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Tunis : Yoann Cimier, Nomad’s Land

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La maison d’édition Lalla Hadria, basée en Tunisie, inaugure sa nouvelle collection Art Photo avec Nomad’s Land. Ce premier ouvrage condense une série de photographies de Yoann Cimier, réalisées en plein été sur les plages publiques du littoral tunisien. A l’occasion de la sortie de ce livre, une exposition a lieu à l’espace Le32bis à Tunis jusqu’au 23 janvier 2016.

Le Nomad’s Land de Yoann Cimier

En Tunisie, en marge des plages privées des Resort Hotels, la population locale investit chaque été les plages publiques, improvisant le temps d’une journée un habitat éphémère, une micro architecture en connexion avec la nature.

Camping sauvage, abri vernaculaire ou expression de la tradition bédouine, ces bulles nomades ancrées dans le sable illustrent autant de solutions mises en œuvre pour profiter pleinement des plaisirs de la plage.

La recherche du confort est une constante dans toute construction humaine. Chacune de ces bulles est une organisation spatiale dont les règles de construction sont dictées par les matériaux utilisés (tapis, nattes, foutas, parasols, bois…), agencés selon les capacités et les choix de chacun.

Il en résulte une diversité d’installations, un enchevêtrement complexe d’éléments simples dont l’agencement et l’orientation sont déterminés par la course solaire, l’intensité du vent, la satisfaction fonctionnelle des besoins et des activités.

Horizontalité, verticalité, angulation, courbure, continuité, discontinuité, superposition, dissociation de l’espace construit… Derrière l’apparente simplicité des formes, la combinaison et la juxtaposition de ces éléments constituent des rapports de causalités complexes : les données économiques, sociales et culturelles déterminent ici la réponse architecturale.

Dans un environnement livré à ceux qui le défigurent, les Tunisiens érigent spontanément une architecture du bonheur, apaisante et poétique, qui contraste avec l’hégémonie des hôtels étoilés où luxe et confort ne sont souvent que promesses de bonheur.

Expression formelle de la relation mythique et spirituelle des Tunisiens avec leur environnement, cette micro architecture nomade a pour vertu de nous montrer la possibilité de recréer, à échelle humaine, un petit paradis sur terre.

Plages publiques

Entre ciel et mer, sur de larges bandes de sable blanc, l’œil du photographe s’attarde sur des objets de prime abord anodins, banals, à mille lieues de ce qui pourrait faire sensation ou interpeller l’attention du promeneur ordinaire. Pourtant, les observations glanées au hasard des plages tunisiennes finissent par constituer un axe de recherche artistique suscitant la curiosité et invitant, par la récurrence du dispositif photographique, à y voir de plus près, pour percevoir la similitude dans la disparité, c’est à dire la nuance.

Tentes d’infortunes, cabanes, tentures et voilages offerts aux vents surgissent dans un espace quasi désert, face à une mer toujours paisible. L’importance accordée à ces expressions d’architectures estivales provisoires révèle un intérêt autant sociologique qu’esthétique à travers une approche qui actualise le phénomène du nomadisme et remet à l’ordre du jour les réminiscences de la culture tribale. D’emblée la question de la sédentarité est posée de manière frontale, nous plaçant au cœur d’une problématique essentielle qui remonte aux origines du mode de vie pastoral où la notion d’éphémère fonde une vision fataliste du monde.

Assez grands pour accueillir une famille le temps d’une baignade ou d’un court séjour au bord de la mer, ces campements rudimentaires rappellent les déplacements saisonniers au moment de la transhumance, même si aujourd’hui les meutes de motocyclettes remplacent les moutons, et les camionnettes font office de cargaison.

S’inspirant de la tente traditionnelle, sans réussir à ressembler à la tente de camping moderne, ces huttes hybrides ne peuvent s’inscrire dans la logique de la société de consommation qui fait parfois irruption dans le cadre, non sans humour, telle une exception qui confirme la règle. Indice de l’ascension sociale, la présence insolite d’un véhicule à la housse impeccablement tendue, représente les idéaux importés de la classe moyenne et jure avec le dénuement des tentes populaires qui semblent échapper à la modernité en se situant dans une frange où une identité profonde exprime son authenticité et son irréductible spécificité.

Cette scénographie minimaliste où l’humain est le grand invisible, sans pour autant être le grand absent, devient le théâtre d’une précarité qui renvoie à la petitesse de la condition humaine. Fortement suggérée, la présence des estivants est reléguée à l’arrière plan et le plus souvent occultée, ce qui ne veut pas du tout dire ignorée.

Les photographies de Yoann Cimier sont habitées, elles ont un pouvoir de fascination qui nous entraîne de la contemplation à la méditation, en passant par le désir de découverte. Une étrange sensation de zoom avant nous fait pénétrer imperceptiblement dans le cadre épuré et nous envoûte avec son économie. Nous entrons peu à peu dans un univers mystérieux, sorte de no man’s land fantomatique et lumineux où le blanc laiteux épouse la gamme des bleus pastel de la mer et du ciel. On tourne résolument le dos au contraste chromatique spectaculaire qui fige l’image dans une beauté de convention, pour s’attacher à la description d’un mode de vie au delà du stéréotype exotique.

Comment créer une atmosphère lancinante sans pour autant tomber dans la monotonie ? Tel est semble-t-il le défi du photographe qui refait la même photo en multipliant les effets de surprise par un sens du détail qui renouvelle constamment l’attention du spectateur. Ici une texture, là une rayure, plus loin une déchirure ou une zébrure… L’œil est toujours sollicité par les éléments de ce design à la fois sauvage et naïf où l’impératif de fonctionnalité le plus utilitaire renforce tout bêtement le caractère rustique. L’approche clairement anthropologique se réclame d’un souci documentaire non exempt de poésie. Un spleen parcourt en effet l’ensemble des œuvres reliées par la prégnance d’une ligne d’horizon qui marque nettement l’espace. L’horizon, comme un repère tangible et physique du paysage, accentue l’unité spatiale alors que les teintes indiquent l’unité de temps d’une dramaturgie hiératique sous un soleil au zénith.

Photographiées de loin, les habitations provisoires révèlent mieux la fragilité de leur structure sommaire sur un fond immuable et nu. La distance devient ici un révélateur conférant une stature monumentale à ces sculptures éphémères, le plus souvent faites de bric et de broc, de lambeaux de tissus, de peaux de bêtes, de couvertures, de tapis, de bâches et de tout ce qui peut être récupéré ou recyclé. Cette distance est synonyme de neutralité, de pudeur, de respect mais surtout pas d’évitement. Il n’est pas non plus question de voyeurisme dans ce choix de rester à l’extérieur qui confère un statut à l’observateur. Une relation éthique est puissamment imprimée en filigrane de ces images qui ont forcément occasionné des rencontres et nécessité des autorisations de la part des artisans de ces abris bricolés.

L’un d’entre eux, s’identifiant à son parasol de fortune, accepte la complicité de la caméra et se donne à voir comme un exemple de cet échantillon de la population qui stationne sur les plages du Sud de la Tunisie. C’est ainsi que l’humain est saisi en creux, voire portraituré à travers des signes spécifiques qui soulignent les différentes catégories des milieux populaires et laissent, de ce fait, deviner des caractères. Chaque tente a son âme propre, sa particularité, et si on ne sait pas exactement quelle est sa durée d’existence on sait qu’elle évoque la promiscuité, le partage, la convivialité faite de plaisirs simples et d’instants paisibles en famille, ou bien la solitude, la retraite ascétique.

Loin du parcours touristique habituel, Yoann Cimier explore une facette inattendue de la Tunisie la plus humble et la plus hédoniste, la plus festive et la plus triste, fragile mais pleine d’assurance. Cette Tunisie profonde s’offre au regard du photographe comme un paradis sans faux semblants.

Préface de Hichem Ben Ammar

LIVRE
Yoann Cimier, Nomad’s Land
Parution Tunisie Décembre 2015
16,5 x 23,5 cm, 136 pages
Français-anglais
102 photographies
Éditions Lalla Hadria Editions
prix public : 42 DT
http://www.lallahadriaeditions.com

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