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Bernard Faucon par Christian Caujolle

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En 1995, après près de vingt ans de pratique de la photographie mise en scène évoluant par séries vers une épure de plus en plus grande, Bernard Faucon annonçait qu’il abandonnait la photographie en présentant, en tout petit format, un ensemble de phrases, entre philosophie et poésie, inscrites à l’encre de Chine blanche à même la peau de jeunes gens : « La fin de l’Image ». Il affirmait alors avoir dit avec la photographie tout ce qu’elle lui permettait d’exprimer et, comme il n’est pas du genre à s’acharner à la réalisation de produits pour le marché cet artiste intègre, s’il ne retourna pas à ses premières amours du dessin et de la peinture, se lança dans l’écriture, le travail avec le son et s’adonna au voyage avec davantage de liberté qu’auparavant. Il n’est pas inutile de rappeler que, au moment où il arrête, celui qui se fit connaître dans la galerie parisienne d’Agathe Gaillard a exposé et est collectionné dans le monde entier, qu’il a présenté ses dernières séries chez Yvon Lambert, a exposé à plusieurs reprises chez Castelli et est une véritable star au Japon ( il l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui).

Abandonnant sa fonction derrière l’appareil photo, il met cependant en œuvre des projets qui ont encore à voir avec l’image, entre autres celui qui est aujourd’hui présenté pour la première fois aux Etats-Unis par le New Orleans Museum of Art jusqu’au 13 mars prochain et intitulé « Le plus beau jour de ma jeunesse ».

Entre 1997 et 2003, dans 25 pays de par le monde, avec l’aide et en dialogue avec les Centres Culturels Français, Bernard Faucon invente une pratique originale, sérieuse et ludique de la photographie qui va à l’encontre de toutes les démarches pédagogiques. Rétif à l’idée même de stage, il invente, au contraire, une journée particulière, magique, pour 100 participants qu’il ne choisit pas et qui vont pouvoir photographier au moyen de petits appareils numériques, en toute liberté. Bernard Faucon, lui, s’occupe d’organiser la journée. De choisir le site tout d’abord, qui doit le faire rêver, comme une route près de la mer qu’il aime tout particulièrement au Maroc ou le cratère d’un ancien volcan à Cuba. Là, il abandonne les jeunes à eux-mêmes pendant que lui organise un délicieux pique-nique, un goûter d’anthologie (il adore cuisinier et est un des rares végétariens à avoir publié plusieurs livres de recettes « Table d’amis », éditions William Blake and Co), des feux d’artifice, des tours de magie. A la fin de la journée, tout le monde rentre en bus et l’on procède à un premier editing dès le lendemain. Deux jours après la prise de vue, comme une trace de cette journée dont Bernard faucon souhaite avant tout qu’elle reste un merveilleux souvenir pour les participants, l’exposition a lieu sur place, sous forme de photocopies couleur de bonne qualité. Prétexte à poursuivre, avec familles et amis, un moment de cordialité.

C’est ainsi que, de Beyrouth à Moscou, du Cambodge en Chine, de Birmanie au Mali, des jeunes ont donné leur vision du monde, de leur monde et de leurs rêves, d’une façon tout à fait convaincante et émouvante. Le plus surprenant, puisque le dispositif a toujours été identique, est que l’on puisse percevoir de fortes différences culturelles et identitaires d’un pays à l’autre dans la relation à l’image, à l’identité, au corps. Bernard Faucon a beau dire qu’il n’est plus photographe, on sent bien qu’il poursuit son inexorable exploration du temps, de la nature de l’enfance et de l’adolescence, sans nostalgie, simplement en éprouvant à chaque fois un peu plus le fait que l’âge vient, que l’inéluctable se confirme. Il l’a encore exprimé, de façon remarquable, dans son dernier livre ( « Un été 2550 », Actes Sud éditeur) avec ses photographies d’après la photographie ( des souvenirs de voyage en numérique, qui ne sont plus des photographies puisqu’il ne les met plus en scène comme lorsqu’il était « photographe ») et des textes profonds sur la notion philosophique du temps rapportée à sa propre expérience.

La Maison Européenne de la Photographie exposa à Paris l’ensemble (qui figure complet dans les collections) et une série d’affiches, une par pays, permit à cette énorme et originale moisson de voyager de par le monde. Mais c’est la première fois que l’ensemble – qui est rentré dans les collections du Musée – est présenté de façon aussi muséale, classique, sous marie-louise et encadrée dans la plus pure tradition fine art. On peut évidemment se demander si cela est légitime. Mais à quoi bon bouder son plaisir ? Les images sont vraiment de qualité, pleines de sens, de tendresse, d’émerveillements, de « petits rien » qui font le plaisir de la vie et des yeux. C’est moins ennuyeux et moins prétentieux en tout cas que d’autres expositions pompeusement cataloguées « Art Contemporain ».
Christian Caujolle.

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