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Bologne : Foto/Industria 2015

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Cette exposition présente les jeunes photographes de la quatrième édition du concours GD4PHOTOART 2015 :
Marc Roig Blesa, Pays-Bas/Espagne – Raphaël Dallaporta, France – Madhuban Mitra et Manas Bhattacharya, Inde – óscar Monzón, Espagne.

Lars Willumeit pour Marc Roig Blesa

Depuis ses débuts, la photographie a non seulement été utilisée dans l’art et les sciences, mais elle s’est aussi retrouvée impliquée dans les luttes sociales et politiques, afin de rendre compte des circonstances et des événements historiques. Cette photographie d’inclination humaniste s’appuyait souvent sur un élan de réforme sociale « par le haut », à travers des acteurs privilégiés comme le photographe Lewis Hine, plutôt que sur la résistance et la révolte «par le bas».

Cependant, les récentes recherches sur les mouvements de photographie ouvrière – un chapitre jusqu’alors occulté dans l’histoire de la photographie – ont clairement montré qu’au début du vingtième siècle, des pratiques photographiques subalternes et alternatives étaient répandues dans toute l’Europe.

Le thème de la photographie en lien avec le travail et les enjeux de visibilité / invisibilité, et la recherche de formes contemporaines d’activisme visuel dans l’époque post-fordiste, sont au centre de la démarche de Werker Magazine, un collectif artistique composé de Marc Roig Blesa et Rogier Delfos («Werker» signifie «travailleur» en néerlandais).

Leur pratique radicale de la photographie, qui se fonde sur l’auto-représentation, l’auto-édition et la critique des images, est inspirée – bien que sans nostalgie aucune – des mouvements internationaux de photographie ouvrière des années 1920 et 1930. Werker Magazine développe et explore des stratégies d’interaction et de collaboration qui rendent possible et renforcent des pratiques collectives d’auto-représentation dans différents contextes géographiques (des ateliers sont en cours de préparation en Espagne, en France et au Maroc), réseaux institutionnels et couches sociales.

Le projet Werker 10 – Community Darkroom, adapté à chaque fois en fonction de la langue locale et du contexte historique, s’articule en trois parties : 1.) Cours de photographie en 10 minutes, 2.) Bibliothèque, 3.) Le regard du travailleur.

Le projet crée une situation par laquelle l’espace d’exposition devient espace pédagogique plutôt que contemplatif. Ici se crée une forme de constellation collaborative dans laquelle le spectateur, autrefois passif au sein de l’espace blanc et cubique de la galerie, assume désormais un rôle actif, non seulement dans le processus de production d’images, mais aussi dans le traitement et la critique des images comme forme d’apprentissage collectif. En l’occurrence, le principe directeur de l’atelier est le «Worker’s clock» – la pointeuse qui rythme le temps du travail –, dans le sens où la notion de timing sert d’outil de réflexion pour le processus collectif de traitement et d’agencement des photo.

Francis Hodgson pour Raphaël Dallaporta

Raphaël Dallaporta a d’abord attiré mon attention par une série d’images de mines antipersonnel. Photographiées froidement comme des prises de vues commerciales, elles étaient accompagnées de textes placides qui situaient totalement ces instruments d’horreur dans le domaine commercial. Les mines étaient présentées comme bon marché, efficaces, et disponibles dans toutes sortes de variétés pour répondre aux besoins des consommateurs. Dallaporta avait produit une nouvelle sorte de réquisitoire par le biais d’un catalogue, et ce faisant, avait établi les principes directeurs de son travail : trouver dans des unités petites, ou relativement petites, des indices des activités industrielles spécialisées et à grande échelle qui caractérisent notre époque.

Petit à petit, son champ de recherche s’est élargi. Il s’est tourné vers l’archéologie et l’utilisation de drones pilotés à distance qu’on utilise plus fréquemment pour la guerre. Il a montré une partie des nombreux et divers savoirs déployés dans la construction de chemins de fer. À présent, dans un projet émanant au départ d’une commande du CNES (Centre national d’études spatiales), il œuvre à une série sur le projet Symphonie, un programme spatial franco-allemand.

Fondé peu après la Seconde guerre mondiale (et activement développé à partir du début des années 1960), le programme Symphonie était pour les deux nations auparavant ennemies une manière de se tourner résolument vers l’avenir, dans l’esprit du traité de Rome. Symphonie était un système de communications par satellite, le premier en Europe. Son importance était considérable : ancêtre du GPS et d’autres systèmes, précurseur de la révolution des communications par mobile et de la base de lancement spatial d’Ariane… Pour Dallaporta, il avait également une dimension métaphysique : si les deux nations pouvaient développer un système de communications, alors elles développaient certainement en même temps la communication entre elles.

Mais ce sont les spécifités de l’histoire de Symphonie qui ont retenu l’attention de Dallaporta. C’était le mariage de gigantesques corporations industrielles, et bien que les satellites n’aient jamais hébergé de trafic commercial, les bénéfices commerciaux pour les entreprises participantes se sont avérés considérables. Les images que propose Dallaporta des antennes de satellites restantes sont fracturées. Elles soulignent la manière dont le temps a commencé à disloquer notre souvenir de ces projets gigantesques, controversés mais bénéfiques, tournés vers le public mais avantageux pour le privé. Parmi elles, il retrouve dans des archives des témoignages des premiers travaux, aujourd’hui à des années-lumière, et devenus de l’histoire ancienne. Symphonie continue de vivre à travers les micro-systèmes de communication que nous portons tous en poche: la technologie est devenue quelque chose de normal. Elle semble même démocratique. Mais il n’a pas toujours été évident qu’elle prendrait ce chemin. Et peut-être finirons-nous par voir qu’elle ne le prend pas du tout.

Devika Daulet-Singh pour Mitra et Manas Bhattacharya

Les copieurs Xerox sont arrivés en Inde au début des années 1970. Pour des générations d’étudiants, par la suite, la « photocopie » était un bout de papier convoité. Dans l’Inde d’avant le numérique, c’était une manière économique, et bien souvent la seule, d’accéder aux ouvrages de référence disponibles dans les bibliothèques. Les photocopieurs Xerox étaient et sont toujours une sorte d’industrie familiale à travers le pays. Mêlant deux mots – « photo » et « copie » –, l’omniprésente photocopie laissait peu de doutes planer sur ses intentions. Elle violait presque systématiquemen les droits de propriété intellectuelle des auteurs : on prêtait peu d’attention, sinon aucune, à la notice de copyright inscrite à l’intérieur des ouvrages. Les campus universitaires étaient des consommateurs notoires de livres et notes de cours photocopiés.

Le couple d’artistes formé par Madhuban Mitra et Manas Bhattacharya appartient à une génération pour laquelle la photocopie était bien plus que la reproduction d’une feuille de papier : elle représentait l’accès au savoir pour un prix modique. Leur intérêt antérieur pour l’obsolescence, particulièrement dans l’industrie de fabrication des appareils photo, s’est élargi aux modèles obsolètes de photocopieurs Xerox importés en Inde. Leurs photographies imaginent une relation à deux niveaux entre la photocopie et l’image photographique. Toutes deux sont produites par des appareils mécaniques utilisant la lumière et toutes deux sont des reproductions. Les différences résident dans leur nature : la photocopie n’aspire ni à la permanence, comme le fait l’image photographique, ni à une ressemblance véritable. Elle habite un entre-deux propre à elle seule et tient compagnie à son lecteur pour une période limitée.

Usant d’une approche quasi-documentaire, Mitra et Bhattacharya créent un ensemble de photographies qui décrivent l’expérience à l’intérieur et autour des échoppes de Xerox. Par l’utilisation de photographies isolées, de diptyques et de triptyques, ces échoppes exigües et défraîchies prennent vie comme autant de théâtres de la monotonie. Dans ces images muettes, on croit entendre le ronronnement d’une machine travaillant à sa propre cadence, tandis que son opérateur maîtrise à la perfection l’art de photocopier à une vitesse et avec une précision toutes militaires. Pour injecter de l’humour dans ces scènes triviales, les artistes créent parfois un double pour accentuer leur existence banale.

Dans une autre série de photographies, la relation entre photocopie et image photographique se transforme en fusion. Au fil de leurs visites dans les boutiques de Xerox, les artistes ont collecté les photocopies rejetées, qu’ils ont re-photographiées, agrandies et présentées comme des images photographiques. Il n’est donc guère surprenant que ces artefacts proposent une réflexion sur la photographie – c’est en fait de photographie qu’il est avant tout question.

Joan Fontcuberta pour Óscar Monzón

Avec Karma, Óscar Monzón a accédé à un rayonnement d’ordre international. Dans ce projet, il plaçait la culture de l’automobile sous les regards croisés du paparazzi et de la publicité. Son travail mettait en lumière la fascination que suscite une technologie qui agit à la fois comme un objet de désir, un fétiche et un symbole de pouvoir, tout en constituant un réceptacle d’identité et d’expérience.

Dans Maya, Monzón poursuit sur la voie d’une sociologie visuelle bien à lui, en s’intéressant aussi à la publicité et à l’identité en tant que théâtres fictifs ayant un effet déformant sur notre expérience de vie. Mais cette fois, Monzón fait glisser les références critiques vers des scénographies propres au cinéma de science-fiction, celle qui imagine des mondes dystopiques de foules solitaires soumises au contrôle d’yeux qui la surveillent. Des passants qui ont l’air d’automates mis sous emballage du temps sont la cible des annonces publicitaires ; celles-ci sont les porte-voix d’un consumérisme qui formate les attitudes et les comportements et par les interstices duquel s’infiltrent les pathologies liées à la mythologie capitaliste: le mercantilisme, l’aliénation et l’inhumanité.

L’intellectuel français Michel Serres écrit non sans cynisme qu’il faut aimer la publicité, même si «elle propage des idées fausses, exagère, emplit l’espace public de clameurs médiocres et d’images laides, fait passer des abominations pour du nectar divin, se propage comme une épidémie, intoxique et ment». Oui, il faut l’aimer parce que la publicité est une promesse de bonheur qui, contrairement à d’autres, comme la religion ou la politique, ne dissimule pas son cadre de persuasion et joue à jeu découvert. Et c’est justement par ces cartes dévoilées, et surtout à travers leurs effets manifestes, que Maya appuie là où ça fait mal.

Replacé dans le contexte de la photographie, ce qui nous est proposé ici n’est pas une œuvre de miroir mais plutôt de radiographie ou de chirurgie. Monzón parvient à capter le suspense et la nervosité de théâtres urbains bien réels, façonnant ainsi une nouvelle version de la street photography qui se situerait aux antipodes du documentarisme sauvage d’un Garry Winogrand, mais qui sait transcender les formes théâtralisées d’un Philip-Lorca diCorcia ou encore d’un Jeff Wall. Le vertige et le cauchemar donnent ses couleurs à un voyage introspectif vers le «côté obscur» de la réalité des apparences et ses lumières. Un jeu d’atmosphères denses et de de lumières dramatiques rehausse quelques instantanés d’un «monde heureux», mais de ce bonheur déshumanisé que Monzón nous révèle fondu dans le même moule que l’apocalypse.

FESTIVAL
Jeunes photographes, 4ème édition du concours GD4PHOTOART 2015
Marc Roig Blesa, Pays-Bas/Espagne – Raphaël Dallaporta, France – Madhuban Mitra et Manas Bhattacharya, Inde – óscar Monzón, Espagne
GD4PHOTOART 2015
Du 3 octobre au 1er novembre 2015

Foto/Industria
MAST Gallery
Via Speranza, 42

Bologne
Italie

http://www.fotoindustria.it

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