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Arles 2017 – Autopsie d’un Lénine démembré

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En parcourant l’Ukraine, le photographe Niels Ackerman et son complice Sébastien Gobert ont traqué les statues cassées à l’effigie du père de la révolution d’octobre 1917 qui était encore l’emblème vieillissant de la mémoire des morts de l’URSS. Ils le rendent dans un livre intitulé Looking for Lenin, une série aujourd’hui exposée à Arles.

Parfois un peuple ne supporte plus le Totem de son passé. Il change. Il l’abat et le range dans d’étranges tiroirs pour un nouveau rêve. Telle est la piste qu’on suivit les deux compères Niels Ackerman et Sébastien Gobert en Ukraine, où ils vivent, pour voir les effets de la « Révolution de la Dignité », sorte d’accélérateur de la chute de Lénine et des monuments soviétiques du pays entrepris depuis les années 1990, un mouvement qui a été par la suite encadré par des lois de décommunisation. Eh bien certains n’hésitent pas avec un symbole : Lénine décapité.

Les scènes sont connues en Ukraine : on casse les statues au bulldozer, à la truelle, à la pelle, au piolet et on pioche ce qu’il faut pour un souvenir ou pour vendre. Il faut dire que les statues qui parsèment les villes ukrainiennes valent de l’or – en tout cas du bronze – et que certains les désossent pour en toucher quelques dollars. De quoi écœurer un agent de sécurité interrogé par Sébastien Gobert : « Je touche une retraite tellement ridicule (…) Et voilà que je suis ici à surveiller Lénine ! ».

« Ironie », comme il le dit lui-même, mais « ironie » capturée par les photographies de Niels Ackerman qui en rend la saisissante beauté tout autant que son incongruité. Que sont devenus les Lénine(s) décapités ? Quels cimetières ? Tragiques ou comiques, arrangeant ou soignant…Les mots et les images ne manquent pas pour décrire cette incroyable entreprise de déconstruction.

Cloches

En témoigne par exemple ces têtes de Lénine statufiées posées les unes sur les autres dans le coffre d’une voiture, comme s’ils s’agissaient d’un cadavre qu’on va jeter quelque part ou bien le trésor d’un pirate qu’il faut cacher en toute hâte. Ou bien l’inverse : vous avez un socle, le corps d’un homme qui possède visiblement une haute stature – un lettré ou un homme politique – mais il n’a plus de tête. Sur une autre photographie encore, on voit que des petits malins ont remplacé le vénérable en Dark Vador.

Dans un passé récent, les statues de Sadam Hussein tombaient par terre en Irak. Mais beaucoup plus loin, un autre événement est plus encore relié à ce que Sébastien Gobert et Niels Ackerman ont cherché : lors de la Révolution rouge menée par Lénine, les communistes se sont emparés des cloches des églises orthodoxes, symboles du tsar et pareillement : ils les ont cassées.

Alors aujourd’hui, dans cette Ukraine brisée, que faire de statues vieillissantes qui rappellent les maux du siècle dernier ? Les deux reporters ont mené une enquête visuelle et pleine de vibrants témoignages qu’ils dévoilent dans un livre gracieux : Looking for Lenin. On peut avoir le plaisir de voir une mauvaise herbe déracinée d’un socle trop imposant pour tous ou bien la nostalgie d’un Good by Lenin comme le titre du film qui raconte l’impossible détachement de ces années communistes où flottait peut-être un songe qui faisait tenir cette immense union, l’URSS.

Finalement, il y a peut-être la clé la plus utile d’un paradoxe dans ce travail.

Jean-Baptiste Gauvin

Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.

 

 
Niels Ackermann & Sébastien Gobert, Looking for Lenin
Festival des Rencontres de la Photographie d’Arles 2017
Du 3 juillet au 24 septembre 2017
Arles, France

www.rencontres-arles.com

Livre publié par les éditions Noir sur Blanc
25€

http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/

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