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A la redécouverte de Marianne Breslauer

L’histoire de la photographie porte son lot de créateurs mésestimés, mais qui réapparaissent régulièrement, comme poussés par la force interne de leur talent. C’est le cas de la photographe allemande Marianne Breslauer (1909-2001), dont la période active, entre-deux-guerres, a été aussi courte qu’intense.

Ses images, dont un splendide autoportrait dénudé, brillaient dans l’exposition Qui a peur des femmes photographes ? au Musée d’Orsay et à l’Orangerie de Paris en 2015. Elle a été l’une des inspirations de l’héroïne-photographe du roman Sweet Caress (“Les vies multiples d’Amory Clay” en français) de William Boyd en 2015 également. La voilà à l’honneur, jusqu’au 29 janvier, du Musée national d’art de Catalogne à Barcelone. Grâce à la Fondation suisse pour la photographie où son fonds d’images a été déposé. La Fondation avait d’ailleurs organisé une belle rétrospective Marianne Breslauer dans ses murs, à Winterthour, en 2010.

La photographe n’a pas été oubliée, mais son talent est toujours en attente d’une large reconnaissance internationale. Elle a tout pour cela : l’audacieuse modernité de sa pratique, les artistes qu’elle a cotoyés et beaucoup photographiés, son portrait de groupe des “garçonnes” émancipées de la République de Weimar, sa personnalité libre et aventureuse avant que le nazisme ne la contraigne à l’exil et à abandonner la photographie.

Née dans une famille juive aisée de Berlin, Marianne Breslauer baigne dans la création artistique dès son enfance. Son père Alfred Breslauer est un architecte connu, membre de l’Académie prussienne des arts. Julius Lessing, son grand-père maternel, est un fameux historien de l’art, premier directeur du Musée des arts décoratifs de Berlin. En 1925, une exposition de la portraitiste berlinoise Frieda Riess éveille son intérêt pour la photographie. Deux ans plus tard, elle entre à l’académie de la Lette-Haus à Berlin pour y suivre une formation de photographie de portraits.

Son diplôme en poche, en 1929, Marianne Breslauer file à Paris, où elle entre en contact avec Man Ray. Celui-ci laisse la jeune fille utiliser son studio, mais l’encourage à suivre elle-même sa voie, sans son aide. Elle écume la ville, s’intéressant aux clochards, aux saltimbanques, aux parcs parisiens, aux bords de Seine, mais aussi aux courses hippiques de Longchamp.

Marianne Breslauer est encore sous influence de Kertész et Brassaï. Mais elle assimile vite les préceptes de la Nouvelle Vision, qui expurge la photographie de son atavisme beaux-arts pour en faire un moyen d’expression autonome, objectif, résolument moderne avec ses plongées et contre-plongées, ses obliques et tangentes, son exaltation de la structure, de la forme, de la lumière. Voir plus, voir mieux, tel est le mot d’ordre de cette nouvelle photographie. L’approche de Marianne Breslauer est discrète, mais intense, techniquement parfaite.

De retour en 1930 à Berlin, la photographe commence à travailler pour la presse illustrée de l’époque, en Allemagne et à l’étranger. Elle voyage beaucoup et se lance également dans la mode et la publicité. Elle multiplie les portraits de la «nouvelle femme» au cheveau court, frondeuse, androgyne. Elle photographie ses amies, en particulier l’écrivain et baroudeuse suisse Annemarie Schwarzenbach, en compagnie de laquelle elle voyage en Espagne. Le modèle persistant de la garçonne des années 1920 et 1930 doit beaucoup au regard empathique, précis et sensuel de Marianne Breslauer.

La photographe dresse aussi le portrait d’une génération de créateurs et artistes, d’Erich Maria Remarque à Paul Citroen, d’Oskar Kokoschka aux photographes George Hoyningen-Huene ou Umbo. A Paris, Marianne Breslauer photographie Picasso et Braque lors d’une vente à la galerie Georges Petit, mais aussi Ambroise Vollard, Tristan Bernard, Albert Barnes. Si l’art est son milieu naturel, elle ne se prend pas elle-même pour une artiste. Elle dit ne s’intéresser qu’à la réalité, de préférence anodine.

Confrontée à la censure anti-juive dans la presse allemande, Marianne Breslauer quitte Berlin en 1936 pour s’établir à Amsterdam. Elle épouse le marchand d’art Walter Feilchenfeldt. En 1939, le couple émigre en Suisse, s’établissant à Zurich. Marianne Breslauer en a terminé avec la photographie. Elle se consacrera jusqu’à sa disparition en 2001 à sa galerie d’art zurichoise et à sa famille. Son activité de photographe n’aura duré qu’une décennie. Le temps toutefois de construire une œuvre forte et personnelle. Un style !

Luc Debraine

Luc Debraine est journaliste culture et société au magazine suisse L’Hebdo.

 

Marianne Breslauer. Photographs 1927-1938
Du 27 octobre 2016 au 29 janvier 2017
Musée national d’art de Catalogne
Palau Nacional, Parc de Montjuïc, s/n
08038 Barcelone
Espagne

http://www.museunacional.cat/en

Les photographies de Marianne Breslauer peuvent être consultées en ligne sur le site de la Fondation suisse pour la photographie.

www.fotostiftung.ch

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