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Arles 2021 : Grégoire d’Ablon : Le coup de coeur de Damien Monteux

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Voici mon coup de coeur. C’est une œuvre photographique de Grégoire d’Ablon qui m’a apporté beaucoup d’émotion.

C’est un recueil « à demain » mixant textes et photos, une vision poétique de la fin de vie sans moyen et une expérience difficile pour un jeune homme confronté à la misère des gens avec lesquels il avait tissé des liens quotidiens.

En cette période de festival, j’ai aussi une grosse pensée pour Peter Lindbergh, qui je sais, manque beaucoup à ses proches et qui je pense va énormément manquer à la photographie.

Damien Monteux (Taco and Co)

 

En mai dernier, j’ai été diplômé de l’école nationale supérieure de la photographie d’Arles.
On ne vit pas tout de suite de sa pratique. Alors, depuis plusieurs mois, je travaille pour une société de services à vélo. Je suis donc devenu à la fois chauffeur de taxi vélo, de bus vélo, ramasseur de verre, de carton, d’ordures en général. Mais aussi, livreur de repas pour personnes dépendantes.
Tous les jours, mes collègues et moi déposons à ces personnes de quoi déjeuner, de quoi dîner. On leur glisse un sac, ils nous ouvrent la porte. Le parcours se répète, les habitudes et les formalités s’ancrent, puis un jour, notre chef nous dit qu’on n’aura plus à aller à cette adresse. Et nous reprenons notre course.

à demain

Au 2 rue Metras, il ne faut pas appuyer fort sur la sonnette. Une pression, une seule fois, ça suffit. Trois marches dans le hall, tout de suite à droite, toujours la même main. Seulement une main, rapide et déterminée, 8h13 ce n’est pas si tard. Une main et bonjour, quand même. Alors bonjour et à demain.

Dans l’impasse Chiavary, il faut monter deux sacs en papier mais ne surtout pas claquer la porte, ça réveille les pigeons. Au premier étage, on en laisse un sur la rampe de l’escalier. La voisine s’en occupe, elle a les clés depuis qu’il ne nous entend plus toquer. Au deuxième, on frappe avant d’ouvrir la porte et on laisse tout dans ce grand frigo blanc constamment vide. Attention pas d’erreur, c’est le seul “sans sucre” de la tournée. Sur la porte, la même indication
“Bien refermé la porte derrière vous et faire attention que le chat ne s’échappe pas.”
à demain.

On ne va plus au 2 impasse Jean-Jacques Rousseau

3 rue de la Madeleine, c’est souvent le même refrain. D’abord six marches dont une où le tag ne part pas, on sonne et puis
oui je suis là j’arrive.
Oui voilà ça vient,
ah voilà.
Merci beaucoup,
bonne journée et à demain.
À demain.

Au 15 rue de la Madeleine par contre c’est une surprise quotidienne. Bien plus de marches à monter pour la trouver soit devant la télé, ce qu’on avait pu deviner depuis l’extérieur, ou devant un mot fléché, trop absorbé pour lever les yeux mais consciente de notre présence. On s’annonce d’un bonjour franc directement depuis la fin des escaliers sans même avoir encore croisé son regard. Un coup d’oeil à gauche dans le salon avant d’aller tout droit ranger les deux repas. Ici le frigo est souvent plein, des plats cuisinés remis au frais témoins des visites de la veille. On ne vient pas au 15 rue de la Madeleine le samedi, c’est jour de marché.
Et voilà, comme d’habitude, tout au frais, sans le sac.
À demain.

Je suis désolé mais non, je n’ai toujours pas de cigarette au 10 rue Girard le Bleu. Toile cirée tournesol, chicoré au lait, tartine de pain grillé et beurre, porte battante moustiquaire et serviette autour du cou.
À demain.

Je n’ai jamais vu le/la propriétaire du 11 rue Balechou. Le protocole est simple, on toque deux fois sur les volets et on ouvre celui de droite pour y glisser le panier aux deux repas. Une fois refermé on se dit à nous même, à demain.

Au 2 rue Favorin il faut deux morceaux de pain. L’un reste dans le sac, au frigo, et l’autre se doit d’être glissé ici, dans ce sac, oui celui là près du lit et puis vous pourrez m’aider à mettre la 3 sur la télé ? Et les dessins animés matinaux résonnent dans toute la rue. C’est quand cette gigantesque maison aux allures de château médiéval est silencieuse qu’il faut s’inquiéter. Plusieurs fois nous avons eu besoin de l’aider à se relever après qu’elle nous ait expliqué sa nuit passé sur le sol de sa cuisine. Alors, quand la télé couvre nos voix, et que tout va bien, on ne lui en veut pas de ne pas répondre à nos à demain.

On finit toujours par l’impasse Genive, chez les deux soeurs. La plus jeune attend chaque matin en pleurant sur une marche au début de l’impasse. Dès qu’elle nous voit arriver à pleine vitesse sur le vélo, elle explose de rire. La deuxième attend souvent devant la porte pour vérifier que les paniers finissent bien sur le petit buffet à côté du micro-ondes. Les jours de grand rire on peut avoir droit à un baise main de la plus jeune des deux. Les deux soeurs ont été internées en Août.  »

Grégoire d’Ablon

www.gregoiredablon.com

 

 

 

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