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Fiammetta Horvat : Fille de photographe

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Fille de ………! , femme de ……! petit fis de ……….!. :

Les héritiers n’ont pas souvent la côte dans le monde de la photographie : Fiammetta Horvat est la fille de Frank Horvat, elle est omniprésente dans toutes les manifestations liées à son père. Nous avons voulu en savoir plus sur cette tâche d’être en charge de.

Ce compte rendu de Fiammetta du colloque sur les ayants droits de la photographie qui s’est déroulé il y a quelques semaines est le premier volet d’une chronique qu’elle tiendra réguliérement.
JJN

 

Fille de photographe
Table ronde autour de la situation des ayants droit.

Dans l’élégante galerie Colbert à Paris, l’INHA (Institut National d’Histoire de l’Art) accueille le petit monde de la photographie française. Une journée d’étude est dédiée au futur des œuvres des photographes. La salle est comble. Beaucoup d’ayants droit et d’acteurs impliqués dans la destinée des archives sont réunis: représentants du Ministère, institutions publiques, institutions privées, experts, historiens, conservateurs, avocats, galeries, maisons de vente, tireurs, agences, assistants des photographes et photographes. Le sujet intéresse.

‘Si l’on peut écarter la famille d’une fondation c’est le mieux… ’ Agnès Sire se risque à dire alors qu’elle est entourée d’ayants droit. La mort d’un photographe, chez Magnum, elle a dû le vivre de nombreuses fois. Cette crainte de l’enfant paralysé, de la veuve possessive, du neveu éloigné, incapables de gérer une œuvre, est probablement justifiée par les multiples histoires de conflits et de malentendus qui paralysent une œuvre.

Pourtant la société a décidé qu’ils seraient les mieux placés pour porter la voix du disparu.

‘Le roi est mort, vive le roi’ rappelle Maître Benjamin Dauchez qui évoque le terme d’incarnation au sujet de l’ayant droit. La familiarité ou la complicité avec l’artiste suffisent-elles à donner une légitimité pour le représenter?

Un photographe meurt. Sa famille reste. Son œuvre reste. Qu’elle soit petite ou grande, grandiose ou inconnue, bordélique ou organisée, elle existe, et elle a sa place quelque part.

Michel Poivert, Anne Lacoste et Léa Miranda ont eu la belle initiative de rassembler les métiers de la conservation et de la diffusion pour faire un état des lieux de la situation française et des conditions dans lesquelles un photographe laisse une vie de travail.

Rappelons que souvent l’ayant droit hérite de cette situation privilégiée – ou maudite selon les cas – à un âge où sa carrière et sa vie l’ont peut-être éloigné du quotidien artistique de leur père, mère ou oncle. Un lien sanguin ou amoureux avec l’artiste ne suppose pas nécessairement admiration, respect ou compréhension. Le terme incarnation résonne avec mission. Le long pèlerinage d’un ayant droit peut devenir pénible si la relation avec l’artiste n’était pas tendre.

Pourtant le témoignage des proches est précieux pour comprendre l’artiste disparu, la sensibilité d’une personne peut être difficilement appréhendée par des recherches académiques. Dans notre époque où la psychologie des artistes est scrutée pour mieux comprendre leur œuvre, la famille peut avoir un rôle important pour l’interpréter. Bien conseillé, peut-il bien veiller à son devenir?

Fannie Escoulen, cheffe du Département de la photographie au ministère de la Culture, prend le temps de décrire le riche réseau des institutions existantes susceptibles d’héberger les fonds de photographes. Avec sincérité, elle reconnaît les difficultés rencontrées sur certains fonds dans les années 2000 et les inquiétudes qui ont suivi. J’ai moi-même grandi dans cette méfiance vis-à-vis des institutions. Mon père disait préférer détruire son œuvre plutôt qu’elle n’aille dans les caves de l’Etat. Fannie parle à juste titre de rassurer les ayants droit. C’est l’ignorance du système qui génère les pires mythologies sur ses incapacités. Nous apprécions cette urgence de mieux communiquer. Encore faut-il être dans cette salle. J’en connais plus d’un (ayant droit) qui par timidité, manque de temps ou de réactivité, n’était ni au courant de cette réunion, ni même de l’existence de la plupart des personnes présentes.

La quantité et la spécialisation des institutions est impressionnante: BNF, Pompidou, médiathèques régionales, Niepce, beaucoup d’autres et surtout la MPP (un exemple des lenteurs des rouages internes fut le temps nécessaire pour rebaptiser l’obsolète nom de ‘Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine’ en ‘Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie’ qui facilitera certainement la communication sur son rôle). Ronis, Lartigue, Kertész en sont historiquement les premiers résidents. Et les rejoignent Bouret, Kenna, Caron et bien d’autres. Les conservateurs, les restaurateurs, les historiens chaperonnent les arrivées des fonds dans leur nouvelle demeure.

Tris, expositions, diffusion (avec l’agence partenaire RMN), publications, recherches, inaliénabilité rime avec éternité… Ça fait rêver. Un réseau se tisse pour cocooner les fonds. Une toile qui insère et garantit une place à l’œuvre dans la grande fresque de l’histoire de la photographie. Ou toile d’araignée qui encadre les belles œuvres au bois dormant?

Cependant, mieux vaut être photographe français. Cette constatation revient souvent. La France complice et protagoniste de la Photographie depuis ses premiers pas, se sent responsable du destin des photographes. Une rencontre table-ronde comme celle ci semble inespérée dans beaucoup d’autres pays qui ne sont pas moins riches en excellents photographes. Lorsque mon père, à son retour d’Inde en 1956, hésitait à s’installer à Londres, Paris ou New York où les magazines fleurissaient (lui même n’avait plus de nationalité puisque ses terres de l’Istrie avaient été morcelées) il choisit Paris: Magnum annonçait une réflexion sur le rôle et l’identité du photographe, qui encore aujourd’hui fait référence.

Toutes les familles de photographes, qu’ils soient journalistes ou réalisateurs comme Varda, méritent toutes un tiroir dans les nombreuses armoires aménagées françaises. Certains voient ces tiroirs comme de tristes placards à vie. L’expression ‘enterrement de première classe’ revient souvent. Cela reste mieux qu’une disparition.

Cette peur de l’oubli, je l’ai souvent entendue chez mon père: il fallait laisser des traces.

Ses origines juives accentuent probablement cette obsession de défier le vide qui suit la mort. Sa détermination infatigable pour classer et expliquer me semblait, de son vivant, obsessionnelle. Puis il est parti. Aujourd’hui je le remercie chaque jour pour chaque note écrite, chaque indication enregistrée qui me guident dans son travail et ravivent sa présence.

Le sujet de l’état dans lequel un fonds devient orphelin semble anodin, mais il revient régulièrement durant cette journée d’étude. Une œuvre ne peut pas être préservée si elle n’est pas cataloguée. Un fonds ordonné, annoté et trié comme celui de mon père rassure plus que des milliers de bobines non développées: vision romantique mais titanesque pour un conservateur qui sauve un fonds. La digitalisation facilite immensément la recherche et la diffusion. Mais cela a un coût. Et lorsque fait trop précocement comme avec mon père, qui la débuta dès les années 90, les fichiers peuvent souffrir de non compatibilité de lecture: destin digital inévitable, qui hante nos conversations sur la conservation.

Cette responsabilité pour l’ayant droit de trier en l’absence de l’artiste est un exercice délicat si l’artiste n’a pas laissé d’instructions. Cela prouve la nécessité de l’implication de l’œil expert de l’historien de la photo. Le sujet de la sélection posthume est épineux. Mon père, comme beaucoup, aurait détesté que ses planches contacts soient regardées ou que des choix de jeunesse soient exhumés. Il aimait le produit pensé et intellectuellement fini. Photographe de l’instant, dévoiler ce qui entoure la capture du punctum saboterait cette sensation de miracle que la photo était pour lui. Les conservateurs évoquent le contexte historique qui justifierait cette interdiction. L’ayant droit vit encore dans le présent du photographe. D’où son intégrité inflexible aux désirs de l’artiste. Montrer les coulisses d’une image suppose une muséification du photographe et donc d’une acceptation de sa mort. Mon expérience fut particulière: j’ai annoncé à mon père l’exposition au Jeu de Paume quelques jours avant son décès. Travailler sur cette exposition précipita les décisions d’éthique et accéléra le deuil.

Mon cas n’est pas le plus courant. Beaucoup d’ayants droit n’ont pas hérité d’un chantier aux fondations si bien préparées. Sa maniaquerie m’a facilité la gestion des archives, mais sa personnalité m’a aussi fait hériter de ses excès: depuis l’enfance passée réfugiée en Suisse il avait horreur des groupes. Insubordonné, il refusait les règles imposées d’une communauté. Son envie d’expérimenter tous les genres artistiques ou commerciaux confondait d’autant plus les pistes. Son exigence l’isola. J’ai parfois regretté que mon père n’ait pas fait plus d’alliance de son vivant, qui m’aurait guidée dans les jours qui suivirent son décès.

Pour décider il faut comprendre. Donc mon urgence fut, et reste, de connaître le fonctionnement du milieu photographique. Je me suis rapprochée des enfants et veuves de photographes vivants ou décédés que je pouvais rencontrer facilement. Francine Doisneau, Katiuscia Giacomelli, Nadia Blumenfeld, Catherine Riboud et Lorène Durret, Aliette de Fenoyl et Laure Augustins sous la bonne étoile de Sabine Weiss, pour en citer certaines et les remercier, ont toutes confirmé le temps à prendre pour être compétent. J’ai la chance d’avoir ce temps pour penser son œuvre et la valoriser avant de la laisser entre les mains expertes des institutions.

J’ai été agréablement surprise par l’envie générale de conseiller. Comme Michel Poivert le remarqua aussi, il existe une bienveillance et une écoute dans ce petit milieu loin des enjeux financiers gigantesques de l’art contemporain.

Reste que les ayants droit rencontrés ou présents dans la salle, trouvent difficile de savoir comment bien conserver et en même temps diffuser l’œuvre héritée. La journée avait parfois des airs de rencontre d’alcooliques anonymes au fil des interventions des ayants droit accablés par la tâche. Les familles et les photographes ne sont pas approchés de leur vivant. Gilles Désiré dit Gosset de la MPP précise qu’il ne démarche pas les artistes. Cela susciterait des attentes voire des exigences. Je comprends ses réserves mais il en résulte que l’ayant droit risque de ne pas même connaître l’existence de cette solution, ou qu’il n’ose pas l’envisager. D’ailleurs comment évaluer si un fonds ‘mérite’ d’être préservé?

Mon père avait une reconnaissance de son vivant et était assez conscient de son talent pour me communiquer l’importance de le préserver. L’ayant droit va hériter de l’œuvre mais aussi du manque de confiance de l’artiste. Quand je vois la peine que j’ai à obtenir des rendez-vous, j’imagine combien cela doit être décourageant pour une œuvre plus réduite ou moins connue.

Ce qui est le plus précieux est le temps passé à ses côtés, un temps compté qui me semblait parfois pénible auprès d’un père exigeant qui savait sa fin proche, un temps qui me donna les clefs pour parler en son nom. Mon ignorance des mécanismes du monde de la photo était aussi peut-être une force. Mon immersion accélérée par sa mort m’a donné une détermination que je ne pensais pas avoir.

Je veux continuer à promouvoir le travail de mon père. J’ai la chance que son fonds génère assez de moyens pour être indépendant. Le tabou de l’argent plane au-dessus de ces conversations. Pourtant il détermine beaucoup. Certains fonds sont plus fructueux que d’autres. Les personnes étrangères au fonctionnement des archives demandent pourquoi je n’ai pas créé une fondation! Rares sont les photographes qui ont pu financièrement asseoir une telle structure. Rares aussi ceux qui peuvent se permettre de garder l’intégrité du fonds et de ne pas vendre des tirages.

Comme l’expliquent Fannie Bourgeois de Christie’s et Audrey Bazin de la galerie Christophe Gaillard, les galeries et les maisons de ventes accompagnent cette introduction des œuvres auprès du public: en facilitant les acquisitions dans les collections publiques, en collaborant avec les institutions pour célébrer l’artiste et surtout, en travaillant sa cote qui facilitera la mise en valeur des archives.

Si les institutions, les commissaires et le marché de l’art travaillent ensemble, le travail d’un artiste peut survivre aux risques de l’oubli.

Le mot stratégie, qui effraie certains, est pourtant le terme juste pour faire face à un fonds. Les ventes hâtives de certaines archives ont saboté des possibilités pour le futur de certains fonds.

L’estimation est un chapitre en soi. Pour décider du sort d’un fonds, il faut qu’il soit estimé. Ce n’est pas une science dure malheureusement. Par définition, la nature reproductible de la photographie contredit la rareté.

Les collectionneurs sont amateurs des nuances entre vintages, semi-vintages édités ou pas etc. Pour la génération de mon père, qui a rencontré la photographie comme image imprimée dans les journaux et magazines, seule l’image compte et non son support.

Les temps ont changé, l’image ne rapporte presque plus rien et les tirages d’épreuve ont pris de la valeur.

L’ayant droit s’adapte mais n’a pas forcément la permission de faire des tirages posthumes. La personne qui détient le droit moral, qui peut être autre que l’ayant droit, peut l’envisager. À condition d’être très bien conseillé par les connaisseurs du marché. Finalement la photographie est un art récent et ses règles sont encore en construction.

Qu’en est il de tout ce qui accompagne une œuvre: les carnets, les agendas, les appareils photo ou même les factures de l’artiste? Selon les historiens, tout est matériel de compréhension de l’œuvre. Surtout lorsque les ayants droit à leur tour disparaîtront. J’ai hérité du studio dans lequel il travaillait, archivait et collectionnait. Pour bien gérer il fallait que je m’approprie les lieux. Halte là m’a-t-on prévenu! L’ordre même laissé par lui, ses étiquettes, ses boîtes et ses rangements sont une trace de sa réflexion. Encore une fois l’expertise des autres donne matière à réflexion avant d’agir.

Tellement d’autres points ont été discutés, passionnants pour cette communauté rassemblée autour de la photographie. Chaque intervenant avait le souhait de transmettre les nuances de sa spécialité aux oreilles captivées des nombreux ayants droit présents: une écoute plus ou moins confiante selon leur degré d’investissement. Nous appartenons à un écosystème dont tous les métiers travaillent pour honorer les photographes. Cette « chaîne alimentaire de l’ayant droit”, comme l’appelle Michel Poivert, mérite d’être mieux huilée pour s’affirmer.

Fiammetta Horvat

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