L’affaire a été rude. Plus dure que jamais, avec une invraisemblable conjonction de désagréments plus ou moins importants ou catastrophiques qui ont trouvé le moyen, durant deux semaines, de se succéder avec un incontestable talent de coordination. On peut citer, sans aucune prétention à la hiérarchisation des choses et donc dans un vrac que l’on ne souhaite à aucun organisateur de festival, le fait que deux expositions se sont trouvées orphelines de salle parce que celle dans laquelle l’une était prévue a été détruite au dernier moment par le nouveau propriétaire et parce que l’autre a été expulsée de son emplacement prévu qui venait d’être transformé en salles de classe. La voiture des accrocheurs a rendu l’âme avec son chargement de tirages et ses six travailleurs gentils et rigolards, un orage torrentiel, accompagné de bourrasques a renversé une cimaise de 2,20 m de haut, 50 cm de large et 16 m de long sur laquelle étaient accrochées 56 photos. Le laboratoire, qui a dû retirer n’avait plus de stock de papier. Il aurait fallu quatre semaines pour qu’il arrive de Singapour. On a retiré sur un autre papier. La même tourmente a interrompu la pose des 200 m de bâches sur le mur de l’ambassade de France et en a endommagé certaines et la même absence de fournitures s’est à nouveau posé. Les Casques et les Hyper de Denis Darzacq ne sont pas tous exactement les mêmes. Mais sous le grand soleil, cela se voit peu et les motards et toutk touk, intrigués, s’arrêtent en masse et ne remarquent pas certaines approximations. Finalement, le fait qu’une coupure d’électricité, on n’y était plus tellement habitués dans cette capitale qui change tellement vite, ait interrompu pendant une demi-journée l’accrochage au Musée National et à l’Université Royale des Beaux Arts apparaît comme une anecdote.
Mais il n’y a pas que des problèmes et du retard. Les expositions prennent forme dans le volume élégant et somptueux du Dôme de l’Université ; Bharat Sikka, qui très star, une fois de plus, n’est pas arrivé et ne s’est pas excusé, présente une impressionnante exposition dans le bel espace haut de plafond de la Sa Sa Bassac galerie, et, après avoir connu quelques soucis d’implantation, l’exposition de Khvay Samnang et ses voisins du White Building portant ses masques attire tous les regards à l’Université des Beaux Arts. Le vernissage se prépare, avec ses quarante touk touk décorés de petits drapeaux de couleur et transporteront les invités de salle en salle. Comme il y a pas moins de 27 expositions, les vernissages vont s’étaler sur trois journées. Les six bateaux qui, sur le fleuve, transportent lentement, entre 18h et 22h les écrans sur lesquels l’on projette des photographies du festival ont été testés et l’effet est toujours aussi magique. En complément du programme central, sur le quai Sisovath, une grande cimaise propose à la réflexion les photographies de mines par Raphaël Dallaporta pour faire le lien entre le festival et la Conférence international des pays ayant signé le traité d’Ottawa contre les mines antipersonnel.
Il y a de la tension, des arrivées de journalistes et de photographes, des retrouvailles, des moments d’émotion et d’amitié, de l’attente, des finitions, des angoisses.
Il reste, avant que tout s’emballe, ces nuits tellement douces, à peine fraîches, ces bouffées d’odeur de jasmin qui vous surprennent au coin d’une rue, les surprises de petits restaus de rue capables d’inventer de savoureuses grillades de bœufs pendant que les marchands de soupe chinoise sur leur tricycle annoncent leur arrivée en tapant en rythme sur deux bâtons et, malgré les grosses Lexus qui bouchent les rues et les embouteillages de motos, une forme de respect et d’attention à l’autre de la part des conducteurs. Une fluidité de la foule comme seule l’Asie sait la pratiquer, avec tout ce qu’elle peut avoir d’étonnant ou d’invraisemblable. Comme les photographies de Hong Menea qui, en surplomb, a inventorié tout ce que peuvent transporter sur deux, trois ou quatre roues, les petits véhicules à moteur dans les rues de Phnom Penh.
Christian Caujolle