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«Virtualité» par Thierry Maindrault

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Tout le monde en parle, à tous bouts de champs et pour n’importe quoi ! La virtualité. Quelle soit philosophique, commune ou plus récemment informatique, contrairement à ce que pense nombreux d’entre nous, la virtualité n’est pas l’antinomie de la réalité. Le contraire de la virtualité c’est l’actualité. La virtualité est liée à une notion temporelle associée à une supposée projection dans le futur. Elle trouve ses synonymes avec les mots potentialité et possibilité. C’est ainsi que la réalité virtuelle (qu’il serait plus judicieux de désigner comme virtualité réaliste) est loin d’être un oxymore. Ce préambule est important car nous sommes déjà dans l’Univers de la Photographie, sans le savoir c’est un peu comme pour la prose de Monsieur Jourdain chez Molière.

Parmi l’infinité d’espaces qui compose le potentiel photographique (nous sommes déjà dans le virtuel), j’en retiendrai deux qui sont essentiels à la réalisation d’une œuvre : l’actualité et la virtualité. Même si parfois se constate un léger dosage dans une interaction. C’est ainsi que sont apparus deux grandes catégories de photographes, d’un coté les reporters et de l’autre les créateurs. Nombreuses sont les fausses confusions faites ; car, les outils utilisés sont totalement communs aux deux opérateurs, à l’exception d’une petite spécificité, par ci ou par là, assez souvent au niveau purement pratique (pour l’un le 24×36 pour l’autre la 20×25).

Le reporter c’est l’actualité. Le spectre est très large car il comprend bien entendu la photographie de presse, mais également la photographie documentaire (scènes de rues ou de vies), la photographie de mariage, le portrait événementiel ou naturaliste, la photographie industrielle et celle pour les catalogues ou autres sites numériques, n’oublions pas la photographie scientifique, aérienne ou spatiale, etc. La liste est bien plus longue que celle de Prévert. Quel est l’espace commun à toutes ces images obtenues ? Elles représentent toutes un instant figé à un moment temporel très précis afin de fixer durablement une constatation incertaine. Rappelons que le Temps n’est qu’une invention intellectuelle pour constater le mouvement perpétuel. La photographie du reporter permet de saisir, de restituer, d’archiver, de constater dans une fraction temporelle un état éphémère. Ce qui se fait actuellement et techniquement de plus précis en l’état de nos connaissances.

Le créateur c’est la virtualité. Nous nous immergeons dans l’ère de l’hypothétique devenir, dans l’exaspération sensorielle suivie d’une construction intellectuelle. Si faisabilité en finale, l’action concrétisera une œuvre dépourvue de toute notion temporelle tant pour sa fabrication que pour sa transmission et sa pérennité. Le contenu prédomine sur la forme qui abandonne sa rigidité factuelle pour partager un autre message avec le lecteur de l’image. L’œuvre s’implique pour transmettre un savoir ou une émotion. La démarche photographique utilise la lumière qui doit être domptée pour qu’elle interprète la création afin de la restituer dans l’œuvre finale.

Tout est différent dans ces deux approches. Dans le premier cas, la lumière permet de découper une tranche infime de temps pour restituer à l’identique ce qu’un œil humain a pu saisir pendant la fraction de ce même temps. La technique se doit d’être uniquement qualitative pour la mise en valeur et ne toucher en rien quantitativement au constat prisonnier dans les images originales (dans ce cas Photoshop et ses ersatz sont légitimement honnis et proscrits par tous les puristes. Ainsi, les ajouts miraculeux (genre sacre de l’empereur Napoléon par David) et les retraits intempestifs (disparition de Trotsky de la tribune du 05 mai 1920) sont totalement prohibés. Dans le second cas, la lumière est sollicitée à tous les niveaux de la construction de l’image et dans toutes les directions. Elle n’est limitée dans ses actions que par les contraintes techniques encore non résolues par la technologie et par le plafond des compétences du créateur de l’œuvre. Je dois admettre que la profusion de génies qui manquent des minima basiques de compétences engendre des montagnes d’images affligeantes malgré leur titre auto-proclamé d’œuvre d’Art. L’appareil de prise de vues avec intelligence artificielle associé au Photoshop de dernière génération ne peuvent pas compenser l’indigence des compétences qui sont nécessaires à toute finalité. Peu importe que ces images se nomment photographies plasticiennes, conceptuelles, didactiques ou autres, selon leur style, elles ne peuvent pas s’arroger une erreur fondamentale pour vanter un effet exceptionnel.

Ces quelques réflexions qui se doivent de susciter les vôtres n’ont pas pour objectif de dresser les tenants de l’actualité contre les défenseurs de la virtualité. Bien au contraire, le rôle des uns et des autres est tout aussi indispensable. Il est vraiment tout aussi noble d’être photographe de guerre, d’immobiliser l’image d’un virus clandestin ou d’une classe de maternelle, du coté des reporters. Il est tout aussi indispensable de projeter une idée ou un ressenti dans l’avenir pour l’évolution de la pensée et l’éducation des cerveaux du futur. Il est quand même à noter que la rigueur des premiers engendre moins de fumisteries que l’imaginaire des seconds. Il faut également souligner que quelques grands auteurs ont pu pratiquer, ou pratiquent, avec dextérité des deux cotés de cette frontière fictive. Il est aussi notable que les acquis de certains savoir faire s’invitent discrètement dans le camp d’en face.

Lorsque vous allez appuyer sur le déclencheur d’un appareil photographique ou procéder à un tirage quelque soit la technique photographique utilisée, interrogez vous sur l’objet et sur la finalité de votre entreprise. Etes vous un témoin rigoureux ou un doux rêveur déjà à demain ? Dans tous les cas, chassez cette idée reçue que la virtualité serait une fiction, non, la virtualité c’est un pas dans l’avenir.

11 décembre 2020

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