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Une lettre type pour promouvoir un travail photographique, par François Cheval

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Dans cette tribune, François Cheval, ancien directeur du musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône, présente, non sans une dose de provocation, une lettre type pour les photographes voulant promouvoir un travail photographique auprès d’institution et de concours.

Voilà le temps des lettres de recommandations. Les photographes, ils n’ont pas le choix, se soumettent aux conditions imposées par les institutions. En postulant aux prix, aux résidences, etc, il leur faut annexer à leur demande un certain nombre de lettres de responsables, de « prescripteurs », les recommandant. Par expérience, je sais que cela ne sert à rien. Aujourd’hui, j’ai pris la décision de ne plus servir de caution à cette opération de blanchiment du Cartel. J’ai donc rédigé une lettre-type que tout(e) photographe pourra utiliser à sa guise. Libre à lui d’inventer le nom et la biographie du « prescripteur ».

« X…, à l’écart du marché, de l’art contemporain et de ses concepts malingres, se méfie de la facilité du grand format, et n’est en rien soupçonnable d’une utilisation vulgaire de la couleur. Porteur d’une certaine morale, véritable démiurge, X…, un auteur dans le sens plein du terme, est proche de l’alchimiste, si ce n’est de l’apprenti-sorcier. Sa matière, irréprochable, le situe dans la lignée des plus grands. X…, pourrait se satisfaire d’une production d’une telle originalité.

Mais l’incertitude le ronge. Il ne s’agit pas pour X… uniquement d’introduire une nouvelle esthétique, là, au cœur de l’œuvre, où l’image et la série sèment le doute sur les présupposés de l’acte photographique. L’enjeu ne pouvant se limiter à l’entre-soi du milieu photographique, X… a fait le pari d’une alternative aux images « vulgaires » du monde. La photographie pour elle (pour lui) est un acte militant, une volonté farouche de s’opposer à la société du spectacle.

Car instruit des ruses du médium, X…, en toute humilité, se sent à même de participer à la nécessaire reconstruction du médium. Plus rien n’est indiscutable pour cet expérimentateur hors-pair. En photographe conscient, X… témoigne, non pas de l’état du monde, mais du rapport que l’image entretient avec l’image autocratique qui se confond avec la marchandise nouvelle. Elle (Il) démontre, avec une maturité étonnante et maestria, que la photographie est en mesure de retrouver sa liberté, de se débarrasser du narcissisme, de la décoration et du suivisme. Elle (Il) sait, en particulier, jouer avec la machine et ses potentialités pour mieux la dominer.

X… éprouve, image par image, le simulacre photographique. Elle (il) discrédite la mystification esthétique et le faux héritage pictural et cultivé de l’objet. En bannissant la séduction de l’émotion, tout en fondant une esthétique, X… inclut dans cette dernière la possibilité critique du visible et de sa perception. La question de la restitution du réel n’appelle pas nécessairement la réquisition des impressions. Ayant su très tôt se débarrasser du pathos, X… dispose dorénavant d’un outil efficace, son désir de distanciation.

C’est pour toutes ces raisons, dans la quête rare menée par X… pour l’autonomie de vision du spectateur, que je soutiens ce travail exigeant et si contraire à l’esprit du temps. Le spectacle n’est pas la fin ultime de cette photographie qui propose de participer à l’émancipation de notre regard. Et ultime renversement, dans cette complexité, dans cette pénombre de la compréhension, quand nous avançons à tâtons, cette liberté retrouvée nous procure la joie de se reconnaître et de se rassembler.

La photographie reste un geste essentiel, expurgée de ses illusions, elle retrouve ici, grâce à X… sa merveilleuse capacité de créer une situation inédite entre soi et l’autre. »

 

François Cheval

François Cheval est un commissaire d’expositions photographiques français. Il vit et travaille à Paris.

 

 

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