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Matthew Rolston, Les rêves réalisés des marionnettes

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Ces pantins nous fixent des yeux, dans l’expectative, comme s’ils attendaient une réponse. Les résidents du Vent Haven Museum effraient souvent les visiteurs, les impressionnent avec leur regard collectif. Comment répondre à leur désir si apparent ? Le photographe Matthew Rolston a succombé à leur appel silencieux en faisant leurs portraits. Chaque photo mesure 1,5 mètre sur 1,5 mètre, format carré plus grand que nature, d’une portée considérable. Ce ne sont ni des portraits verticaux conventionnels ni des natures mortes horizontales, mais une combinaison volontaire des deux. Rolston voit ces marionnettes ventriloques comme des sujets, révélant leurs particularités individuelles à travers leurs cheveux, la couleur de leurs yeux, leurs sourcils, la forme de leurs nez et de leurs bouches, et même la taille de leurs oreilles.

Ces caractéristiques, qui fascinent Rolston lorsqu’il photographie les modèles de mode, les célébrités et les gens du spectacle, l’ont amené à prendre la décision astucieuse de montrer ces amuseurs confectionnés à la main comme s’ils étaient vivants, ce qui n’est pas si difficile à imaginer. Ils ont passé leurs vies sur les genoux de partenaires attentifs, mais qui les contrôlaient pour leur donner vie, après avoir demandé à des spécialistes de la fabrication de visages de leur faire des yeux qui se levaient lorsqu’ils étaient exaspérés, des sourcils qui se haussaient lorsqu’ils étaient surpris, des oreilles qui gigotaient lorsqu’ils étaient amusés, et de pouvoir donner l’impression de fumer ou de boire, comme leurs spectateurs des nightclubs. Certains d’entre eux ont voyagé dans le monde entier pour faire rire les gens, jusqu’à ce qu’eux ou leurs propriétaires aient fait leur temps. Dans leur retraite silencieuse, ils ne jouent plus.

Dans les portraits de Roltson, ces marionnettes ventriloques, comme on les appelle officiellement, semblent étonnamment vivantes, puisqu’il les a réanimées par l’alchimie photographique. Il a choisi ses sujets, environ deux cents parmi la collection du Vent Haven Museum qui en compte plus de sept cents, simplement par réaction à leur apparence frappante, exotique ou perturbante. C’est sans doute notamment par empathie que Rolston a choisi de dépenser du temps et de l’énergie pour mener son projet à bien. S’il a imaginé ces photos, c’est aussi pour l’une des raisons fondamentales invoquées par les artistes au cours du temps : leur apparence lui plaisait et il voulait voir s’il pouvait influencer le regard porté sur eux, les faire intégrer une culture visuelle plus large. A cet égard, le talentueux Irving Pen est sans aucun doute une référence.

Penn a été un photographe mythique des mannequins, des hommes d’état et des gens du spectacle, ayant le plus souvent travaillé pour Vogue. Après trente ans passés dans les tranchées de la beauté, il a pourtant décidé de s’assigner une nouvelle tâche : trouver la beauté dans l’extrême inverse. Il a ainsi photographié des mégots de cigarette et d’autres déchets des caniveaux, dont il a créé d’élégants tirages platine à grande échelle. De nombreux spectateurs les trouvaient laids et révoltants, avant tout par contraste avec l’œuvre qu’il avait réalisée dans le monde du showbiz. Pour Penn, les sujets la fin de sa carrière continuaient toutefois à traiter des questions de lignes, de formes et de rythme dans l’image photographique. Il semblait déterminé à prouver que son art résultait de son talent et de ses qualités, et non de l’attraction propre à ses mannequins.

Les sujets ainsi choisis par Penn – déchets flottants ou jetés dans la rue, mais aussi natures mortes aux crânes d’animaux – soulignent le passage du temps, traitant du thème de la mortalité, qu’il a en choisi d’approfondir en tant qu’artiste à la fin de sa carrière. Sa photo détaillée en noir et blanc représentant un paquet de Camels écrasé peut sembler banale, mais c’est une composition exigeante, qui montre les petits impacts de matière disséminés en partant du centre. On peut dresser un parallèle avec la photo de Rolston, Art Anteak, qui montre des yeux globuleux, un nez et une bouche raclée et écrasée, blessures anarchiques peut-être liées au fait que le pantin a été abandonné. Les cheveux ébouriffés rappellent le chaos maîtrisé de la composition de Penn.

Rolston a lui aussi choisi ses sujets, non plus beaux et immaculés, mais semblant des déchets culturels de peu de valeur. Ses photos montrent le passage des ans : l’écaillage du maquillage peint, la perte des cheveux, l’affaissement de la peau en cuir utilisée autour de la bouche.

Rolston a demandé à la conservatrice du Vent Haven, Jennifer Dawson, de tenir chaque pantin devant un drap blanc éclairé par une unique source de lumière très crue. Il a placé l’appareil pour saisir l’étincelle de lumière dans les yeux de la marionnette, conférant à chacune un air intéressé ou attentif, comme si elles écoutaient au lieu de parler.

Utilisant un objectif grand-angle pour accentuer les traits du visage, Rolston a pris chaque photo depuis un angle légèrement bas, pour souligner l’aspect monumental de ses sujets. Nous sommes presque forcés d’intégrer les compositions, puisque de nombreuses têtes sont coupées sur le haut, procédé utilisé par Richard Avedon et Irving Penn avec grand effet. Ces photographes ont compté parmi les premières influences de Rolston, qui a grandi en regardant leurs photos dans les pages brillantes des magazines Vogue et Harper’s Bazar de sa mère.

La coupe étroite du visage est un procédé ayant également été utilisé par Andy Warhol, qui a donné à Rolson sa première chance en lui demandant de photographier Steven Spielberg pour le magazine Interview. Warhol est resté pour lui un phare, dont le format carré des portraits de célébrités a certainement influencé le choix de Rolston. Il n’y a qu’à comparer le portrait sérigraphié de Marilyn Monroe avec la photo de Rolston, Powers Girl, tous deux marqués par les aplats de fard à paupières bleu clair. En hommage à la photo iconique de Warhol, Rolston a réalisé avec Powers Girl un portrait serré, coupant le haut de la tête blonde et les épaules pour isoler le masque du visage. L’écharpe verte à peine visible autour de son cou est presque de la même teinte que le fond de la photo de Marilyn. Les yeux exorbités de la marionnette lui confèrent toutefois un air à la fois comique et tragique. Si la photographie a la capacité de figer la vie dans un état passé, l’oeuvre de Rolston révèle ici un autre objectif : suggérer à nouveau la vie vécue, pour se détacher de la façon dont les marionnettes, les mannequins, les poupées et les pantins sont habituellement décrits. On pense aux photos d’Hans Bellmer du début du vingtième siècle, représentant des substituts démembrés de corps féminins, fortement liés à l’esthétique surréaliste de l’époque.

Si ces marionnettes semblent assurément bizarres, elles ne sont pas surréalistes. Rolston les a photographiées avec compassion, comme un enfant prête un nom et une personnalité à une poupée ou une peluche. Rolston a puisé dans cet élan universel qui consiste à projeter nos qualités d’homme sur des figures inanimées. (Pensez au Lapin de Velours, à Pinocchio ou même à Toy Story.) Barnaby, par exemple, avec son costume élégant rayé, ses sourcils relevés, et ses grands yeux comme des soleils, hypnotise tel un mandala hindou ou bouddhiste, par sa capacité à attirer le spectateur dans sa présence contemplative. Le format de cercle dans un carré de ce diagramme spirituel fait écho à la tête et aux yeux ronds inclus dans les quatre côtés égaux de la composition de Rolston.

Ces créatures semblent familières ; nous sommes attirés vers elles et leurs histoires tout comme de l’une à l’autre, avec pathos et humour. A l’image de leurs créateurs humains, elles incarnent des récits individuels et personnels, qui suscitent notre curiosité et nous incitent même à l’identification. Rolston n’est pas le premier photographe à montrer ces pantins : l’artiste Laurie Simmons a pris des photos au Vent Haven Museum à la fin des années 1980, mais Rolston l’ignorait jusqu’à avoir terminé son projet. Simmons avait intitulé sa série Talking Objects, et situé les pantins en contexte, en tant que curiosités, éléments d’une nature morte. Par contraste, Rolston les considère comme des sujets, et non comme des objets. Cette distinction fondamentale nourrit sa décision d’utiliser un format radicalement simplifié. La pose frontale identique, sans fond ni accessoires, insiste sur le statut de portrait individuel. Nous ne pouvons échapper à ces yeux. Dans ces photos extraordinaires, les pantins nous apparaissent comme des amuseurs ayant quitté leur retraite pour un dernier spectacle. Nous imaginons ainsi leur fierté et leur allégresse de se retrouver devant un nouveau public.

Hunter Drohojowska-Philp

Hunter Drohojowska-Philp est un critique d’art basé à Los Angeles.

 

Talking heads, The Vent Haven portraits (« Têtes qui parlent, Portraits du Vent Haven »)

Plus d’informations sur :

http://matthewrolstontalkingheads.com

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