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Bamako 2011 –Upekkha

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Nous autres, Égyptiens, entretenons de grands mythes sur notre armée. De quoi écrire tout un livre de mythologies. Je regarde souvent mes enfants jouer avec les figurines militaires amazoniennes sur leur PS3 et commence à me lasser de l’aspect purement destructeur qu’ils représentent. Quand au mois de janvier nous avons entendu : « L’armée arrive ! l’armée arrive ! », nous imaginions ces créatures mythologiques. Comme si elles allaient débarquer d’une autre planète ; nous étions tous remplis d’angoisse et d’appréhension. Qu’allait donner cette reprise en mains par les forces militaires en période de troubles révolutionnaires ? Cela n’avait pas l’air si révolutionnaire en soi.

Et puis ils sont arrivés. Au début, ils avaient un air hébété et perdu. Après tout, on les avait sortis d’un sommeil de trente ans et propulsés au milieu de notre révolution pour faire un travail dont ils n’avaient pas envie, jouer un rôle qu’ils n’avaient pas répété. La presse diffusait des photos où l’on voyait des bébés se faire embrasser sur les tanks, des enfants danser avec les bérets des soldats, la population nourrir ses militaires de pop-corn et de koshari. Chaque bouchée les humanisait un peu plus. La frontière entre le citoyen et le super-héros se brouillait. Leur jeunesse m’a d’emblée frappé. Avec leurs yeux écarquillés et leur petit gabarit, ils ressemblaient si peu à notre police – les forces de sécurité auxquelles nous avions fini par nous habituer. C’étaient des gosses, des fils de parents angoissés, trimballant leurs armes comme des accessoires dont ils ignoraient le vrai fardeau. Gauches, ils se tenaient au coin des rues parce que c’était là qu’on leur avait dit de se mettre. Ils lorgnaient du côté du Caire – la grande métropole – et sa cacophonie, mourant manifestement d’envie de retrouver la quiétude qu’ils avaient laissée. Ils étaient en fait notre miroir, l’incarnation physique de notre confusion. Vers la fin février, l’épuisement de leurs jeunes visages était palpable. À présent que Mubarak était parti, leur situation devenait plus contestable : les dirigeants politiques cherchaient à éviter qu’ils ne perdent leur aura populaire. Je voulais les prendre dans mes bras pour les rassurer, leur dire que tout irait bien. La seule chose que je pensais pouvoir faire était de transporter ces soldats dans des lieux où ils pourraient trouver un réconfort. Des lieux d’espoir et de refuge. Les emmener en voyage dans de courtes échappées imaginaires, pour rompre notre perception partagée du réel.

Nous ne sommes pas dans le Guernica de Picasso. Il ne s’agit pas de comparer les talents ni les méthodes, mais bien d’en comparer le sujet. Nous parlons de la guerre. De sa dureté, de sa brutalité, de son inhumanité. Mes images en donnent un portrait
inversé : elles deviennent une série d’œuvres sur la tendresse militaire, la coquetterie virile, la fragilité des hommes. Je désirais documenter l’autre aspect de la guerre, moins pris en compte. Non pas les cris de souffrance – qui indéniablement en font partie mais que nous fétichisons trop rapidement –, mais la peur panique d’adolescents. L’incertitude liée au fait d’être jetés dans un conflit que vous n’avez pas demandé. Les conséquences d’un rôle que vous fait jouer un monde effrayant, sérieusement déterminé à vous leurrer.

Nermine Hammam

Commissariat : Michket Krifa

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