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The Way I See It : Entretien avec Pete Souza

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Photographe de la Maison Blanche pendant les mandats des présidents Reagan (1983-1989) et Obama (2008-2016), le photojournaliste Pete Souza sort ces jours-ci son documentaire The Way I See It. Passant jours et nuits aux côtés de ces deux présidents, les photographies remarquées de Pete Souza ont profondément changé la perception des deux locataires de la Maison Blanche, racontant aussi bien la tension durant les décisions nationales et internationales, l’orchestration du pouvoir à Washington, comme les simples habitudes de chaque décisionnaire.

The Way I See It livre une simple chronique de deux administrations différentes, tout en dévoilant un regard précis sur la fonction présidentielle américaine, la vie quotidienne des élus, leur intimité et ligne de conduite. Il fournit une affirmation vibrante contre les abus de pouvoir, mettant en lumière l’appréhension comme la pratique profondément conflictuelles du pouvoir du président actuel, Donald J. Trump

Dans votre documentaire The Way I See It, vous résumez votre fonction, photographe officiel du Président Barack Obama pendant ses deux présidences, de la sorte : « Mon objectif fut de façonner la meilleure archive photographique jamais créée ». Avez-vous réussi ?

Pete Souza : Je pense avoir réussi du mieux possible. Je laisserai les autres juger si j’ai atteint ce but ou non. Mais je pense sincèrement avoir fait de mon mieux.

 

La présidence Reagan marqua vos premiers pas au sein de la Maison-Blanche. Aviez-vous alors des inspirations, un photographe guidant vos premiers gestes ?

Une inspiration franche, sans doute possible, fut Yoshi R. Okamoto, tant par son accessibilité que par sa couverture du président Lyndon B. Johnson. Il fut le photographe présidentiel officiel [Chief Presidential Photographer] pendant sa présidence. À cette époque, j’essayais simplement de m’approcher le plus près de son travail.

Okamoto eût accès à tout ce que fit Johnson, je fis de même avec le président Obama. Ses photographies étaient fantastiques, dans une veine véritablement documentaire, authentique, sans mise en scène. Sous toutes les coutures, il prenait ses clichés d’un point de vue artistique. C’était alors une époque différente. Dans les années 1960, Okamoto photographiait avec une pellicule noir et blanc, tandis que j’utilise le numérique, la couleur. Le médium est différent.

 

Vous affirmez également vous considérer « comme un historien… avec un appareil photographique ». Les historiens se sont-ils saisis de vos images ?

La professeure en communication à l’Université de l’Illinois Cara Finnegan publie ces jours-ci un livre sur le lien entre photographie et Maison-Blanche, pas uniquement sur mon travail, mais également sur d’autres présidents et photographes. Elle considère mes travaux comme des documents historiques. Quant à Michael Shaw, qui dirige l’organisation à but non lucratif Reading the Pictures, il analyse fréquemment de nombreuses  photos. Sans surprise, mes clichés de Reagan ont un caractère plus historique que ceux d’Obama, le temps n’est pas encore passé depuis la fin de cette administration. Et revenir sur les photographies de Reagan me permet d’observer de nouveaux aspects, simplement parce que trente ans ont passé. Je regarde ces images d’un nouvel œil.

Il faut comprendre qu’à chaque fin d’un mandat présidentiel, toutes les photographies réalisées, chacune d’entre elles, sont confiées à nos archives nationales. Les photographies ainsi que tout autre document, courriels présidentiels, notes… Tous sont rendus publics. Ainsi, toutes les photos réalisées sous Reagan sont en ligne à la Bibliothèque Nationale. Et il en sera de même pour les photographies sous Obama. Soit deux millions, j’ignore qui pourrait bien passer en revue autant d’images…

Pour revenir à cette expression « un historien… avec un appareil photographique ». Dans la Maison-Blanche, je suis le seul à ne pas prendre part aux réunions. Je suis un simple observateur, avec une caméra. Mon rôle est de photographier, pour les archives. Pour l’histoire. Ce rôle est primordial afin de saisir l’atmosphère et les émotions d’une réunion, avec quels acteurs, dans quel contexte. Dans cinquante ans, les gens pourront alors se faire une idée de ce que fut la présidence Obama, quel être humain il fut, en regardant simplement mes images.

 

Suivre un président au quotidien, c’est s’intéresser au corps, au visage, à ses émotions physiques, une somme de portraits. Il existe d’autres manières de montrer le lien politique, l’influence du politique par le corps. Je pense au train funéraire de Robert Kennedy immortalisé par Paul Fusco, où l’environnement généra, la présence symbolique d’un corps révèle une facette du politique ? Plutôt que le simple portrait, cherchiez-vous à illustrer différemment le politique ? 

De bien des façons, j’ai fait attention à la façon dont les gens interagissaient avec Obama, directement ou non. Je détournais souvent mon objectif du président Obama. C’était un réflexe sous-jacent. Et je crois que ces photographies auront un écho dans les années à venir. Nous aurons alors un bon marqueur, une bonne idée de la façon dont les gens étaient, rien que par leur visage.

 

Une image parmi bien d’autres symbolise ce que fut la Présidence Obama, comment il structura son autorité à Washington. Dans le bureau ovale, on devine le président et trois conseillères, et plutôt que de voir leurs visages, nous découvrons leurs pieds.  

J’ai reculé pour trouver un plan plus large. En me concentrant sur leurs pieds, on peut tout aussi bien deviner à qui Obama s’adresse. Ce sont trois femmes. Et cette photographie souligne ce symbole : parmi les plus hauts fonctionnaires, parmi les décisionnaires, on comptait un très grand nombre de femmes, de personnes de couleur. Désormais, vous regardez une photo d’un conseil présidentiel sous Trump et vous ne verrez que des hommes blancs.

 

Vous avez suivi pour la toute première fois Barack Obama quand il fut élu sénateur, en 2005. Vous avez immédiatement trouvé en lui « bon sujet ». Fut-il par moment un mauvais sujet ?

(rires) Qu’il soit « un bon sujet » signifie surtout qu’il était à l’aise avec le fait d’être photographié, que la présence de mon appareil photo n’altérait pas son comportement. En tant que photojournaliste, vous souhaitez plus que tout faire des photos authentiques. Mais si votre sujet s’avère trop conscient de la présence de l’objectif, il devient parfois difficile d’avoir une photographie naturelle, authentique. Le sujet devient alors soucieux de ses gestes. Et dès 2005, lorsqu’il était sénateur, Obama se fichait de ma présence.

 

Le documentaire revient sur la nuit du 2 mai 2011, l’exécution d’Oussama alors chef d’Al-Quaida. Le président Obama et les hauts gradés de l’armée américaine suivirent depuis une salle stratégique l’ensemble des opérations. Cette photographie où l’on voit Obama en retrait, la tension habitant le dénouement de l’opération, est restée fameuse. Quelqu’unes de vos photos apparaissent, par endroit, brouillées. Probablement pour raison d’État. Furent-elles vérifiées quotidiennement ?

Elles le furent chaque fois qu’un élément sensible apparaissait, s’agissant de documents administratifs, classifiés, top-secret. Dès lors, cela pouvait poser problème. Parfois, il y avait une réunion dans la « Situation Room », et, selon le contexte, vous pouviez identifier et lire dans mon image les mots d’un document. C’était la seule contrainte. Il s’agissait alors de ne pas rendre la photographie publique, ou bien de brouiller les éléments sensibles, tout en avertissant le lecteur. Nous avons souvent choisi cette seconde option, tout en étant transparents dans la légende.

 

Votre documentaire souligne combien un président rencontre, bien plus que le commun des citoyens, la mort. Cette mort, ou plus largement l’épreuve tragique, est non seulement liée à des crimes ­— comme, par exemple, le massacre de l’école primaire Sandy Hook à Newtown dans le Connecticut —, mais aussi à des accidents, à des désastres naturels, à des pertes militaires, à des morts quotidiennes. Le documentaire aide à saisir la réaction d’un président face à ces événements d’une simplicité désarmante, tout autant que troublante. Elle souligne que la politique est parfois submergée par la tragédie, au sens premier du terme. Vous avez vécu ces événements à travers votre objectif et vous avez vu le président Obama faire face à ces difficultés.

La première fois qu’il fit face à ce genre d’événements, il s’agissait d’une fusillade de masse à Forthood, au Texas [le 5 novembre 2009]. Ce fut la toute première fois et je pense qu’il n’existe aucun manuel, clé en main, étape par étape, expliquant au président : « Voici comment réagir lorsque vous rencontrerez des personnes en situation de détresse ». Il s’agit d’empathie et de compassion, et soit vous en avez, soit vous n’en avez pas. Je me souviens de cette « première fois », car Obama ne savait pas ce qu’attendaient de lui ces familles venant de perdre un des leurs, tués par un fou armé… et il s’avéra que ce qu’ils souhaitaient, c’était une accolade et une chance de parler de leur fils, de leur fille, de leur mari.

Je dois l’avouer… Il a dû faire cela trop souvent. Sa présidence rencontra de multiples fusillades de masse, des catastrophes naturelles. Et l’un des moments les plus difficiles à surmonter fut effectivement celui de l’école primaire de Sandy Hook, où 26 personnes furent tuées par balle, dont 20 enfants en CP, âgés de six à sept ans. Peut-on imaginer ce que cela représente pour un parent d’apprendre la mort de son petit garçon de six ans ? Celui tout juste accompagné au bus scolaire quelques heures auparavant. Vous devez aller identifier le corps, et comprendre qu’il a été exécuté par balle à bout portant. Ces jours-là, il fut entièrement submergé par les émotions. Il avait alors de jeunes enfants. Il voyait ce drame comme un parent, se mettant à la place de ces parents. À Newtown, deux jours après la fusillade, ce fut l’une des choses les plus difficiles qu’il eût à faire pendant sa présidence. Et il fit cela en consolant ces gens, en étant compatissant, empathique…

Comparons cela avec la présidence Trump. Nous avons connu une autre fusillade de masse à Santa Fe, au Texas [le 18 mai 2018]. [Après s’être rendu sur place] Trump est allé dire à tout le monde que les gens l’avaient traité comme une rock star ! Je me dis… « ce n’est pas la question. Ce n’est pas l’objectif de cette visite aux familles. Ce n’est pas la raison de votre visite à ces familles. Vous êtes là pour consoler ces familles, sans chercher à vous faire prendre en photographie avec elles, afin de dire au public comment vous avez été si bien accueilli ». Pour ce type, tout événement est vécu à travers son prisme ! Et ce n’est pas le rôle du président. Son rôle, son travail est de nous représenter tous, et pas uniquement lui-même. Nous espérons d’un dirigeant qu’il soit compétent, honnête, compatissant et empathique. Mais il n’est pas un dirigeant. Il est faible, inefficace.

The Way I See It
Un film documentaire de Pete Souza
2020
Une production ACE Content et Jaywalker Pictures production
en collaboration avec Plateform One Media

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