estaing en Chine par Jean Loh

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Voyage de Valery Giscard d’Estaing en Chine d’Octobre 1980

Découvrir aujourd’hui les images du voyage de Valéry Giscard d’Estaing en Chine, datant presque jour pour jour d’il y a 40 ans, saisies par l’œil scrutateur de Francis Latreille, à l’époque reporter à France Soir, c’est comme de voir ressurgir du passé, une époque que nous avons oubliée, de renouveau, de vitalité, d’espérance, à la fois dans la démarche délibérée et sure de lui du Président Français en Chine, que dans les scènes de rue, des écolières pékinoises et des étudiants de Shanghai, reflet d’une Chine des années 1980, en marche vers la réforme et l’ouverture au monde.

Vers la fin de son septennat (dont il ignorait qu’il serait son unique et dernier mandat), marqué par la crise économique et des tensions politiques en France, Valéry Giscard d’Estaing entame sa visite en Chine du 15 au 22 octobre 1980, sept ans et un mois après son prédécesseur Georges Pompidou. Deuxième chef d’état français en visite officielle, il arrive à un moment clé de la transformation de la Chine. Il sera reçu à Pékin par une équipe de dirigeants chinois eux-mêmes en plein chamboulement quatre ans après la Révolution Culturelle, c’est-à-dire après la mort de Mao. A Pékin il est accueilli par le fraichement nommé Premier Ministre Zhao Ziyang (1919-2005), un réformateur des années de l’après-Mao aux côtés de Hu Yaobang (1915-1989) le Président du PCC. Hu Yaobang à sa mort déclenchera les manifestations de Tian’anmen et Zhao deviendra lui-même la figure tragique de l’épilogue dramatique de la Révolte de Tian’anmen. Sa phrase prononcée au-milieu des étudiants grévistes de la faim : « nous arrivons trop tard, désolés » lui vaudra son bannissement et son confinement en résidence surveillée jusqu’à la fin de sa vie. Le photoreporter Francis Latreille l’a photographié dans toutes ses interactions avec Giscard, avec ses lunettes et sans lunettes, lisant ses discours officiels, signant des accords bilatéraux, « croisant les baguettes » avec le président français, il est lancé dans sa montée en puissance.

Comme les chinois voient en Giscard un ami de la Chine, confirmé par la reconnaissance dès 1964 de Charles de Gaulle, et par la première visite d’un chef d’état occidental en la personne de George Pompidou en 1973, le président français est donc invité à faire la ronde des apparatchiks, des hiérarques de la nébuleuse opaque de l’appareil bicéphale Parti-Etat du système de la Chine Communiste.

Il est d’abord reçu par Hua Guofeng (1921-2008), successeur désigné (par la Bande des Quatre) de Mao, officiellement le Chef Suprême du PCC, personnage falot, déjà affaibli par les manigances de Deng Xiaoping pour le déboulonner, il disparaitra de la scène en 1981. L’année précédente, Hua Guofeng pourtant a été reçu à l’Elysée, une étape dans sa tournée occidentale (sans précédent dans les annales maoïstes) qui l’a vu surtout exceller dans les toasts portés dans les diners mondains sous les ors et les fastes, notamment chez la Reine Elisabeth à Buckingham Palace et…à Téhéran chez le Chah d’Iran ! Un cadeau de Deng Xiaoping qui, lui, préparait tranquillement de son côté sa visite au Président Jimmy Carter et une guerre punitive contre le Vietnam pour l’obliger à retirer son occupation du Cambodge et réparer l’affront d’avoir chassé les Khmers Rouges les protégés de Mao. Ensuite on emmène Giscard chez la veuve de Zhou Enlai, Madame Deng Yingchao (1904-1992), la Présidente de la Commission Centrale Politique Consultative du Parti Communiste, poste symbolique dans la tradition créée par Mao de placer au-moins une femme dans les hautes instances, à commencer par la veuve de Sun Yat-sen, Madame Soong Ching-ling (1893-1981) qui fut vice-présidente de la République Populaire. De quoi ont-ils pu se raconter, alors que Anne-Aymone la première dame française n’était pas présente ?

Ces séances nous fournissent l’occasion néanmoins d’étudier et de comparer les mobiliers et les décors des salons de réception des hautes personnalités du PCC. Par exemple, ici entre la veuve de Zhou Enlai et le Président Français il y a bien un paquet de cigarettes et une boite d’allumettes sur la petite table mais pas le sempiternel pot de chambre, donc Madame Zhou Enlai n’est pas fumeuse. Le crachoir en revanche est bel et bien présent chez Deng Xiaoping, en porcelaine blanche il brille de tout feu entre Giscard et Deng, quoique repoussé ostensiblement plus près du chef suprême chinois. Ce crachoir fera « tache » dans les photographies de tous les entretiens de Deng avec des visiteurs étrangers, de Margaret Thatcher en 1982 à Ronald Reagan en 1984. On pourrait toujours se demander si le ramdam du raclage de gorge ensuite de crachat dans le pot ne ferait pas partie d’un jeu de déstabilisation de l’interlocuteur dans les négociations. On voit d’ailleurs sur la photo de Francis Latreille un Giscard visiblement mal à l’aise, comme s’il se demandait « serait-il en train de m’inviter à cracher dans le pot ? ». Le phénomène manifeste de crachat en public ou devant des visiteurs étrangers nécessitera trois grosses campagnes nationales avec de lourdes amendes pour se dissiper progressivement à Pékin avec l’épidémie du SRAS de 2003 et les JO de 2008 et à Shanghai avec l’Expo Universelle de 2010.

Et on voit Giscard reprendre une mine détendue et réjouie lors de la visite à la Cité Interdite, suivi par une véritable troupe de fidèles aujourd’hui disparus tous : Jean François-Poncet (1928-2012) ministre des Affaires étrangères, Alain Peyrefitte (1925-1999) garde des Sceaux, Jean-François Deniau (1928-2007), ministre chargé des réformes administratives, ancien ministre du commerce extérieur qui, à ce titre, avait préparé la visite, Jean Lecanuet (1920-1993) président de la commission des affaires étrangères du Sénat et Pierre Sudreau (1919-2012), premier vice-président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale. Il y a aussi Arthur Conte (1920-2013), historien et écrivain qui publiera en 1981 « L’Homme Giscard ».

A Xi’an Giscard sera l’un des premiers dignitaires occidentaux à descendre dans la fosse aux mille guerriers de terre cuite du tombeau de Qinshi Huangdi le Premier Empereur des Qin (l’origine du nom CHINE en Occident), alors encore en chantier de fouille archéologique (la première tranchée ouverte au public date du 1er Octobre 1979, un an plus tôt). Quel symbolique présence dans la tombe du Premier Empereur chinois, haut lieu de la mortalité des puissants de la terre, alors que quarante ans plus tard il sera enterré en France en toute modestie, en toute intimité dans un petit cimetière de village, dans un cercueil drapé du tricolore et du bleu de l’Europe.

Dans son discours de remerciement au Gouverneur de la Province de Shaanxi et aux autorités de Xi’an Giscard les remercie particulièrement pour leur accueil des nombreux journalistes français et de sa délégation. Francis Latreille dit qu’il y avait plus de cameramen des chaines de TV que de photographes, qui n’étaient pas plus que quatre ou cinq. Par conséquent ils travaillaient par pool, pour éviter qu’il n’y ait trop de monde dans la salle, un photographe était désigné pour représenter les quotidiens, un autre pour les agences de presse, et on se partageait les images ainsi prises.

A Xi’an, les images des guerriers de terracotta étaient jusque-là une exclusivité de l’agence de presse chinoise, du coup les photographes français ont bien apprécié cette opportunité offerte par Giscard. Francis Latreille admet qu’au retour il avait « bien vendu » à l’international. Je lui demande ses impressions personnelles sur VGE, il me répond « C’était un personnage mal connu mais plutôt d’une grande générosité, souvent mal interprétée par l’intelligentsia et les journalistes. C’était une personne beaucoup plus accessible pour les photographes qui croisaient son chemin. » Giscard voulait vraiment être au contact des français et être à leur écoute.  Comme Francis avait auparavant couvert sa campagne électorale, il se souvient qu’un moment donné VGE lui a demandé ce qu’il pensait des élections, devant ses hésitations, il lui dit alors d’appeler sa mère, c’est ainsi que Giscard prit connaissance de l’opinion de la maman de Francis sur les pensions de réversion, qu’il mit dans ses réflexions pour aborder la réforme de la retraite.

Valérie Giscard d’Estaing aura été aussi le premier chef d’état occidental à s’adresser aux jeunes étudiants chinois à l’Université de Fudan de Shanghai, où il a implanté le Consulat Général de France qui cette année vient effectivement de célébrer le 40e anniversaire de sa création.

Pour la petite histoire, Francis Latreille raconte que VGE avait l’habitude de s’approcher des photographes au lieu d’aller vers les journalistes qui l’attendaient, pour leur poser la même question « comment vous êtes venus ? », en avion, en train, mais il n’écoutait pas vraiment les réponses, et par boutade Francis avait répondu une fois « en pédalo ». Il parait, selon Francis, que son successeur, Mitterrand posait la même question mais de manière détournée, c’était « comment vous repartez ? ».

Jean Loh

 

Bref rappel biographique de Francis Latreille

Il quitte France Soir en 1995 où ses reportages ont été aussi distribués dans la presse mondiale, il rejoint Jean-Louis Etienne pour sillonner les terres australes et boréales, il obtient un World Press Photo en 1997, avant de continuer l’exploration polaire sur le voilier Tara Arctique de 2006 à 2010. Sa photo du bébé mammouth est sur la couverture d’une trentaine d’éditions du National Geographic, un fait sans précédent. Ses publications comprennent entre autres:

Mammouth. Chez Robert Laffont 2000

Tara un voilier pour la planète. Guérin EDS 2005

Paradis Blanc. La Martinière 2006

Dolgans les derniers nomades des glaces. MCE 2011, préface d’Erik Orsenna.

Les Pôles racontés aux enfants. Gallimard Jeunesse 2012.

L’Hermione Une Frégate pour la Liberté. Gallimard 2013

L’Hermione dans le sillage de Lafayette. Gallimard 2015

Dernier livre paru : « Les derniers peuples des glaces », aux éditions Gallimard 2020.

Parmi ses nombreuses expositions, en Asie en particulier Francis Latreille a participé au Festival de Dali au Yunnan Chine en 2009 avec l’expo « Tara 500 Jours de Dérive », et au festival de Yangon en Birmanie en 2019 avec l’expo « Dolgans & Nenets ». A la galerie Beaugeste de Shanghai en 2015 avec l’expo « The Dolgans ».

Ses photos du Président Giscard en Chine sont inédites, jamais exposées, ce sont des pré-scans à partir de ses négatifs, Jean Loh sollicite l’aide d’un mécène ou un éditeur pour finaliser les scans à haute résolution, pour faire un beau livre à publier.

 

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