Rechercher un article

Valerie Belin – Au Coeur de la Création Photographique – Muriel Berthou Crestey

Preview

Le livre de Muriel Berthou Crestey, ” Au coeur de la création photographique ” propose une rencontre avec 24 des plus grands photographes contemporains.

Des photographes parlent. Quels sont les regrets ou les surprises qui ponctuent une vie de photographe ? Quelles sont les stratégies de réalisation, de partage et de diffusion qui leur correspondent ? Comment se sont forgés les points de départ, le thème, les formes etc. ? Quels sont les états d’âme des photographes ? En quoi les nouvelles technologies ont-elles modifié leurs pratiques ? Pour répondre à ces questions et à beaucoup d’autres, Muriel Berthou Crestey a rencontré des photographes représentatifs de différents mouvements de l’époque contemporaine.

L’Oeil de la Photographie vous présente au cours des prochains jours des extraits de ces entrevues, aujourd’hui Valerie Belin.

 

L’Image en majesté (l’entretien publié comprend 26 questions – en voici 4)

 

  1. B. C. Est-ce que vous avez conscience de ce que vous faites au moment où vous déclenchez l’appareil ?
  2. B. Il y a des surprises au moment où je suis dans la recherche de l’idée, de la chose qui va surgir. Mais une fois que ce hasard heureux a été provoqué, il s’agit de le reproduire. Dans un second temps, il y a un façonnage, la recherche d’un effet que je dois retrouver dans chaque image appartenant à une même série. Mais il y a beaucoup de pragmatisme, d’empirisme dans ma démarche lorsque le sujet est défini.

 

  1. B. C. Existe-t-il des protocoles dans l’élaboration d’une série ? Quelles sont les étapes d’un projet ?
  2. B. La première phase est avant tout mentale et mystérieuse. Je ne suis absolument pas conceptuelle, ce qui explique que mon travail ne réponde pas à une rationalisation en amont de la prise de vue. C’est une forme d’alchimie et d’intuition qui font que je passe d’une série à l’autre. Et on retrouve souvent des éléments qui se recoupent, se rejoignent. Des motifs floraux reviennent. L’élaboration se construit progressivement. La série des voitures accidentées est assez significative par rapport à cette progression qui relève d’abord de l’intention floue. J’avais l’idée vague de photographier des voitures accidentées en rapport avec mon goût pour Warhol et l’art pop, ainsi que la réappropriation de l’objet. J’ai cherché des adresses de casses, en banlieue parisienne. Mais une fois sur les lieux, le temps était couvert. J’étais au sol. Le rendu me semblait documentaire et la lumière ne provoquait aucune brillance sur la tôle. Je ne savais pourtant pas comment remédier à cette déception. Une fois confrontée au sujet, j’ai dû transformer cette envie de départ en réflexion très pragmatique afin d’imaginer de meilleures conditions de prise de vue. Quel point de vue adopter ? Quelle lumière ? Comment parvenir à transfigurer cet objet en l’isolant par le cadrage ? De fil en aiguille, j’ai découvert des entreprises où les voitures étaient plus cabossées. Un jour, un très fort soleil produisait des brillances sur les tôles et les parebrises en partie cassés. Je suis montée sur une échelle et j’ai eu le déclic. Ni l’objet ni la lumière n’étaient plus documentaire. Le sujet devenait tel un miroir brisé. Mais tout cela se fait dans une parfaite inconscience. Je ne décide pas d’un schéma. Évidemment, le temps avançant, cette étape de latence, de recherche et de tâtonnement s’est raccourcie. Avec l’âge et l’expérience, les recherches sont moins laborieuses. Mais cette phase de doute existe toujours. Par exemple, en ce moment, je voudrais refaire des portraits car j’ai eu toute une période de nature morte et de paysage artificiel avec des scènes de théâtre. J’élabore une technique de photographie qui me permettrait certainement d’y revenir mais je ne sais rien a priori de comment il faut que je fasse.

 

  1. B. C. Dans vos photos, le vertige naît en partie de la difficulté des positionnements identitaires et de l’ambiguïté entre masculin, féminin (transsexuels). Est-ce que ces paramètres interfèrent dans vos choix formels ?
  2. B. J’ai souvent eu recours à un traitement anthropométrique des visages, par exemple lorsque je photographiais des mannequins débutants, dans les années 2000. On voyait le grain de la peau. Mais il y a eu progressivement un déplacement vers des dichotomies propres à notre civilisation actuelle. Je cherche maintenant à interroger la limite entre le virtuel et l’organique, entre le sublime et l’humain. Désormais, on a même un doute sur la réalité de ce que je photographie. Est-ce que cela existe ? Est-ce que cette femme est réelle ou bien résulte-t-elle d’un logiciel de modulation 3D ? Bien entendu, toutes ces personnes existent. Sinon, le trouble n’existerait pas.

 

  1. B. C. Vous arrive-t-il de prolonger les séries ou de les interpréter sous des formes différentes (performances …) ?
  2. B. La vie est faite de hasards, de contingences qu’on attrape ou pas. Il m’a été proposé de faire un spectacle au Centre Pompidou à partir de mes photographies. L’exercice, au départ, n’était pas d’une évidence absolue car je suis fondamentalement ancrée dans l’image, la distance. Travailler avec des personnages en chair et en os relevait déjà d’une contradiction. Il s’agissait d’un challenge. Comment restituer le trouble qui m’avait saisie en réalisant les photographies ? Je pouvais positionner plusieurs personnages sur scène dans le même temps. Michael Jackson n’a eu de cesse de transformer son personnage jusqu’à ce qu’il devienne de plus en plus irréel. La transformation de soi, le désir d’être un autre atteint son paroxysme. En contradiction, on avait tout ce qui avait trait à l’individu lui-même, ses particularismes, sa fragilité et ses aspects humains qui ne rejaillissent pas dans la photographie. Il y avait cette rencontre entre l’humanité et le désir de devenir une image. Cette forme de performance était en adéquation avec mon travail de photographe, mais la scène est un travail en soi et c’était comme une étoile filante. Même chose pour la vidéo. J’ai pu être amenée à réaliser des séries comme les Blacks Eyed-Susanqui ont fait l’objet d’images animées en adéquation avec les photographies. Tout cela relève d’expériences extrêmement attirantes. Après, le temps implique de faire des choix. Mais il n’est pas dit que la chose ne puisse se reproduire dans l’avenir.

 

Muriel Berthou Crestey – Au coeur de la création photographique

ISBN 978-2-8258-0285-4

Editions Ides et Calendes

www.idesetcalendes.com

 

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android