Andrea Blanch : Deux de vos œuvres, « Mr. Realistic (Keeping America Clean) » (2014) et « Builder Destroy (Acid God) » (2013), mettent en scène un personnage vivant au milieu des déchets, dans un environnement post-apocalyptique. D’où vous est venue cette idée ? Est-ce une version de notre propre monde ? Un présage de ce qui nous attend, étant donné la façon dont nous maltraitons notre environnement ?
Shamus Clisset : Oui. Quand je me suis mis à travailler en 3D, j’ai d’abord compris que le monde de la 3D était analogue au nôtre – c’est un nouveau territoire encore non découvert, qui se crée à mesure que nous l’explorons. Tout cet imaginaire de la frontière est arrivé dès le début. Ça renvoyait notamment à la conquête de la frontière dans l’histoire américaine, mais aussi à la lumière de là où nous avons fini et de comment nous l’avons conquise. Où en sommes-nous maintenant au final ? Nous avons mis des pavés partout. Mes parents vivent dans le Colorado, qui est devenu l’un des endroits où l’on trouve le plus de zones péri-urbaines.
AB : Où ?
SC : Autour de Denver et Boulder. C’est là que j’ai grandi. Dans les années 1970 et 1980, beaucoup de gens allaient là-bas pour se mettre au vert ; c’est pour ça que mes parents y ont déménagé, mais depuis, on y voit les mêmes banlieues que partout ailleurs dans le pays.
L’imagerie de mes œuvres précédentes était une façon de commenter cette transition, qui a mené vers cette chose post-apocalyptique. « Keeping America Clean » est une œuvre intéressante parce qu’on retrouve la même figure dans toutes mes œuvres, qui évolue d’une pièce à l’autre, même si moi je la considère comme un même personnage qui revient. Au début, c’était un personnage destructeur, la figure de l’explorateur. Mais c’est devenu ensuite une figure magique, qui nettoie tous les déchets que son action destructrice a laissés sur son passage. Dans un récit, notre esprit a tendance à prendre la tangente. Je pense à quelque chose, puis je fais une photo basée sur une idée que j’ai eue, et quelque chose dans cette photo me rappelle une autre possibilité. Alors je fais une photo qui est presque comme une route qui se sépare en deux : il y a tel chemin, ou l’autre. Dans le monde de la 3D, on n’est pas obligé de suivre un fil narratif au pied de la lettre. On crée une bibliothèque d’objets et de scénarios divers. Certains éléments que j’avais faits il y a longtemps se retrouvent dans des pièces ultérieures, et d’autres choses évoquent des éléments qui viendront plus tard, que je ne fabrique pas tout de suite – il y en a partout. Mais toutes les idées arrivent en même temps pour moi. Tout dépend donc simplement de celle sur laquelle je suis en train de travailler à un instant T : c’est celle qui sera terminée en premier.
AB : Vous vous intégrez vous-même à vos œuvres sous la forme d’un alias nommé Fake SC. Comment sa personnalité a t-elle changé et évolué au fil des ans ? Est-ce que cela renvoie à ce que vous venez de dire ou…
SC : Oui, en quelque sorte. Il n’était pas forcément censé être moi, mais c’était une façon d’intégrer un personnage et de faire des références à mon histoire et à mes obsessions personnelles. Ça n’est pas vraiment un alter ego, mais quelqu’un avec qui je peux m’amuser au sein de cet espace. Je lui donne des super pouvoirs et je crée ces environnements surréels qu’il peut ensuite explorer.
Interview publié dans le Magazine Musée. L’intégralité de l’article est disponible dans la version anglaise de l’Oeil de la Photographie.
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