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Charlotte Abramow, éternel papa

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La photographe a construit un livre magnifique sur l’histoire de son père atteint d’un cancer. Un portrait éblouissant entre « tristesse et rigolade » comme l’indique le sous-titre de ce premier ouvrage édité par Fisheye.

Voici un livre comme il en existe peu. Un livre où chaque page tournée apporte quelque chose d’essentiel. Maurice, qui retrace la vie du père de Charlotte Abramow, est un parcours jalonné d’émouvantes péripéties qui peuplent le quotidien de cet homme, Maurice Abramow, né le 21 mai 1932 à Anvers en Belgique. Enfant, il connaît la Seconde Guerre mondiale qui va lui ravir ses deux cousines avec qui il partage tant. Déportées dans la rafle d’Anvers, les deux petites filles périront dans les camps de la mort. Le jeune Maurice échappe de peu à ce destin et va être caché contre de l’argent dans la campagne belge pendant toute la guerre. Ensuite, le voilà étudiant en médecine, puis chercheur dans le domaine médical, s’intéressant en particulier au rein dans un célèbre institut américain à Washington avant de revenir en Belgique et diriger plusieurs institutions, être professeur à l’Université Libre de Bruxelles et se voir décorer en tant que Grand Officier de l’Ordre de Léopold.

Descente aux enfers 


Ce passé, Charlotte Abramow nous le raconte en images d’archives et avec ses mots dans une partie du livre qu’elle a intitulé « Genèse ». Une double page est remplie de photographies que sa mère a faites de son père. Une autre double page montre la première photographie de Charlotte lorsqu’elle était enfant : ses parents. Des portraits touchants où l’on découvre un homme plein de force et qui semble heureux de sa vie, parcourant allègrement les plages fouettées par le vent à Belle-île-en-mer. Sa fille, Charlotte, le fait poser pour sa première photographie de studio alors que le modèle qui était censé être là ne viendra jamais. Elle nomme son projet : « Mon père, ce héros ». Mais voilà que vient la maladie. Un cancer du cardia. Il faut opérer pour enlever la tumeur. Maurice plonge. La descente aux enfers : au 7ème jour après l’opération une complication l’envoie dans le coma.

« Nouveau-né » 


De cette période, du coma, Charlotte Abramow nous laisse une double page noire. Comme elle l’explique dans son texte, son père traverse alors un tunnel de 43 jours qui finit par le ramener à la vie, mais dans un état extrêmement diminué. La photographe documente cette nouvelle étape qu’elle intitule « Reconstruction ». Comme la photographie d’une grue en atteste, c’est tout un chantier qui se passe alors à l’intérieur de Maurice. « Comme un nouveau-né » dit sa fille qui, avec sa mère, l’accueille de nouveau à la maison après de durs combats dans divers hôpitaux. Une rééducation très longue et pénible où Charlotte a du mal à reconnaître son père. Mais elle parvient à saisir l’instant d’une lumière qui passe soudain dans ses yeux, un sourire timide, un geste nouveau, un mot qui finit par sortir.

Oiseau

Et puis voilà la « renaissance ». À l’été 2014, Maurice va mieux. Lors de vacances qu’ils passent dans le Sud de la France, Maurice va même jusqu’à se lever de sa chaise pour renvoyer un ballon tandis que Charlotte et sa mère sont dans la piscine. Un geste de rien du tout, mais qui dit si bien la victoire de cet homme sur la maladie, qui se met soudain à revivre. « Il parle, rit, chante. Un immense bonheur s’empare de nous », dit Charlotte et elle ajoute : « tout ce que nous avons encore vécu que nous avions si peur de ne pouvoir vivre encore ». La photographe relate la première fois que Maurice se met à se raser tout seul, mais n’oublie pas d’affirmer : « en vieillissant, il redevient comme un enfant ». Son père a désormais de drôles de lubies. Il se lève la nuit pour faire griller des toasts et les laisse si longtemps dans le grille-pain qu’ils se mettent à brûler. Il retrouve parfois une mémoire nette, précise, avant de retourner dans une étrange planète. « J’ai peur d’être un oiseau qui sait à peine voler » écrit-il alors.

Princesse 


Mais il écrit aussi : « je veux être ». Cette formule, Charlotte l’embellit dans les dernières pages de son livre. L’artiste a créé un conte photographique où, avec de puissantes mises en scène, elle revisite l’épisode de la maladie de son père. La première partie est consacrée au coma. Maurice est alors vêtu d’un costume de Pierrot en enfant qui doit soudain lutter contre un monstre obscur. Puis, vient le réveil où, la chemise déchirée mais rapiécée par des vagues morceaux de scotch, l’homme tente de revenir au monde. Suivent la « désorientation » ou le « langage » qui témoignent des difficultés que rencontre Maurice au quotidien. Une section est particulièrement émouvante. Celle où la photographe pose avec sa mère et son père. Ils sont tous affublés d’une couronne et Charlotte a intitulé cette section « Le Royaume ». Les voilà, triomphants, conquérants, ayant battu la mort. Une reine, une princesse et un roi de la vie.

Jean-Baptiste Gauvin

 

Charlotte Abramow, Maurice

Disponible sur le site https://www.fisheyegallery.fr/boutique/maurice-tristesse-et-rigolade-charlotte-abramow-edition-non-signee-et-numerotee/

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