En 2012, Claudine Vernier-Palliez écrivait sur l’autre déjeuner traditionnel du festival, chez Etienne Montès, ce photographe de Gamma devenu vigneron dans le sud de la France.
Il y a les déjeuners de Match sur la plage de Torreilles où les cartons d’invitation se négocient âprement, à coups de vraies ou fausses promesses de reconnaissance éternelle, forcément éternelle, tant il est hors de question de ne pas y être vu aux côtés de Jean-François Leroy, des autorités dirigeantes, de jolies reporters au cul bronzé et pas mal décolleté. Il y a les déjeuners professionnels dans la clandestinité un peu paranoïaque de restaurants ou de villas cossues où l’on négocie avec la même âpreté des contrats autrement plus importants et plus juteux. Enfin, il y a les déjeuners de la Casenove où il n’y a rien à négocier car l’humour, la générosité et l’élégance ne sont pas négociables.
La Casenove, sur la commune de Trouillas, placée sous le regard bienveillant du Canigou, est une vieille demeure de vignerons, ancienne possession des Templiers dominée par une tour branlante du XIVème siècle et pleine de chambres au charme suranné où se promène la nuit un fantôme beaucoup moins ancien, un jeunot fin XIXème vêtu de culottes courtes et d’un costume marin. Etienne Montès, le maître de ces lieux, a longtemps couvert les guerres d’Amérique latine et d’autres conflits à travers la planète, ses images ont fait le tour du monde, faits d’armes qu’il n’évoque jamais, avant de tout envoyer bouler pour reprendre les rênes de la propriété familiale afin d’y «administrer ses ceps» comme il dit joliment. « 53 hectares d’un seul tenant dans la famille depuis 400 ans, ce n’est pas toujours intéressant, mais c’est impensable que cela n’existe plus un jour.»
Coincée entre le Réart, gros torrent qui charrie de l’or et l’autoroute, la maison d’Etienne et de sa femme Frédérique est un refuge hors du temps, très loin du temple de l’ego que devient parfois le festival lorsqu’il se laisse aller à trop de vanités. Il y a chez les Montès ces fameux déjeuners à l’ombre des vieux arbres, si vieux que leurs racines indomptables ont transpercé le sol de la cuisine cet hiver, et je crois celui d’un petit salon, et qu’il n’y a donc plus de cuisine ni de petit salon, mais toujours les déjeuners savoureux que Frédérique prépare sur deux misérables plaques électriques, on se demande comment…
Tout au long de l’année, avec ou sans cuisine, les Montès reçoivent des amis de passage, dont beaucoup ne font pas que passer, mais s’installent quelques jours ou quelques semaines, avec le sentiment d’y vivre un morceau d’éternité joyeuse et souvent studieuse. Chris Laffaille y vient pour écrire. Patrick Chauvel et Anna Pitoun aussi. Chacun se déniche un coin dans la grande maison, on se retrouve pour les repas, et boire un verre de Pla del Rei ou de Commandant Jaubert, célèbre aventurier et navigateur au long cours qui fut l’oncle d’Etienne. En réalité, on déjeune tous les jours chez les Montès et tous les jours, Frédérique cuisine un plat nouveau et Etienne découvre une raison de célébrer le vin et l’amitié.
Là-dessus, survient l’événement annuel de Perpignan le plus important après les vendanges, Visa pour l’Image. Alors débarquent Henri Bureau et Cop son chien amoureux, Michel Philippot et sa charmante épouse, et toujours Chauvel que Leroy, qui ne peut pas s’en passer, a chargé d’organiser des workshops. La table s’agrandit, les bouteilles se multiplient. Frédérique n’arrête pas et on se demande comment ce petit bout de femme fait pour abattre autant de travail avec tellement de gentillesse, d’ardeur et de discrétion. On ne descend presque jamais à Perpignan. Perpignan vient à Montès. Ca prend un tour un peu mondain, un peu « pro » qui n’est pas tout à fait le genre de la maison, mais bon… Mis à part lors de ces déjeuners, chez les Montès, on parle de tout mais jamais de photos.
Claudine Vernier-Palliez, grand reporter à Paris Match