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Rencontres de Bamako 2022, chapitre 3 : Maison africaine de la photographie

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Rencontres de Bamako, chapitre 3 – Demeure faite de grains de sénevé

Les Rencontres de Bamako – Biennale africaine de la photographie livrent une édition 2022 de haut vol, centrée sur « sur la multiplicité, la différence, le devenir et le patrimoine ». Notre correspondant Arthur Dayras raconte la troisième exposition organisée à la Maison africaine de la photographie, « Demeure faite de grains de sénevé ».

La Maison africaine de la photographie (MAP) a été créée en 2004 par l’État malien suite au succès des premières éditions des Rencontres de Bamako. Le Mali y a vu l’occasion d’affirmer la vivacité de son vivier photographique et la primauté du pays sur le continent africain en matière photographique. Si l’on peut dire que Lagos domine les débats cinématographiques, que Dakar brille dans l’art contemporain, Bamako est bien la ville de la photographie sur le continent africain.

Depuis sa création, cette structure a développé des activités de tirage et encadrement, numérisation de fonds, éditions de catalogues et livres d’artistes, formations photographiques et ateliers avec des artistes renommés. La Maison africaine de la photographie ne semble pas conserver de collections en propre, mais demeure un acteur essentiel de la création et des échanges photographiques dans le pays. La biennale y installe régulièrement ses expositions à l’image de l’actuel chapitre trois, « Demeure faite de grains de sénevé ».

L’accrochage se veut collectif, comme dans les expositions du Musée national du Mali et l’ancienne gare ferroviaire de Bamako. Il est parfois plus difficilement saisissable, les cartels ne correspondant pas toujours immédiatement aux séries qu’ils illustrent, mais on pardonnera cette facétie aux visiteurs tant l’édition 2022 fut complexe à monter. La qualité de l’accrochage relègue par ailleurs au second plan ce petit désagrément.

La série « Sites of Africa » de l’artiste britannique Joy Gregory formule une quête de mémoire sur les lieux de pouvoir britannique, dont bon nombre couvent en eux une histoire indicible, sous-jacente, profondément ancrée dans un passif raciste et colonial. C’est à l’exemple, la résidence royale de Greenwich qui en 1596 connaît un édit de la reine Elizabeth bannissant la présence des « nègres ». C’est une réclame de 1769 d’un certain John Bull vendant une enfant noire de onze ans, « avec un excellent tempérament et de bonnes dispositions » à la St Clement Church. L’artiste prend de plein pied, dans un style objectif, proche de l’école de Dusseldorf, ces lieux de pouvoir et délivre par son message toute l’ambiguïté de ce passif tu.

La large place donnée à Joy Gregory dans l’exposition se trouve entièrement justifiée, de même que celle donnée à Daoud Aoulad Syad. Le photographe et cinéaste marocain fut en 1990 adoubé par Henri Cartier-Bresson qui l’encouragea à poursuivre son œuvre. Le public occidental le connaît notamment pour son édition chez Contrejour en 1989, Marocains, et pour son exposition à la Maison européenne de la photographie en 2015. Sa consœur africaine lui consacre trois beaux murs où se dévoile toute la puissance d’une photographie de rue aux accents humanistes.

Daoud Aoulad Syad fait de chaque image un récit décentré, ancrée dans une poétique de l’instant, de l’immédiateté. Le catalogue le résume en une belle expression, « une multitude d’instantanés ». Pour le dire simplement, il y a dans son œuvre toute la saveur de la photographie de rue : des visages, des expressions, des jeux et des tensions, la vie en somme arpentée dans un territoire restreint, exploré dans ses moindres recoins. On y croit, on en sourit. Le photographe excelle également dans l’art du portrait, avec un brin d’humour dans ses mises en scène et compositions.

Autre artiste marocaine, Imane Djamil donne à voir le littoral Tarfaya et résonne avec la mythologie de l’Atlantide. La ville et son patrimoine tombent en ruine, délaissés par les autorités publiques, accentués par la désertification grandissante du Sahara comme par l’exode. L’artiste souligne par ses mises en scène l’échec de l’État à se saisir d’un patrimoine hérité du temps colonial, tout comme l’impossible vie des populations délaissées de cette partie du Maroc. La qualité de la série vaut pour beaucoup aux teintes douçâtres et pastels des tableaux, qui semblent pour beaucoup irréels, même quand ils sont habités de scènes minuscules.

Il faut voir la performance filmée de Lucia Nhamo sur la roche du site du patrimoine national de Chiremba Rocks au Zimbabwe. Elle y tente tant bien que mal, engoncé dans un habit ample, lourd et volontairement contraint, de rouler en épousant la courbe de la roche. Sa tentative symbolise l’impuissance de son corps écrasé par le poids du pouvoir, lui-même évoqué par la garde d’honneur en fond sonore à la fin de la vidéo. Une vidéo qui fait écho aux préoccupations et gestes d’une œuvre tout aussi puissante de la Brésilienne Anna Maria Maiolino, Um Dia (1976)* dans sa contestation muette, incarnée par le corps, de l’oppression militaire.

Le grand coup de cœur de cette exposition revient à la vidéo Mourn d’Ixmucané Aguilar. Avec un seul plan fixe, l’artiste filme la marche obstinée d’un groupe de femmes Héréros dans le désert. Celles-ci avancent dans le silence du vent pour célébrer leurs ancêtres dans les dunes du Swakopmund (Namibie), où se trouve un mémorial ouvert pour les victimes des camps de concentration sous le régime colonial allemand. Le plus simple est encore de se passer de mots.

* présentée actuellement dans l’exposition « Brésil, corps, démocratie » de la galerie parisienne Ilian Rebei.

 

Rencontres de Bamako 2022
Maison africaine de la photographie
H2WJ+G36, Unnamed Road, Bamako, Mali
https://www.rencontres-bamako.org

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