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David Turnley : Photographier l’âme de l’humanité

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David Turnley présente à la Mairie du 3ème à Paris l’exposition Photographier l’âme de l’humanité. Il nous a envoyé le texte suivant :

Ayant grandi dans le Midwest industriel des États-Unis dans les années 60, avec un père qui était un grand athlète et une mère qui était une incroyable pianiste, ma vie tournait autour du football. Dès mon plus jeune âge, j’étais conscient des inégalités et des préjugés. J’ai été attiré par la méritocratie du sport et, dans le football, les valeurs de ténacité et la beauté d’entrer dans un flux, qui m’ont permis de naviguer intuitivement dans le chaos d’un terrain de football. Vers la fin du lycée, mon frère jumeau Peter, s’est déchiré le genou en jouant au football, et à l’hôpital, nos parents lui ont donné le livre LE MOMENT DÉCISIF, par le grand photographe français, Henri Cartier Bresson. Du jour au lendemain, nous avons tous les deux remplacé notre amour pour le football par un amour pour la photographie. Ce qui m’a inspiré dans l’œuvre d’Henri Cartier Bresson, c’est sa sensibilité lyrique et rythmique pour le mouvement dans l’espace. Et tout aussi important, l’émotion subtile mais puissante que son travail a provoqué en moi. Alors que je faisais l’expérience de ses voyages à travers le monde, dans la richesse d’un monde multiculturel, ses photographies de moments quotidiens dans la vie des gens du monde entier criaient la reconnaissance de notre humanité commune.

De l’âge de 17 à 19 ans,  j’ai été également inspiré par le livre de Bruce Davidson E.100th Street, Peter et moi documentions la vie dans une rue de la classe ouvrière du centre-ville – McClellan Street. Après ma première année d’université, j’ai pris mon premier voyage en avion, et armé d’un portefolio de tirages que Peter et moi avions imprimés avec passion dans notre chambre noire au sous-sol, je me suis envolé pour New York et j’ai pris un taxi pour Magnum. Le directeur a regardé notre travail et avec un regard étonné, il a dit que nous avions tous les deux ce qu’il fallait pour devenir photographes. Et puis j’ai appelé les piliers de la communauté de la photographie documentaire à New York pour qu’ils regardent notre travail. Cela comprenait John Morris, qui avait été le premier directeur de Magnum, puis l’éditeur photo du NY Times. Après avoir regardé notre travail, il a dit qu’il voulait défendre notre travail. Quand j’ai partagé plus tard que j’étais intéressé et voulais déménager en France, pour rencontrer Henri Cartier Bresson, il m’a donné l’adresse d’Henri sur La Rue de Rivoli devant le Jardin des Tuileries, et m’a suggéré d’aller le voir, et de demander d’abord a rencontrer sa femme Martine Franck qui, selon lui, était aussi une grande photographe et peut-être plus facilement disponible pour me rencontrer. J’ai interrompu mes études universitaires et je me suis envolé pour Paris, avec l’argent que j’avais gagné en travaillant dans la construction pendant les étés du lycée et ma première année de collège. J’ai trouvé une chambre de bonne, au dernier étage de l’immeuble juste à côté de Notre Dame, j’ai commencé à étudier le français à la Sorbonne, j’ai vendu des glaces devant un café en contrebas pour gagner de l’argent, et j’ai arpenté les rues de Paris avec mon appareil photo. Deux semaines après mon arrivée en France, je me suis rendu à l’adresse que John Morris m’avait donnée pour Henri Cartier Bresson, j’ai monté les six volées d’escaliers jusqu’à la porte de son appartement et de celui de Martine Franck et j’ai frappé à la porte. Un monsieur plus âgé est venu à la porte. Je me suis présenté sans me rendre compte que je me tenais devant Henri Cartier Bresson, et j’ai dit que j’aimerais s’il vous plaît rencontrer Martine Franck pour lui montrer notre travail de la rue McClellan. Le monsieur, a répondu en français, Qu’il était désolé, mais que je devais comprendre, que « Nous » sommes très très occupés. Quand il a dit « Nous », j’ai réalisé que je me tenais devant Henri, et dans l’étonnement de ma réalisation, j’ai ri, non pas de lui, mais de ma surprise, et j’ai dit : « Es-tu Henri Cartier Bresson ? ». Et il a dit : « Oui, je le suis. Veuillez entrer, mais je suis désolé que nous soyons si occupés. En entrant, j’ai été bouleversé en voyant accrochés aux murs des tableaux de Picasso, Matisse, Chagall, Miro. Henri demanda alors : « Voulez-vous prendre l’air sur notre balcon en attendant Martine ? Et j’ai répondu : « Monsieur Cartier Bresson, je suis de l’Indiana, et je n’ai jamais pris l’air sur le balcon de personne et j’en serais ravi. Et avec cela, je suis monté sur le balcon pour profiter de la splendeur absolue d’une vue surplombant le jardin des Tuileries et le cœur de Paris. C’est un moment que je n’oublierai jamais. Et j’ai remarqué sur une petite table de salle à manger le légendaire Leica d’Henri dont j’avais lu qu’il était décoré pour ressembler davantage à un appareil photo amateur afin qu’il n’attire pas l’attention sur lui. Et puis Martine est arrivée.

Elle n’aurait pas pu être plus gentille. Elle a regardé notre travail sur McClellan Street et s’est exclamée à quel point c’était bon. Elle a ensuite partagé avec moi un livre de son propre travail qui m’a également beaucoup ému. Elle m’a proposé de me présenter à la communauté de la photographie documentaire à Paris lors de l’ouverture d’un labo photo dans les prochains jours. Et comme je me levais pour la remercier ainsi qu’Henri, qui avait écrit une lettre à une table dans la même pièce, il a dit qu’il partirait avec moi. Et là-dessus, nous avons descendu ensemble les escaliers , Henri avec son Leica sur l’épaule, et quand nous sommes arrivés devant la porte cochère ouverte, il s’est retourné a souri, m’a tendu la main et m’a dit au revoir. Je pleure encore quand je me souviens du moment. Je l’ai regardé descendre le trottoir jusqu’à ce qu’il disparaisse, imaginant ce qu’il pourrait photographier au cours de sa promenade.

Et puis avec un cœur incroyablement excité, reconnaissant et plein, j’ai traversé la rue, vers le jardin des Tuileries,  déterminé de faire une photo qui me rappellerait toujours ce moment incroyable. Et je partage cette photo, d’enfants jouant au rugby dans le parc, en l’honneur de ce moment avec Henri Cartier Bresson, et Martine Franck que je n’oublierai jamais. Un moment, et un an de ma vie en France, qui a changé ma vie pour toujours, et le début d’une longue histoire d’amour avec la photographie, et avec Paris, et avec la France.

C’est avec cette histoire que je suis fier de partager avec vous, une sélection de mes photographies, que j’ai réalisées pendant ces cinq dernières décennies à Paris, le Maire du Centre de Paris, Ariel Weil m’a invité à montrer et accrocher ces images autour de la Mairie du 3ème Arrondissement de Paris. L’exposition s’intitule Photographier l’âme de l’humanité-Paris. David Turnley, 1975-présent.

Seize ans après ma première rencontre avec Henri Cartier Bresson, des années bien remplies par la lutte contre l’apartheid, la libération de Nelson Mandela,  un prix Pulitzer pour mon travail sur la fin de la guerre froide, le mouvement étudiant place Tiananmen en Chine, et ayant juste reçu le prix pour « La photo de l’année » en 1991 du World Press Photo pour une image de la guerre en Irak. J’ai été invité avec ma femme à une réception, après une exposition rétrospective d’Henri Cartier Bresson à Paris, où j’étais basé. Assis à une table, j’ai décidé à un moment du dîner d’accueil, que je voulais aller à la table d’Henri, que je n’avais pas revu en personne depuis toutes ces années, pour lui dire combien lui et son travail avaient signifié pour moi quelqu’un m’avait précédé, et j’attendais mon tour pour lui parler, pendant ce qui m’a semblé une éternité. Et puis soudain, Henri s’est retourné, et j’ai partagé aussi sincèrement que possible, mes sentiments. Et je me rasseyais près de ma femme à notre table, environ 15 minutes plus tard, tout à coup, Henri est arrivé il était debout un verre de vin à la main. Et alors qu’il me regardait, il a dit si sincèrement « David. Je suis tellement ému que tu sois venu me parler ! J’ai tellement de respect pour toi et j’aimerais que tu boives de mon verre de vin ! » Et j’ai souri avec tellement d’appréciation, et j’ai dit: « Henri, je ne peux pas te remercier assez. » Et Henri a continué. « Je voudrais que ta femme et toi veniez bientôt dans notre appartement pour dîner avec nous! »

Je partage cette histoire avec les photographies de mon exposition actuelle à Paris, avec tant de gratitude envers Henri Cartier Bresson. Et aussi pour les valeurs de Liberté, Egalité et Fraternité, de la France, où je vis avec ma femme Rachel et ma fille Dawson. Où mon fils Charlie est né. Et où mon frère Peter Turnley vit avec la nationalité française. Chaque jour je me réveille en France, et je suis reconnaissant. Merci de tout mon coeur!

David Turnley

 

David Turnley : Photographier l’âme de l’humanité
19 mai – 11 juillet, 2022
À la Mairie de 3ème– Paris 75003

www.davidturnley.com

 

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