Elles sont quatre femmes qui depuis deux ans exposent leurs photos dans des laveries publiques : Valérie Callewaert, Anne-Sophie Costenoble, Marguerite Lagage et Marina Piérard ont lancé ce projet avec l’envie de sortir des lieux d’expositions traditionnels et d’aller vers un autre public. Mode d’affichage démocratique, simples prints, entre savons, tambours et tags.
Comment est venue cette idée d’exposer dans des lavoirs publics ?
Nous nous sommes toutes connues via un même atelier photo (Contraste asbl). Nous voulions continuer à nous réunir autour de nos images, réfléchir à un thème commun, puis l’idée d’exposer ensemble dans un lieu sans prétention est venue. L’une d’entre nous prétendait que les murs des laveries étaient aussi propres et accueillants que ceux d’une galerie. Nous avons donc choisi la laverie. Par chance, nous sommes tombées sur une famille de propriétaires de laveries curieux, ouverts à autre chose que le business. Pour élargir le cercle, nous aimons faire occasionnellement appel à d’autres photographes : Anne-Sophie Costenoble qui est restée, Michel Claris et Jean-François Spricigo, le temps d’une expo. Le projet se veut ouvert à tous et harmonieux humainement.
Quel accueil recevez-vous dans ces lieux ? Etes-vous présentes pour discuter avec les gens ?
On reçoit le même accueil que celui qui entre avec un panier rempli de linge sale. Parfois il y a un bonjour, parfois de la curiosité, parfois l’envie de parler, parfois rien. Il est arrivé que les gens pensent que nous allions coller des pubs. Les laveries sont des endroits plutôt tranquilles dans la ville où il n’y a pas vraiment d’obligation de consommer, où le lien social est possible. Nous sommes présentes pendant une journée ou deux, pour l’installation. Nous revenons voir nos images et nous cherchons à communiquer si les gens le sentent. Nos images peuvent être l’amorce d’une conversation.
Dans le lavoir social d’Ougrée-Seraing, nous restons une journée et sommes accueillies pour le repas, c’est un échange concret dont on perçoit très vite le sens et le bénéfice pour tous. Nous avons un engagement avec eux sur le long terme et sommes soutenues financièrement dans ce cas-là par les services sociaux de la Province de Liège qui a compris que l’art aussi permet d’aider des personnes en situation de fragilité.
Etes-vous allées observer incognito comment les gens regardent vos photos ?
Nous y allons régulièrement pour voir si les images sont encore là parce que les images restent une saison. Il arrive que certaines soient déchirées ou disparaissent et nous les remplaçons aussitôt. Ce que nous remarquons, c’est que les personnes qui lavent leur linge en ville sont souvent seules, et c’est à ce moment-là, si elles n’ont pas un smartphone entre les mains, qu’elles lèvent les yeux. Comme dans n’importe quelle expo, on n’a jamais la garantie que les gens aient une émotion ou soient frappés par une image. Il y a toujours une pudeur chez le spectateur. Nous laissons nos coordonnées, ce qui nous permet de recevoir des petits messages de clients. Un couple de sans domicile fixe était fâché sur d’autres clients qui avaient arraché violemment une série d’images représentant des couchages de personnes sans domicile fixe dans différentes villes européennes. Nous étions touchées de voir qu’après plusieurs semaines en contact avec ces images, ils les défendaient encore mieux que leur auteur.
Y a-t-il des initiatives, des gens qui prennent contact avec vous, demandent des renseignements ou ont envie de se mettre à la photo?
Deux lavoirs sociaux, Ougrée-Seraing (Liège) et Tournai ont entendu parler de notre projet et nous ont demandé de venir faire la même chose pour eux. Un lavoir social ressemble à n’importe quel autre lavoir à l’exception qu’il y a une vraie présence humaine pour accueillir les usagers. Ce sont des assistants sociaux dépendants du service social communal. Nous sommes attendues avec un enthousiasme énorme. Notre travail autour d’un thème et notre installation en présence des usagers du lavoir sont d’excellents moyens pour créer un dialogue entre les gens.
A Bruxelles, un collectif d’enseignants (Red Laboratoire Pédagogique) nous a contactées pour organiser un événement autour d’une de nos expos. La wasserette était pleine à craquer, ils ont fait une sélection musicale accompagnée d’un texte et d’une projection autour de nos images.
Le postulat, c’est l’art pour tous ? Offrir à ceux qui n’y ont pas accès un peu de rêve ou de créativité ?
Ca se passe dans les deux sens, nous nous sentons d’abord nous-mêmes très privilégiées de pouvoir exposer dans un lieu semi-public des images qui reflètent notre sensibilité. C’est un projet qui stimule notre activité photographique et nous confronte à la mise en scène de notre propre travail dans un lieu qui n’est pas fait pour ça.
Cela nous porte aussi de partager avec un public qui parfois ne fait pas la démarche d’aller vers le circuit culturel classique. Mais nous voulons aussi faire venir tout le monde à la wasserette, c’est pour cela que les habitués de la culture, les spécialistes de la photographie sont toujours informés de notre démarche. Pousser la porte d’une wasserette en 2015 peut être une expérience aussi riche humainement que celle que n’importe quel photographe essaie de décrire avec une image…
Vos photos sont imprimées sur de simples photocopies couleur. Le support de la photo est moins important que le contenu ?
Dans les lavoirs publics, la photocopie est placardée à la colle. C’est une contrainte liée à ces lieux qui ne sont pas surveillés. Une photocopie peut avoir un beau rendu même si elle coûte moins cher qu’un tirage de meilleure qualité. Nous essayons d’être exigeantes sur l’impression même si nous savons que le lecteur est naturellement indulgent dans un endroit où il y a tant de passage, plutôt chaud et humide et éclairé aux néons.
L’image collée à même le mur n’a de valeur que par son contenu. Elle est brute, parlante et vivante.
Avez-vous imaginé d’autres lieux? Autres librairies, métro, écoles, ou autres CPAS, centres sociaux ?
Dans les laveries, le temps d’attente de la fin d’un cycle de lavage est propice à la divagation, à la rêverie, à la discussion ou à la réflexion. La laverie est une petite « place de village », elle réunit les gens différents d’un même quartier. Elle est l’image de la vie en société. Déballer ses draps et les slips de toute la semaine, ça peut créer un certain climat de confiance.
Dans les restaurants, qui sont plus des lieux de consommation que les wasserettes, l’art a peut être plus sa place dans l’assiette.
Dans les écoles, ce serait dur de rivaliser avec les dessins et collages d’enfants. Dans le métro, l’espace est bien plus impressionnant, il faudrait voir les choses en plus grand, obtenir un subside ou s’appeler Ernest Pignon-Ernest.
Chacune développe son travail personnel en parallèle. Expos, livres, conférences au menu ?
Nous nous consacrons toutes à la photo mais chacune vit la photographie à un rythme différent. Nous confrontons nos façons de faire et nos idéaux par le biais du projet Wasserette qui est le plus simple de tous ceux qu’on mène. Il nous laisse très libres même si nous essayons d’être aussi pointilleuses que si nous travaillions pour un organe culturel officiel ou répondons à une commande. Nous n’avons pas perdu le rythme depuis le début et avons imaginé quatre thèmes en deux ans, investi 5 wasserettes, affiché 7 expos et participé à plusieurs festivals en Belgique. Un beau projet est en préparation depuis septembre dernier avec les usagers du lavoir social de Tournai, pour le festival d’art contemporain de Tournai Art dans la ville 2015 qui aura lieu en octobre. Ce sont les usagers du lavoir qui à leur tour font des images avec leurs propres moyens. Nous les accompagnons en témoignant auprès d’eux que se raconter, s’exprimer, imaginer et monter une expo en ville est possible pour tous.
Etes-vous photographes professionnelles ?
Nous disons souvent que nous ne sommes pas photographes mais que nous faisons des images. La photographie nous permet de nous exprimer librement, elle prend une grande place dans nos vies mais nous sommes aussi journaliste, architecte, kiné et libraire en plus d’être mères. Aucune de nos réalisations photographiques ne nous fait gagner de l’argent. Et si c’est le cas pour certaines, l’argent est réinvesti. C’est aussi ce qui fait la différence entre la laverie et la galerie…
Anne-Sophie Costenoble, vous qui êtes aussi membre du collectif Caravane, comment conciliez-vous cette activité avec cette participation au projet Wasserette ?
En tant que membre du collectif Caravane, j’ai la chance d’avoir une certaine visibilité mais il y avait un manque.Je suis venue à la photographie un peu par hasard et mon travail est surtout mu par une nécessité. Il y a un besoin de me poser, de ressentir les choses et une envie d’explorer le petit monde qui m’entoure. Je poursuis actuellement un travail intuitif et poétique autour de l’intime.
La photographie est pour moi un langage, une manière de dire le monde mais également un engagement. L’idée d’intervenir dans un lieu où nous ne sommes pas attendues, le côté éphémère, fragile et la réciprocité de la proposition sont des éléments qui m’ont de suite séduit. Je le vois également comme une sorte de laboratoire où je m’essaye à de nouveaux formats, tente des associations d’images et ose parfois un texte. Tout cela nourrit ma recherche artistique. La liberté, les rencontres et les projets qui en découlent m’enchantent.
EXPOSITION
C’EST DU PROPRE !
Photographies à la wasserette.
Du 7 février au 7 mai 2015
312, chaussée d’Ixelles (Flagey)
1050 Bruxelles
Belgique
http://wasserette.over-blog.com
http://valeriecallewaert.wix.com/valeriecallewaert
