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Vevey 2014 : le portrait de

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Des effets tardifs du LSD 

Si nous étions en 1938, c’est certainement à Bâle que nous écririons cet article. 

En effet, c’est là que, dans les laboratoires de Sandoz, une petite équipe de chimistes dirigée par le professeur Arthur Stoll synthétisa le LSD. Une molécule qui allait ouvrir les portes d’une nouvelle ère artistique et esthétique. Cette substance alors inconnue sera notamment testée sous suivi médical en famille.

Mais comme nous sommes en 2014, c’est de Stefano Stoll dont il sera question. Le directeur du désormais très respecté Festival Images de Vevey est accessoirement l’arrière-petit-fils du chimiste susmentionné. L’Œil de la Photographie m’ayant demandé d’éclairer une facette insolite du personnage, ce n’est pas du Festival dont il sera question ici.

La tâche est ardue, tant leur relation est fusionnelle. Pas un jour, pas une heure qui passe sans que Stefano Stoll parle Festival Images, pense Festival Images, travaille Festival Images. A tel point que ses proches s’inquiètent parfois de l’amour démesuré qu’il lui porte.  

Et la fin d’une édition ne le calme pas, car dès le lendemain, il s’agit de préparer l’édition suivante. L’obsession du Festival passé fait place à celle du Festival futur. D’aucuns l’ont peut être croisé dans des endroits aussi insolites que la bande de Gaza ou le quartier populaire de la Boca de Buenos Aires, concentré sur des images anodines collées sur des murs terreux, cherchant à inviter leur auteur à « You know, the Festival Images of Vevey… » 

Trilingue parfait, notre directeur helveticus passa un mois à Cuba en 2011 pour apprendre l’espagnol afin de pouvoir converser avec les artistes hispanophones sans interprète. C’est donc d’un “Hermano” sans accent suisse qu’il me gratifia lorsqu’il me rejoignit sur la côte pacifique de la Colombie cette année-là. Il ne se doutait pas de ce qui l’attendait.

En effet, dans l’espoir de le soigner de son obsession festivalière, je l’avais convié à la découverte de la “Ciudad perdida ». Des guides touristiques anglais vantaient la beauté de cette ville précolombienne « apparaissant comme par enchantement, au bout d’une petite balade en forêt ». Je pensais qu’un peu de nature et d’air frais lui changeraient les idées. J’aurais dû me méfier de la note de bas de page qui conseillait de réduire le poids des sacs au strict minimum : deux caleçons, deux t-shirts et surtout pas de livres. Hélas! on ne se méfie jamais assez de l’humour britannique. 

Le cauchemar : ce furent cinq jours de marche de forçat par une chaleur et une humidité délirantes, à travers une jungle hostile infestée de mygales et de serpents, accompagnés d’un guide mythomane affirmant « qu’ici le soleil se lève à l’Ouest » et « qu’il y a des tigres dans cette jungle, je les ai vus ! », flanqué de son complice : un mulet décharné à l’œil mauvais qui ronflait la nuit puis nous mordait les fesses le long de chemins étroits comme des spaghettis et raides comme les bottes d’Alain Juppé jusqu’à des sommet hauts comme plusieurs tour Eiffel qui se fracassaient ensuite dans des vallées si enfoncées qu’elles en étaient noires. Quand après quatre nuits passées dans des hamacs défoncés qui avaient achevé nos colonnes vertébrales, nous arrivâmes enfin à la fameuse cité, nous nous liquéfiâmes comme une fondue au fromage et nous maudîmes l’humanité entière, nous et le mulet compris.

Mais j’étais heureux car mon objectif était atteint. Nous étions au bout du monde et l’épuisement avait rangé au placard la question photographique. Mon appareil de poche, décomposé par l’humidité, rendait l’âme, et seuls nos yeux avaient encore l’énergie de capter la beauté de ce haut plateau dont la mousse recouvraient les vestiges millénaires. Quelques phrases sur le sens de la vie et notre place dans l’univers chuchotaient à l’oreille des pierres ancestrales. Le spectacle était réellement grandiose, et l’émotion était à son comble quand des guérilleros émergèrent du brouillard.

Soudain, Stefano Stoll ressuscita, se dressa sur des jambes devenues solides comme le roc, sortit deux t-shirts impeccablement repassés de son sac minuscule à l’agonie et, du haut de son mètre quatre-vingt-trois, donna le cadavre de mon appareil photo à l’officier. Le lieutenant ne discuta pas devant tant d’autorité, saisit l’appareil et déploya ses hommes. L’appareil eut lui aussi un sursaut d’orgueil et pris son dernier cliché.

On ne dira jamais assez combien les effets héréditaires du LSD peuvent être ravageurs.

Claude Baechtold 

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