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MediaStorm : Chaussettes et histoires

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La première fois que je l’ai rencontré, j’ai pensé qu’il était un peu dingue.

Yeux bleus, les cheveux très courts, armé d’un grand sourire, il arrive dans l’entrée du bureau de Corbis sur la 20ème rue à New York pour me souhaiter la bienvenue pour une entrevue d’emploi. Il me guide à travers les corridors jusqu’à son grand bureau d’angle en verre qui donne sur la rédaction. Tout est ordonné. Pas de papiers. Rien sur le bureau. Deux grands écrans.

Il me fait asseoir à côté de lui face à son ordinateur et commence à parler très vite, trop vite pour moi, mon anglais est bon mais encore beaucoup plus lent que mon français. Il ne me pose pas de questions (bizarre pour une entrevue), me laisse à peine placer un mot (est-ce que tout simplement il n’est pas intéressé? A-t-il quelqu’un d’autre en vue pour ce poste?). Il m’explique chaque étape de sa stratégie pour l’entreprise, mais aussi pour l’industrie de la photographie. Sa passion est contagieuse. Je suis impressionnée et assez charmée.

Il me propose un poste dans le département spectacles, mais je veux travailler dans le département actualités. Nous ne travaillerons pas ensemble, du moins pas pour l’instant, il faudra un peu plus de temps et l’un des nombreux rebondissements de la vie … mais ceci est une autre histoire, notre histoire.

Brian Storm est né le 6 Août 1970 dans le Minnesota. Son père travaillait dans l’industrie de l’acier et sa mère restait à la maison pour s’occuper de leurs enfants. Son frère naît quand ses parents ont dix-sept ans et Brian, quand ils en ont dix-neuf. Leur soeur naît sept ans plus tard.

Après le lycée, il suit son frère aîné au Collège des Ozarks dans le Missouri avec une bourse de baseball. Cette époque a forgé l’esprit de compétition de Brian, mais aussi un grand esprit d’équipe. A force de lancer la balle, il se blesse à l’épaule et il est mis sur la touche pendant un certain temps. Puis vient sa seconde passion, la photographie de sport pour le journal du collège. A l’époque,son grand rêve est de devenir photographe pour le magazine Sports Illustrated.

Il est un bon photographe, tellement bon qu’il obtient encore une autre bourse, cette fois-ci pour entrer dans la prestigieuse Ecole de Journalisme du Missouri pour étudier le photojournalisme dans le programme d’études supérieures. Là encore, deux événements vont changer le cours de ses études. Son camarade de chambre à l’université est un programmeur qui lui présente les CD-ROM interactifs en 1993. Et il se sent frustré par le fonctionnement de la presse. Il lui semble insensé de devoir passer une semaine avec une famille victime de graves inondations, que ces personnes le reçoivent chez elles, partagent leurs vies et leurs peines pour qu’il publie ensuite une seule photo en quart de page dans le journal. Ce que beaucoup de gens voyaient comme la consécration d’un photographe constituait pour lui une trahison de ses sujets. Une vocation est née: donner une voix aux sujets des photographies en faisant des interviews audio. Le mariage parfait.

Un jour, en 1995, deux types en costume frappent à la porte du laboratoire des médias à l’Université du Missouri. Ils cherchent Brian. Ils viennent de Microsoft, à la grande surprise de Brian car il est un fan d’Apple et n’a jamais utilisé un ordinateur PC. Il a accroché au mur de son labo une affiche qui dit: «Choses à faire pendant le chargement de votre programme Microsoft Word: faire votre lessive, aller à Shakespeare Pizza …  »

« Nous cherchons à construire MSN News, l’un des premiers grands sites internet d’actualités»  lui ont-ils dit  » Nous prévoyons que d’ici un an, le site sera sur trente millions d’ordinateurs. » L’idée de toucher un grand nombre de gens avec des histoires importantes a rapidement surmonté l’aversion de Brian pour le PC. À 24 ans, il est devenu Directeur des multimédia pour MSN News qui deviendra plus tard MSNBC.com. Il était le onzième employé du site web et il est resté dans l’entreprise pendant sept ans. « C’était comme obtenir un doctorat de multimédia», explique Brian. Parmi ses grands succès, The Week in Pictures (La Semaine en Images), une chronique hebdomadaire présentant les photos les meilleures et les plus importantes de la semaine.

De même que l’Université du Missouri a donné forme à son ambition, MSNBC a fait la réputation de Brian comme  visionnaire. Il est devenu cette denrée rare: un homme qui non seulement a compris le monde des médias, mais façonne ce qu’il deviendra dans l’avenir.

Après sept ans à MSNBC, Corbis, l’une des plus grandes agences de photos dans le monde et une autre entreprise de Bill Gates, lui fait une offre qu’il ne peut refuser: diriger tout leur département rédaction, y compris l’actualité, les sports et le spectacle, ainsi que leurs archives, qui présentent la collection Bettmann. Il sera également chargé du département des commandes, qu’il devra réorganiser en mettant l’accent sur l’information multimédias et la distribution sur des plateformes multiples. À 31 ans, Brian a quitté Seattle pour se mesurer à New York.

Corbis a fait appel à lui pour qu’il mette en forme la couverture qu’utiliseraient la plupart des distributeurs d’actualité. Storm commence à mettre en place des éléments clés pour construire une agence multimédia forte qui permettrait en fin de compte non seulement l’octroi d’accords de licences pour les photographies, mais élaborerait des histoires comprenant audio et vidéo. Pendant quelques années, j’ai rejoint l’entreprise pour aider à gérer Corbis Outline, et ces années demeurent parmi les plus intéressantes et instructives de ma carrière.

Cependant, il ya aussi des défis politiques et stratégiques et le poste de Brian est « éliminé » après moins de trois ans.

Le temps qu’a pris Brian pour gérer ce qu’il a vu comme une dégringolade s’est avéré essentiel  pour concevoir l’étape suivante de son travail. Après avoir quitté Corbis, il passe neuf mois à lire tout ce qui l’intéresse, à surfer sur le net et à rencontrer le plus de gens possible. Il refuse plusieurs offres d’emploi et rumine une des décisions les plus importantes de sa vie, lancer, ou plus exactement relancer, sa propre compagnie, MediaStorm.

Brian avait monté la première version de MediaStorm durant ses études supérieures à l’Université du Missouri en 1994. À l’époque, ils publiaient des CD-ROM. Cette fois-ci, les progrès de l’édition sur le Web permettraient à Brian de créer sa propre publication.

Il embauche un de ses meilleurs amis et un collaborateur de longue date, Robert Browman.

Brian a toujours dit de Browman, un photographe accompli / producteur multimédia / programmeur, « C’est quelqu’un qui peut faire et apprendre n’importe quoi: c’est le partenaire idéal dans une activité où presque tout est encore à inventer.

Les deux hommes échangent constamment des idées et débattent de la philosophie de l’entreprise: c’est clair qu’ils vont publier du journalisme en profondeur, des projets qui ne peuvent pas trouver leur place ailleurs. Ignorant mon conseil, Brian décide qu’il ne suivra jamais un calendrier de publication cohérent, qu’il soit mensuel, trimestriel, hebdomadaire ou quotidien.

Parmi leurs premiers projets, un des plus ambitieux est « Kingsley’s Crossing » (Le Voyage de Kingsley), un reportage d’Olivier Jobard qui suit un immigrant illégal à chaque étape de son voyage périlleux depuis le Cameroun jusqu’à l’Europe.

Brian demande toujours à voir l’ensemble des prises de vue du photographe. Jobard doit examiner six mois de  photographie, toutes ses planches contact et ses négatifs. Il scanne plus de 750 images pour le film de 21 minutes et retourne interviewer Kingsley sur son voyage. A l’exception de l’interview vidéo le film est fait entièrement d’images fixes, et c’est le premier à gagner un Emmy en tant que documentaire exceptionnel sur le web.

L’entreprise emploie à présent huit employés, qui travaillent jour et nuit. Et à un moment donné, nous éliminons notre vie personnelle de ce qui est devenu davantage un bureau qu’une maison – je suis sûre que cela a été un soulagement pour la plupart des employés de MediaStorm.

En l’espace de dix ans, il y a de nombreux succès: d’autres Emmys, deux duPont Awards, un travail important pour des clients tels que National Geographic, Reuters, le Council on Foreign Relations, Starbucks, la Fondation Alexia et la Fondation Harbers, la croissance du chiffre d’affaires, la croissance du personnel, et un déménagement des bureaux à Dumbo, un triangle tech en plein essor à Brooklyn.

Brian est perfectionniste. Il aime contôler l’ensemble de l’expérience. Insatisfait des options de playback offertes par,  YouTube et Vimeo, il décide de construire sa propre plateforme de vidéos et un lecteur qui permet les incorporations, les abonnements et les transactions. MediaStorm se met à licencier le lecteur à d’autres organisations comme le Sundance Institute.

Brian est aussi quelqu’un qui se soucie profondément de l’industrie. L’enseignement a toujours constitué une grande partie de sa carrière et dès les premiers jours, je me souviens de ses voyages fréquents pour participer à des conférences et des workshops pour instruire la prochaine génération de raconteurs, de Kalish à Eddie Adams.

Une fois de plus, il apporte cette passion dans son entreprise et lance les workshops MediaStorm où il enseigne aux photographes et cinéastes comment faire des vidéo et les monter,  aux éducateurs comment mettre à jour leurs programmes, et aux cadres des médias comment démarrer des entreprises semblables, en leur donnant à voir le fonctionnement interne de l’entreprise — à la consternation de son conseil d’administration et à la mienne.

À la base, la mission de Brian a toujours été de bien agir, souvent au détriment du profit. Il répète souvent: “L’argent est un facilitateur, pas une fin ». Pourtant il y a eu de nombreux défis au jour le jour dans la gestion de l’entreprise, et des sacrifices: de nombreuses nuits sans sommeil, pleines d’inquiétude pour l’avenir, pour ses collaborateurs, ses employés et ses clients. Beaucoup de week-ends où il a travaillé plutôt que de passer du temps avec moi ou les enfants.

Bien des fois, au nom de l’intégrité, il a choisi de ne pas gagner plus d’argent ou de confort. Malgré tout, il vit son rêve, son rêve de mener une entreprise de médias éthique et sans compromis. Le dévouement à ce rêve a permis à cette petite entreprise où les gens travaillent en chaussettes de rivaliser avec les plus grandes sociétés de médias dans le monde et de montrer la voie dans la publication sur le Web.

La vérité, c’est que Brian est vraiment un peu dingue et incroyablement têtu, mais cela constitue une grande partie de son succès et a certainement quelque chose à voir avec son charme … Mais ceci est une autre histoire …

Elodie Mailliet Storm

INFORMATIONS
http://mediastorm.com

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