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Claude Nori, Vacances en Italie

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Ce livre est une merveille de charme, de tendresse et de sensualité. C’est la réédition de Vacances en Italie de Claude Nori épuisé depuis 30 ans. Une réédition à laquelle 
s’ajoutent des images inédites. Le texte de Claude est aussi formidable.
 « À partir de 1982, je décidai de photographier les bords de mer italiens, ceux où je fus heureux avec mes parents mais aussi ceux qui m’étaient inconnus, des destinations mythiques et des villes aux noms évocateurs, Capri, Naples, Portofino, San Remo ou Stromboli, qui avaient inspiré des chansons ou qui servirent de décor à des films. Je m’étais rendu compte que le territoire particulier des bords de mer, l’activité qui se déroulait sur la plage en été constituait vraiment un concentré de culture italienne, un rituel à travers lequel s’exprimait avec le plus de force son art de vivre. Et pour moi ce décor contenait tout ce que j’aimais, le dolce farniente, le sable, la mer, le ciel, les jolies filles en maillot de bain, la sensualité de la peau offerte au soleil, les grandes tablées qui réunissaient les familles entières, les corps libérés des vêtements du quotidien, le mouvement, les rires, les Vespas toujours présentes dans le décor. Et je pouvais m’y  couler facilement à la fois comme un élément de la scène et un observateur amusé. Je venais d’acquérir un tout nouvel appareil photographique, destiné aux amateurs, un Canon autofocus en plastique, révolutionnaire à cette époque, un parfait complice de séduction avec lequel j’avais entamé une série d’images sur le thème du flirt. Il était entièrement automatique avec un objectif fixe de 38mm dont le film était entrainé par un moteur à pile. Petit, maniable, ne craignant pas le sable, il me suivait partout et me permettait de viser et de déclencher d’une main. Puis, l’été 1982, j’achetai une petite caméra single 8 et un magnétophone d’occasion pour filmer sur les plages italiennes.
Si je n’avais pas de but bien précis, je passais de la camera à l’appareil photo en toute liberté et je pressentais que les films, les sons et les photographies que je prenais me serviraient plus tard à raconter une histoire, par le cinéma, les livres et la musique. Les filles posaient amusées et séduites, exhibaient leurs nouveaux maillots de bain avec naturel, un brin de timidité et parfois un air de provocation comme si elles comprenaient que cet été-là, elles étaient au zénith de leur beauté comme celles qui jouaient dans les romans-photos, les comédies ou posaient dans les magazines sur papier glacé. Leurs copains nous observaient un brin jaloux et quelquefois je leur demandais de poser à leurs côtés.
Des mères de familles me suppliaient de photographier leurs filles, lesquelles , à leur tour me proposaient de réaliser le portrait de leurs copines dont elles vantaient la beauté. J’imaginais des histoires d’amour entre des garçons et des filles qui ne demandaient qu’à être filmés ensemble, entre fiction et réalité, amants d’un jour ou d’un été.
Plusieurs de mes photographies font penser à des scènes de films et je veille toujours à soigner les arrière-plans, à créer du récit autour du personnage principal quitte à devenir moi-même un protagoniste de la scène en marquant ma présence, en intervenant physiquement sur la prise de vue.
Je dois tout cela à mon amour du cinéma, du cinéma italien et du néoréalisme en particulier, lequel m’a offert mes premières grandes émotions adolescentes. Je n’oublierai jamais la danse de Silvana Mangano dans Riz Amer, le visage de Monica Vitti envahissant l’écran dans le film l’Avventura d’Antonioni, ou Claudia Cardinale allongée sur le sable dans La fille à la valise de Zurlini. Les images en noir et blanc et souvent en cinémascope de ces grands réalisateurs et directeurs de la photographie ont structuré mes cadrages et mon esthétique toujours en équilibre instable entre reportage et fiction, spontanéité et mise en scène pour évoquer le trouble des sentiments.
La photographie de la jeune fille au maillot noir une pièce, appuyée sur une colonne à Naples m’a été inspirée par le cinéma des années cinquante. Je passai devant un établissement balnéaire privé et je l’aperçu au loin à travers le portail d’entrée qui était surveillé par un gardien. Elle semblait m’attendre. Dans ces cas-là (extrêmement rares!), on sent qu’on ne peut pas reculer, que la photo s’impose comme une évidence vitale. Je m’avançai alors vers elle, dans un état second mais décidé et ce n’est qu’à quelques mètres d’elle que je me rendis compte de mon audace. Mais elle me fixa dans les yeux calmement et m’offrit son regard troublant comme si elle désirait que celui-ci s’inscrive à tout jamais dans mon appareil comme un cadeau de son adolescence à l’été finissant.
Les jeunes filles que j’ai photographiées étaient pour la plupart d’entre elles timides, espiègles, retenues, souvent loin des canons habituels des actrices ou des modèles de l’italianité reconnue des Lollobrigida, Loren ou Magnani. Des filles naturelles qui auraient pu être des copines ou même des amoureuses !
Je me souviens que les Italiens adoraient la photo. Ils aimaient poser et prenaient beaucoup de plaisir à faire les beaux ou les imbéciles et savaient se mettre en valeur. Dans chacun d’eux se cachait un séducteur en puissance. L’Italie est le seul pays où je n’ai jamais eu de problèmes en sortant mon appareil photo. Bien sûr, il fallait installer une forme de complicité, éviter certaines situations qui me semblaient embarrassantes. Je m’en tirais toujours par des rires, des compliments, des pirouettes, en faisant le bouffon, jouant du fait que j’étais à la fois italien et français. Ne sommes-nous pas cousins ? J’avais le sentiment que les filles s’amusaient de ce photographe qui arpentait les plages, en chemise et pantalon blancs avec un foulard autour du cou à la façon de Francois Truffaut et qui semblait être sincère lorsqu’il avouait les trouver aussi belles que dans les films d’Antonioni. Et puis, il n’était pas fréquent qu’un photographe de Paris s’intéresse à elles. Alors, leur culture du cinéma et du roman-photo prenait le dessus. Finiraient-elles dans un magazine où seraient elles découvertes par un réalisateur ?
L’appareil photo chargé avec un film était un objet sensible et mythique. Aujourd’hui le numérique a balayé le mystère de l’image latente. Celle-ci sommeille sur le film avant qu’on ne puisse la développer pour révéler enfin les photographies. Le téléphone et les appareils hybrides ont banalisé et rompu le charme du processus photographique. Il est devenu difficile de photographier dans la rue, à la volée, la méfiance s’est installée à cause des réseaux sociaux. Aussitôt prises, les images circulent anarchiquement sur internet. Les gens préfèrent se passer d’un photographe et multiplient les selfies, un téléphone au bout d’un bras articulé dont le grand angle défigure leur portrait.
Le privilège de l’âge, une certaine expérience me permet encore de belles aventures photographiques et des rencontres privilégiées même si ne ne suis plus un jeune homme et que cela se ressent dans la façon d’aborder les personnes dans la rue. La réalité est là pour me le rappeler, et c’est tant mieux, car j’aime l’idée qu’on ne puisse pas tricher avec la photographie !
L’Italie demeure ma terre de prédilection et Biarritz où je vis maintenant depuis vingt ans avec Isabelle aiguise mon regard et mon appétit de vivre. Lorsque Rahel Morgen et Reto Caduff, les éditeurs de Sturm and Drang m’ont contacté pour une nouvelle édition d’un Été italien, j’ai tout de suite été séduit par leur proposition de ne pas le publier à l’identique mais d’en réaliser une nouvelle version, plus actuelle. Si j’ai d’abord été surpris et quelque peu désorienté par les propositions de la talentueuse directrice artistique Claudia Rafael, j’ai rapidement compris son feeling, ses motivations esthétiques, son approche de mon travail et en même temps son parti-pris graphique.
Avec le recul et en observant mon aventure italienne j’ai conscience d’avoir photographié un territoire privilégié à une époque particulièrement heureuse et insouciante de son histoire. J’ai témoigné de ce bonheur pleinement vécu en tentant de ressusciter les images de l’adolescence que nous préservons au plus profond de nous. »
Claude Nori, Vacances en Italie
184 pages, couleurs et noir et blanc
 Prix : 40 euros

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