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David Goldblatt est mort

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David Goldblatt est mort hier à Johannesburg. Il avait 88 ans. Nous lui avions consacré un long sujet lors de l’ouverture de sa rétrospective à Beaubourg en février dernier. Le voici à nouveau.

Chercher une « complexité modeste et secrète » disait l’écrivain Jorge Luis Borges en parlant de l’écriture. David Goldblatt avoue aimer cette formule et c’est vrai qu’elle pourrait être le maître-mot de son œuvre tant le photographe livre à l’œil une situation propice à interroger les nuances du monde, dans tout le dédale de ses innombrables possibilités.

Dès ses premiers travaux que le Centre Pompidou expose dans une partie consacrée à l’histoire, nous pouvons observer ce cheminement qu’emprunte David Goldblatt. En 1966, alors qu’il avait habité enfant à Randfontein, il s’intéresse à la mine qui est à côté de cette ville. Non seulement le photographe attrape les gueules des mineurs au travail dans des clichés fugaces où l’épaisseur du grain confère une atmosphère fantomatique, mais il révèle aussi les coulisses de l’entreprise : la salle de bain du patron, son « boy » qui s’occupe de sa sécurité personnelle, le paysage global de la mine et ses machines faites pour extraire la terre du sol. Goldblatt prend tout, comme un témoin impartial qui s’adapte à son sujet et excelle dans toutes les façons possibles de faire une photographie. « Je ne me considère pas comme un artiste » dit-il, « et je préfère penser que je ne fais pas un travail dans l’art, mais plutôt que je cherche l’art de bien faire mon travail ».

Johannesburg

« J’ai grandi en étant très privilégié. Chez moi, j’avais Paris Match et je regardais les reportages des photographes qui m’ont inspiré et donné envie de faire ce métier ». Goldblatt en a gardé son incroyable talent de documentariste qui sait saisir la voix de chaque histoire individuelle à travers une image. Ainsi de sa série consacrée aux Afrikaners, ces sud-africains blancs d’origine allemande, néerlandaise, française ou scandinave et qui ont vivement participé à la ségrégation à l’époque de l’apartheid. David Goldblatt ne se contente pas d’en livrer un portrait fidèle et sombre, il va jusqu’à montrer à quel point ce groupe apparent vit de manière divisée.

Chez le photographe, tout, d’ailleurs, est tourné vers cette grande question de la division sociale. Des domestiques noirs côtoient leurs patrons blancs et parfois un Afrikaner est moins raciste que l’on croit. Il n’y a pas de raccourci, encore moins de clichés. Chez Goldblatt, au contraire, une photographie vient d’une mûre réflexion sur les visages ou les paysages qu’il croise. Elle est une invitation à la rencontre, comme ces jolis portraits qu’il fait d’habitants de Johannesburg : telle femme de ménage qui lui lance un franc sourire, telle chanteuse qui se prélasse sur le divan de son appartement, tel fonctionnaire arrimé à son bureau et le regard sévère. Le photographe place au même plan l’ouvrier et le patron, le clochard et la diva, dans une élégante distance qu’il a trouvée et à laquelle il se place systématiquement.

Bus

A ce talent de portraitiste s’ajoute une conscience nette de la société qui l’entoure. David Goldblatt suivra par exemple la vie d’un fermier s’appelant Kas Maine et qui illustre bien le problème des paysans noirs qui ne pouvaient, durant l’apartheid, posséder des terres. Obligé de vivre sur un petit terrain, ce fermier dévoile sa minuscule cahute faite de bric et de broc et que le photographe se fait fort d’immortaliser. Ainsi, aussi, de cette série réalisée autour des trajets en bus que les gens les plus pauvres du pays – principalement les membres de la communauté noire – doivent emprunter en raison de l’éloignement de leur habitat par rapport à leur lieu de travail. Goldblatt enregistre la détresse de ces pénibles heures de transport – parfois jusqu’à huit heures ! – et documente ainsi les coulisses d’une société où la ségrégation est de mise et où règne une séparation socio-économique terrible.

Structures

Au sein de l’exposition, David Goldblatt a ajouté des photographies récentes qui témoignent des évolutions à l’œuvre dans son pays, souvent vers moins de discriminations. Néanmoins, comme il le montre à travers ses images, le chantier social reste énorme en Afrique du Sud et il demeure des vestiges parfois très visible de l’apartheid. C’est le sens de sa série intitulée Structures dans laquelle le photographe tente de révéler les restes du passé et la trace d’une société extrêmement divisée et hiérarchisée. Dans cette série, Goldblatt s’intéresse autant à l’architecture qu’aux êtres humains. Il prend par exemple en photographie des immeubles vides qui sont les vestiges d’un projet immobilier où seul les Blancs étaient conviés et qui a tourné court. Non loin de là, une photographie présente une passerelle au-dessus d’un chemin de fer et cette légende : « passerelle enjambant la voie ferrée Le Cap-Johannesburg, avec double escalier séparé pour “blancs” et “non blancs” ». Aujourd’hui, les panneaux ont disparu, mais l’escalier est toujours emprunté par une population d’environ 2000 personnes.

Réflexion

L’histoire des lieux et l’histoire des gens que David Goldblatt photographie est formidablement raconté par lui-même dans des courtes vidéos que le Centre Pompidou a disposé un peu partout dans l’exposition. David Goldblatt explique très bien le contexte de chaque photographie et il montre par là à quel point il est investi dans son travail. Rien ne lui échappe et il semble que chaque image vient au bout d’un long temps de réflexion où le photographe s’autorise à ne prendre qu’une situation complexe, pleine de contradictions, le plus fidèle à l’image de la réalité. Ainsi, si de nombreuses photographies pointent les dysfonctionnements de cette société, d’autres révèlent parfois une lueur d’espoir, comme cet homme, photographié de dos, poussant une brouette et qui est en train de construire sa maison sur son propre terrain après des années à ne pas avoir eu accès à un logement. « Vu la contraction de ses muscles on peut penser que cet homme est très satisfait », dit David Goldblatt dans une des vidéos de l’exposition.

 

Jean-Baptiste Gauvin

Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.

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