A Paris, Londres, New York, Simon Bocanegra, avec son équipement minimal et sa posture de torero a photographié la nuit, la mode et l’underground pendant 30 ans.
Le 12 décembre 2011, avec l’élégance qui lui était naturelle, cet autodidacte de haute volée qui évolua dans les sphères les plus diverses voire les plus marginales a décidé de nous tirer sa révérence. Dans son Adieu à Simon, son ami écrivain Claude Louis-Combet nous parle de « la merveilleuse beauté de cet être qui semblait parcourir la vie et le monde comme un danseur, jongleur, acrobate et funambule, dont le corps présentait la démarche, les gestes amples et rythmiques de celui qui associa sans effort et sans une fausse note, la vivacité de l’instinct et la finesse de l’esprit. Il y avait chez lui, indissociablement de l’animal et de l’ange – animal supérieur et ange noir – et c’était là ce qui préservait cette sorte de pureté impure et sombre qui rayonnait au fond de son ambiguïté, de son ambivalence et de la diversité de ses facettes. »
Depuis sa rencontre avec Christine Mingo, Simon Bocanegra ne s’est jamais lassé de la photographier. Elle devint son égérie. Sa relation avec lui fut immédiatement privilégiée et ce fut le début d’une collaboration qui dura jusqu’en 2011. Simon lui apprit à se tenir avec dignité face à l’objectif en toutes circonstances. Son leitmotiv était : « Keep your nose in the air. » (Relève la tête et hume l’air du temps.) Elle lui fit rencontrer les personnages de son univers, tout particulièrement des transsexuelles dans le quartier du Meat Market qui, du jour au lendemain en 1989 furent propulsées modèles aux côtés de prestigieuses personnalités parisiennes lors d’une exposition intitulée « HOT COUTURE » à la Prisunic Gallery. En compagnie de Simon, toujours en quête de sujets à photographier, ils sillonnaient New York, le jour, la nuit, au coin de la 14e rue et de la 9e avenue, Harlem et sa ball culture, les nightclubs (Sound Factory, Tracks, Pyramid, Boy Bar, Save The Robots, Mars, Sally’s Hideaway, etc.) mais ils faisaient aussi des apparitions dans les soirées huppées de la haute société.
Commissaire de cette exposition intitulée 1989 / New York Meat Market, Christine Mingo a choisi de nous montrer un angle précis et déterminant de l’œuvre de Bocanegra. Le Meat Market est un quartier de New York aux abords de la 14e rue Ouest, où se trouvait comme son nom l’indique une halle de boucherie. 30 ans après, ces images ont valeur de manifeste et positionnent Simon Bocanegra comme un héraut et un précurseur de l’esthétique transgenre.
Cette exposition est pour Christine Mingo comme un album de jeunesse. C’est à la fois un hommage à Simon et à ses amies Monet, Geneva et Epiphinny. A 17 ans, elle était la plus âgée du groupe — les autres avaient de 3 à 4 ans de moins. C’était dans les années 83-84. Ayant quitté leurs familles dans des circonstances plus ou moins rudes, elles devaient se débrouiller seules. A un moment ou à un autre, elles ont partagé un studio, un appartement ou une chambre d’hôtel. Cela a contribué à créer entre elles cet indéfectible lien qui les a protégées de tous les dangers : la transphobie, les agressions sexuelles, le racisme, l’épidémie du sida, les ravages de la drogue, la police et toutes les noirceurs imaginables et inimaginables auxquelles les enfants transgenres de couleur livrés à eux-mêmes pouvaient être confrontés à New York dans les années 80.
Simon garda une relation constante d’amitié avec ces filles. Par son regard, il transfigura le cours de leur vie tout en devenant leur mentor.
MONET : A l’âge de 15 ans, Monet et moi avions évolué dans les mêmes cercles. Lors de notre rencontre au milieu des années 80, de nombreux centres d’intérêt ont contribué à sceller notre amitié : le mannequinat, le maquillage, la house music, l’art et la culture underground de l’époque. Elle était New Age avant l’heure. Elle possédait un esprit d’analyse hors pair qui la rendait fascinante.
GENEVA : Je l’ai rencontrée bien plus tard à une époque où j’avais déjà pris mes marques dans la vie. Elle était l’innocence incarnée et donnait l’illusion de ne jamais rien prendre au sérieux. La vie pour elle était un magazine de mode. Elle avait des goûts de luxe et dépensait son argent sans compter. Elle me faisait penser à Holly Golightly dans le film Breakfast at Tiffany avec un petit côté Joséphine Baker. Son attitude passive-agressive relevait du grand art. C’était un coup de foudre. Je l’habillais comme ma poupée.
EPIPHINNY : Elle est l’une des premières filles que j’ai rencontrée. Elle m’a initiée à tant de choses. Contre toute attente nous sommes devenues d’emblée complices. Après les présentations d’usage, je me souviens que l’une de mes premières conversations avec Epiphinny qui s’appelait à cette époque-là Ronda, fut au sujet des hormones. Jusque-là je ne pouvais pas me figurer qu’elle était transsexuelle. Trente minutes plus tard, je tombe sur elle sortant d’un taxi et tenant une enveloppe à la main. Elle me demanda de l’accompagner et me fit ma première injection d’hormones. Inébranlable quant à sa fierté d’être, son assurance était communicative.
Christine Mingo.
SIMON BOCANEGRA – 1989 NEW YORK MEAT MARKET
Exposition du 16 au 30 novembre 2019 (du mardi au samedi de 14h00 à 19h00)
Vernissage le vendredi 15 novembre 2019 à partir de 18h00.
ICONOCLASTES GALERIE
20 rue Danielle Casanova 75002 Paris
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