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Collezione Ettore Molinario : Dialogues #33 : Roger Ballen / Anonyme

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Il s’agit du 33ème dialogue de la Collezione Ettore Molinario. Un dialogue qui aborde le côté obscur du pouvoir, car rien n’est plus fou, maudit et séduisant que la soif de commandement. Nous sommes invités à cette réflexion par Roger Ballen, un auteur que j’aime beaucoup parce qu’il chérit le pouvoir de l’inconscient et de ses fantômes, et un maître anonyme à qui l’on a confié le destin shakespearien de dresser le spectre de l’un des hommes les plus puissants en Europe.

Ettore Molinario

 

L’apparition a eu lieu le 5 décembre 1793, après cent cinquante ans de sommeil profond, lorsqu’une poignée de révolutionnaires ont profané le tombeau du cardinal de Richelieu, construit par l’ancien premier ministre au cœur de la Sorbonne, où il avait été étudiant et recteur. Quelques mois après le début du Régime de Terreur, apparaissent les restes de l’ennemi suprême, celui qui avait renforcé la monarchie de Louis XIII et l’avait poussée vers l’absolutisme. Richelieu fut « l’homme d’État puissant qui fit trembler la France et l’Europe par sa politique » comme on le lit dans Les Trois Mousquetaires. De sa dépouille mortelle, les rebelles n’ont gardé que le crâne et en un instant cette tête, qui s’était imaginé un destin militaire mais avait plutôt étudié la théologie, la tête qui avait dirigé un roi et ses armées dans l’une des plus longues guerres européennes, la tête qui avait fondé l’Académie française, réglementé la langue française et institutionnalisé le théâtre en le transformant en un instrument de consensus politique, eh bien, cette tête est devenue une balle entre les pieds d’un groupe d’enfants qui, en riant et en dribblant, la faisaient rouler autour du rues de Paris.

Selon la légende, l’abbé Boshamp, ému de pitié, le ramassa et le garda avec lui, le confiant dans son testament à Nicolas Armez, maire de Plourivo en Bretagne. Un village trop petit pour un tel honneur, à tel point que le préfet des Côtes-du-Nord réclama la relique et ce n’est qu’après l’avoir longuement contemplée qu’il la restitua à la Sorbonne et sa demeure éternelle. Cela aurait pu être le repos tant attendu pour un homme comme Richelieu qui, dans sa vie, fut l’objet d’infinies conspirations et dont beaucoup réussirent à décapiter leurs auteurs. Mais ce ne fut pas le cas puisqu’en 1894 Gabriel Hanotaux, biographe du cardinal, demanda que la célèbre tête soit à nouveau exhumée, elle fut alors photographiée et imprimée à des centaines d’exemplaires. Et puis oui, devenant un souvenir démoniaque de Paris, Armand-Jean du Plessis duc de Richelieu conquit le pouvoir suprême.

Tout comme le fantôme effrayant de Roger Ballen, inspiré des gravures laissées sur les fenêtres d’un ancien hôpital psychiatrique pour femmes et rassemblé dans l’extraordinaire volume Le Théâtre des Apparitions, pour que ce visage du XVIe siècle par date de naissance mais universel par destin continue à troubler les rêves, révélant la folie de ceux qui aspirent au gouvernement absolu de eux-mêmes, des autres et du monde, et qui ne quittent pas cet absolu, même dans la mort, et sont donc obligés d’errer parmi les fantômes. C’est ce que nous dit le visage de Richelieu, et un avertissement de ce supplice étaient les orbites vides comme des cratères, les paupières sur lesquelles on pouvait encore compter les cils et d’où l’on pourrait craindre qu’une lueur de l’au-delà ne surgisse un jour. Bien sûr, ne faudrait-il pas se contenter d’un portrait post mortem du corps du Cardinal et si la photographie était une invention du XVIIe siècle, peut-être retiendrait-on aussi l’image d’un Richelieu décidé à câliner un de ses chats adorés dans les chambres du sa résidence princière, aujourd’hui Palais-Royal, à deux pas du Louvre. Il en avait quatorze, pour la plupart des Angoras, et on aime retenir au moins trois noms : Lucifer, Ludovic-le-Cruel, Ludoviska. Autrement dit, la photographie n’invente pas le destin, elle ne peut que l’attester.

Ettore Molinario

 

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https://collezionemolinario.com/en/dialogues

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