Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa série de livres de photographie Fashion Eye.
Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe de mode.
Les Éditions Louis Vuitton ont publié dans la collection Fashion Eye British Columbia. Le livre rassemble les travaux spontanés du photographe norvégien Sølve Sundsbø. Les monts rocheux de la province canadienne, les cimes enneigées ou le simple travail de la lumière revêtent un caractère irréel comme amoureux.
Le travail de Sølve Sundsbø est une construction amusée avec le fantasque. Il confie « Je ne ressens pas le besoin de faire des photos réalistes. J’admire ceux qui le font, mais ce n’est pas moi. J’essaie d’idéaliser, de montrer un univers plus fantastique ». Photographie de mode ou instantanées sur les cimes des montagnes s’inscrivent dans un affranchissement des contraintes. Pour Vogue Italia, Sølve Sundsbø a notamment produit la série Beauty Supplement. Aucune photographie ne se ressemble. Les portraits en noir et blanc, visages pleins et sereins, comme éternels, alternent avec des jeux de corps contorsionnés, devenus des ponts souples aux prouesses érotiques. Le photographe distille d’une œuvre à l’autre des atmosphères tautologiques sans être caricatural.
Sølve Sundsbø n’a pas de véritable style, il n’a pas de signature mais plutôt la roublardise de se recomposer, tel que dans sa série Enigma of the Hour (OOO). Il n’a ni le chic provocant de Newton, ni la légèreté pimpante de Bourdin, ni la couleur joyeuse et mate de Sassen… Il a l’objectif joueur. Les situations l’amusent l’une après l’autre et de l’immédiat, il tire une histoire intuitive, immédiatement comprise par le regardeur. Le résultat s’avère similaire d’une œuvre à l’autre. Devant l’œuvre, l’œil est hors du présent, dans une contemplation entièrement soutenue par l’imaginaire.
British Columbia répond à cette logique. La montagne canadienne est prise depuis le ciel par hélicoptère ou à flanc d’une montagne, après avoir sillonnée ses pentes vierges. Chaque photographie ne se ressemble pas. C’est un truisme creux et pourtant il existe peu de livres aussi puissants, aux pages aussi diverses. Le photographe alterne abstractions, vues à l’accent formaliste et simples paysages aériens. Dans ses mains, les sillons du vent carillonnent sous les rigoles enneigées. La brisure de la glace trouve l’écho d’une roche dans le judas d’un microscope. Les courbures arrondies frôlent la sensualité d’un dos féminin. Les flancs accrochés par le souffle bleu du vent portent au loin. Les sapins épars météores s’écrasent et vivent héroïques dans des plaines absentes. Écrire sur l’imaginaire de ses photographies revient à épuiser ses mots. Vaincre l’image n’est pas aisé.
Les ressorts techniques de ses compositions s’avèrent plutôt simples, et pourtant ils sont maîtrisés avec équilibre, élégance et finesse. Jouer sur les contrastes lui permet de glisser vers l’abstraction. Les vitres du cockpit en polycarbonate thermoformé peuvent habiller de sépia et de turquoise ses scènes. Le reste est affaire de cadrage. Ici un sommet aussi brisé qu’un saphir, là les creux de lumière sous la peau abîmée des premières neiges. Et l’ensemble forme, sous les mots justes de Alain-Paul Mallard, une « capture d’instantanées […], une expérience du paysage subjective comme fugitive ».
La montagne obéit sous son regard aux mêmes contorsions qu’un modèle. Il la prend entière, maquillée par le vent, torturée par des corsets de conifères. Il l’aime dans son infinie surprise, dans son silence de feutre avant que la nuit ne l’agite. Il la sort du temps et lui donne de la couleur aux joues. D’un jour à l’autre, la Colombie-Britannique lui répond douce et s’agite le lendemain hostile. Elle est actrice inépuisable et le regard de Sølve Sundsbø lui restitue sa beauté irréelle. Elle est page après page une redécouverte ébahie.
Arthur Dayras
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