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Charles Harbutt, le photographe de « l’Amérique en crise », est mort

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Clara Bouveresse a rencontré Charles Harbutt il y a 3 mois, il lui a accordé l’une de ses dernières interview. La voici.

Le photographe américain sondait les fonds et remontait rarement en surface médiatique. Il m’a accordé l’une de ses dernières interviews, en avril dernier à New York.
« Au début de l’histoire, l’homme est mort. A la fin de l’histoire, il est vivant », racontait en souriant Charles Harbutt il y a quelques mois. Cette histoire, c’est celle d’un homme ranimé par massage cardiaque dans un hôpital new-yorkais. Photo après photo, Charles Harbutt montre les gestes qui ramènent une victime à la vie, une technique de sauvetage encore confidentielle. C’était en 1964, le reportage est publié dans le magazine Life.
50 ans plus tard, ces gestes ne l’ont pas sauvé. Charles Harbutt est mort d’une crise cardiaque dans la nuit du 29 juin, à l’âge de 79 ans, alors qu’il donnait un stage photo dans le Tennesse.
Ancien membre de la coopérative new-yorkaise Scope, Charles Harbutt rejoint l’agence Magnum Photos en 1963. Il sera président de la célèbre coopérative en 1970-1972 et 1976-1978. Pendant près de vingt ans, il couvre l’actualité et s’aventure dans le documentaire social. Là où les journaux ne montrent que « la surface », il veut « aller au cœur de l’événement ».
En 1969, il imagine le livre et l’exposition L’Amérique en crise. Avec d’autres photographes de Magnum, il dresse le portrait d’une nation « furieuse, inquiète ». L’heure est à la contestation : lutte pour les droits civiques des Noirs américains, manifestations étudiantes, mouvement contre la guerre du Vietnam. Charles Harbutt explore la faillite du rêve américain.
Dans l’exposition, un film de six minutes présente une série de photographies, sur une musique électronique décomposant l’hymne national. Les visiteurs peuvent aussi jouer avec une étonnante machine à sous de casino : en actionnant un levier, ils déclenchent la projection simultanée de trois images, dans un ordre aléatoire. Une même combinaison ne se répète que toutes les 500 000 fois. « Parfois c’était drôle, parfois c’était choquant, et le public réagissait », se souvenait-il en avril avec fierté. Amusantes ou amères, les juxtapositions fortuites démantèlent l’idée d’un récit commun et donnent à voir un pays en crise.
Ce jeu de hasard, « à la John Cage », est inspiré par les idées de Marshall McLuhan sur la simultanéité des événements dans le village mondialisé. Intrigué par les coïncidences et la chance, Charles Harbutt voulait bousculer notre rapport aux images. « Parfois les photos contredisent leurs légendes ; j’espère juste que les gens seront capables de lire l’image, et pas la légende. »
Ces interrogations pionnières sur le pouvoir des photographies lui feront « perdre foi dans le journalisme ». Il quitte alors Magnum, en 1981. Avec plusieurs photographes, dont son épouse Joan Liftin et Mary Ellen Mark, il fonde l’agence Archive Pictures. Ses photographies, d’abord rassemblées dans son Travelog de 1974, paraissent en 2012 dans une somme à la fois profonde et légère, Departures and Arrivals.
Il laisse derrière lui de vastes archives, conservées au Center for Creative Photography de Tucson, Arizona, depuis 1997. Lors de cette dernière interview, il confiait encore : « j’aimerais que mon travail soit accessible aux gens pour toujours ».

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