Rechercher un article

Biennale du Monde des Photographes du Monde Arabe, Interview de Jack Lang

Preview

L’institut du Monde arabe accueille la première édition de la Biennale de Photographie Arabe qu’elle a articulée dans un parcours sur les deux rives de la Seine. 

Rencontre avec son Président Jack Lang, fervent amateur de photographie et d’art contemporain, qui nous livre sa volonté de partager des écritures visuelles diverses et ses impressions sur la pertinence d’une telle biennale, au moment où Paris, touchée en son sein par la barbarie, pourrait à tort se replier sur elle-même pour panser ses plaies.

L’Œil de la Photographie : Depuis combien de temps l’idée d’une biennale de photographie arabe vous trotte-t-elle dans la tête ? Et comment, pourquoi est née cette biennale?

Jack Lang : Trotter dans la tête, le mot est tout à fait juste. C’est une idée qui traverse mon esprit depuis 2 ou 3 ans, un peu le fruit du hasard. Ma participation à des foires d’art contemporain à Dubai, à Doha, Abu Dhabi, au Liban,  au Maroc m’ont laissé entrevoir l’extraordinaire foisonnement  de photographies lié au monde arabe… soit par les photographes arabes vivant ou non dans le monde arabe, soit des occidentaux qui transmettent leur vision, leur regard sur le monde arabe.

Je me suis donc demandé à ce moment là, quel était le rôle de l’ IMA (Institut du Monde Arabe) :  constituer un pont entre le monde arabe et les autres mondes, et agir là ou d’autres ne le font pas. Nous n’entrons pas en concurrence avec d’autres institutions culturelles sur des sujets déjà traités. Or même si la photographie est loin d’être absente des musées et autres institutions, il n’y a jamais eu à ma connaissance, sauf à Houston aux USA, un événement qui permettrait tous les 2 ans, d’apporter un éclairage sur les photographes du monde arabe en lien avec la vie imaginaire ou réelle (car il s’agit de photographie d’art, pas d’actualité). D’ailleurs, nous avons eu tout récemment à l’IMA, une exposition sur le photojournalisme qui était très intéressante mais d’une toute autre nature.

Vous me demandez la genèse de ce projet: les choses se bousculent dans l’esprit et soudain on se dit « mais pourquoi pas! ». 

Je tiens toujours à ce que l’Art Contemporain soit présent dans toutes nos expositions et lorsque nous avons organisé celle sur le pèlerinage de la Mecque, nous avons montré des œuvres contemporaines, principalement saoudiennes d’ailleurs, qui proposaient un prolongement du cheminement vers La Mecque, en particulier avec un remarquable travail photographique d’un artiste de Jeddah, des photographies de la  Kabbah. Et Au maroc, j’ai visité des galeries à Marrakech, Rabat ou Casablanca où j’ai découvert un engagement réel pour la photographie. J’ai aussi été très impressionné par des auteurs irakiens rencontrés par l’intermédiaire d’amis. C’est très pragmatique, vous savez, c’est empirique. 

De plus comme cet événement est appelé à se répéter, nous ne sommes donc pas contraints à l’exhaustivité. Le commissaire Gabriel Bauret y apporte sa propre grille de lecture. La règle ici, à l’IMA est de laisser la liberté de conception au commissaire choisi. L’autre idée qui m’était venue à l’esprit, comme je fréquente depuis longtemps la MEP (Maison Européenne de la Photographie) était de lier les deux et solliciter les galeries privées et les mairies d’arrondissement. Tout cela s’est mis en mouvement et je reste impressionné par l’ampleur et la dynamique que prend l’événement.

ODLP : Dans le contexte actuel, les événements tragiques et les crispations identitaires que nous vivons, la photographie arabe peut-elle être une réponse, une aide à la compréhension globale du monde arabe?

JL : Je pense, plus largement, que c’est l’art, la culture, qui  constituent les meilleures armes pour faire reculer l’ignorance, la bêtise, le fanatisme. Ce peut être la musique, le cinéma, l’exposition d’art, le théâtre, la littérature. La photographie avec sa prise directe sur la réalité peut en effet transfigurer, offrir un visage plus proche de la vie réelle, même si elle métamorphose ce qu’elle cherche à capter. Vous verrez vous-même, je pense, cette multitude de regards sur les beautés du monde arabe, son élégance mais aussi ses souffrances, son art de vivre, bref la vie dans sa complexité. Voilà ce qui frappera les visiteurs : Le monde arabe bouge, vit, respire, et n’est pas assimilable à ces criminels, qui ne représentent en aucun cas le monde arabe et encore moins l’Islam ; c’est une déviation monstrueuse, qui relève de la tératologie, cette science des monstres, totalement étrangère à une philosophie de paix, de lumière, de respect et de tolérance. Tout événement artistique est une réponse. Nous ne cherchons pas à nous placer en donneur de leçons, ni en pédagogue, mais cela contribue à faire reculer la barbarie et la sauvagerie.

ODLP : On connaissait le travail d’artistes comme Youssf Nabil, Shirin Neshrat, Zineb Sedira ou encore Ito Barrada pour ne citer que quelques-uns d’entre eux. Les printemps arabes ont-ils révélé de nouveaux regards ? Ont-ils affirmé de nouvelles écritures ?

JL : Je le pense. De nouvelles générations ont surgi. Personnellement, je ne me suis pas mêlé du choix des artistes. C’est certain qu’il y a en Egypte, au Maroc, en Tunisie, ce mouvement de la jeunesse souvent réprimé, qui continue d’inspirer des artistes, des créateurs. La musique bien sûr, au travers des musiques actuelles liées au rap et aux musiques électroniques, l’art urbain et les graffitis, complètement renouvelés dans les rues du Caire, par exemple, ou encore la Djerba Road. Je pense qu’il y a effectivement un renouvellement des formes, de l’appréhension des réalités. Parallèlement toute une nouvelle génération de collectionneurs a surgi, parfois même la spéculation s’est emparée de ce marché et nuit à la réhabilitation de la photographie. 

Je me souviens d’ailleurs lorsque j’étais ministre de la culture en 1981, il y avait en tout et pour tout une galerie de photographie à Paris, Agathe Gaillard, qui avait réussi à conserver en France la collection d’André Kertesz. Il n’y avait pas de galeries commerciales en province alors qu’aujourd’hui, on le voit avec Paris Photo, c’est parfois l’excès inverse : les prix, l’inflation, une véritable folie spéculative. On est passé de l’indifférence à une extrême spéculation et entre les deux je crois qu’il faut maintenir un regard rigoureux, exigeant. 

Ce que d’ailleurs essaie de proposer la Biennale de Photographie du Monde Arabe. J’ai toujours été passionné par la photographie et à l’époque où j’étais en responsabilité, il y avait beaucoup à faire. Nous avons créé l’Ecole Nationale de la Photographie à Arles, nous avions conçu avec Robert Delpire, un Palais de l’Image, malheureusement abandonné par le gouvernement précédent, au palais de Tokyo. Nous avons lancé ensemble cette collection fabuleuse, Photopoche, en collaboration avec sa maison d’édition et le Ministère de la Culture. Il y a eu Photofolie dans tous les collèges de France et de Navarre. Aujourd’hui bien sûr, tout est différent car il y a la vidéo mais cela n’empêche pas que l’on doit encourager les enfants, les jeunes à regarder, analyser, jauger, à construire, à dessiner. L’image transmet beaucoup de choses, le monde va très vite et se disperse et en effet il y a une matière humaine extraordinaire. Le plan Art&Culture que nous avions lancé avec Catherine Tasca en 2000-2002 a été en partie interrompu, pourtant il permettrait, s’il était ressuscité, de faire tous ces liens entre ces pratiques populaires et les arts de la photographie, en éduquant effectivement le regard et la créativité des jeunes.

ODLP : Au fond pourquoi créer une biennale spécifique pour cette photographie ? Qu’a-t-elle de spécifique ? ses enjeux sont-ils si différents ? N’y a-t-il pas un risque à isoler ainsi ses artistes ?

JL : L’institut du Monde Arabe bénéficie d’un rayonnement croissant, ce n’est pas un ghetto, il n’enferme pas, au contraire il propose aux artistes une mise en lumière, une mise en perspective. D’ailleurs, ce ne sont pas seulement des photographes arabes, mais on retrouve aussi des photographes d’autres pays. Ce sont au contraire des dialogues, des dialogues multiples qui s’y déroulent, s’y déploient entre des personnes d’origines et de cultures diverses, arabes ou non arabes. 

EVENEMENT
Biennale du Monde des Photographes du Monde Arabe
Du 11 novembre 2015 au 17 janvier 2016
Paris, France
http://biennalephotomondearabe.com
Le laboratoire Picto est partenaire de l’événement www.picto.fr

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android